La terre tourne d'Anne Brouillard

On ne résume pas un livre d’Anne Brouillard mais on a envie de dire à quel point elle réussit à traduire avec art ce regard emprunt de métaphysique qu'elle porte sur les êtres et les choses.
Auteur, elle choisit de parler de cette ronde de la vie qui ici ou là fait naître vivre et mourir les humains que nous sommes. Metteur en page, elle donne une dimension cosmogonique à son propos grâce à de petites vignettes illustrées ouvrant sur l'infini. Peintre, elle recourt à des images chaleureusement colorées pour incarner la simultanéité de ces gestes accomplis par quelques personnages que l’on suit de page en page : des humains et des animaux. Il y a ceux «qui veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du chemin" et ceux « qui restent parce qu’ils sont très bien là ». Il arrive que les sédentaires aussi partent en balade, alors on va, on vient, on se croise, on se perd, on se rejoint. Des animaux bienveillants nous regardent avec empathie et sont invités à la table qui réunit in fine tous les protagonistes alors qu’une porte s’ouvre, poussée par un jeune enfant souriant.
Pour parler de la terre, ronde, et de la ronde de la vie, elle convoque ici et là dans ses images des formes rondes bien sûr : bulles dorées jaillissant de l’obscurité et disant le bouillonement d'un volcan ou le frémissement de la vie fœtale, lucarnes éclairant une salle de cinéma dont la magie est délivrée par l'oeil rond du projecteur, mer aperçue à travers un hublot, visage surgi de l’ombre et souriant.
Texte et image dansent en parallèle et se rejoignent pour nous communiquer une vision de la vie à la fois douce et grave, comme apaisée.
Merci aux éditions du Sorbier pour avoir réédité cet album d’Anne Brouillard !
Claude
La terre tourne, Anne Brouillard, le Sorbier,
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Têtes de pioche de Delphine Chedru

Prenez un robinet, un sécateur ou encore une prise électrique. Collez-y deux yeux, un nez (si l'on veut !), une bouche et tout un tas de chapeaux rigolos, vous ferez d'un petit volant de badminton Monsieur V., véritable super-héros !
C'est ce que nous propose Delphine Chedru dans son nouvel album "Têtes de pioche".
Une trentaine de photographies en noir et blanc, d'objets tout simples, et une ribambelle de gommettes repositionnables pour les personnifier et personnaliser à volonté. De la grande créativité !
Marjorie
Têtes de pioche, Delphine Chedru, Albin Michel jeunesse,11.90€
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Ici Londres de V. Cuvelier et A. Herbauts
Tout nous intrigue dans cet album, objet non identifiable, véritable objet introuvable. C’est sous les auspices du surréalisme que les auteurs en grande complicité avec leur éditrice ont choisi de raconter aux enfants et à leurs parents l’histoire des messages personnels émis sur Radio Londres durant la deuxième guerre mondiale.
Un titre difficile à déchiffrer (normal puisqu’il annonce la rencontre du lecteur avec des messages cryptés), imprimé sur des ronds rouges, sûrement des cerises, convoitées par un merle. Cerises ? Merle? Tiens ! ça ne vous rappelle rien ? Les cerises rouges d’Anne Herbauts roulent de page en page (en gouttes de sang ?) et nous entraînent avec elles. La couleur noire annoncée par le merle (moqueur ?) se fait ombre souvent et s’impose parfois : soldats combattants ou morts, silhouettes figées dans l’attente, animaux foudroyés : entre crainte et action les images nous guident. Il y a aussi ces petites phrases si étranges, ces fameux messages immortalisés jusqu’ici par les films sur la résistance et imprimés sur la page de gauche que jamais l’illustratrice n’explique mais que toujours elle incarne, au pied de la lettre. Cette approche sensible est complétée de trois façons. D’abord l’album s’ouvre sur un joli texte de Vincent Cuvelier, à l’origine de ce projet et qui raconte à la première personne comment un gamin caché derrière un tas de bois surprend son père en train d’écouter la fameuse émission interdite par l’occupant Les Français parlent aux Français. Ensuite on découvre, inséré entre deux pages, un vrai-faux journal, rédigé par l’historienne et journaliste Aurélie Luneau et qui explique de manière très précise le rôle que la radio joua dans l’aide à la résistance. Vive la radio ! Enfin, sur le dernier plat, est fixé un CD réalisé avec les bandes son conservées par l’Ina et mises en musique avec beaucoup d’inventivité par O. Mellano. Ce CD fait chanter à nos oreilles qu’« Alberte a les yeux noirs, que Tante Amélie fait du vélo en short ou qu’Athalie est restée en extase… ». N’oublions pas qu’un des journalistes de cette émission n’était autre que Pierre Dac.
A la fois livre CD, album et livre documentaire cet album transcende tous les genres et s’impose grâce au talent de tous ses auteurs. Il est fait pour être partagé en famille car toutes les générations s’y retrouveront et y trouveront du sens : bien évidemment il s’achève sur ce message, emprunté à l’un de nos grands poètes et qui annonça le débarquement « Les sanglots longs des violons… ». Une superbe rencontre entre Histoire et poésie.
Claude
Ici Londres, V Cuvelier, A. Herbauts, A. Luneau, O. Mellano, ed. du Rouergue, 22 €
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La reine des lectrices d’Alan Bennett
Aimez-vous les bonbons anglais, à la fois sucrés et délicieusement acidulés ? Si oui, précipitez-vous sur ce court roman qui distille avec finesse bien des observations pertinentes sur l’art de lire et les joies que nous procure la lecture.
L’héroïne de ce roman n’est autre qu’Elisabeth II, comme dans le film si caustique de Stephen Frears, The Queen. La reine donc, voulant remettre au pas ses chiens qui aboient fort désagréablement, découvre dans la cour des communs de Buckingham le bibliobus de Westminster. Elle y pénètre avec quelque hésitation, en ressort avec un roman d’Ivy Compton-Burnett et le mal est fait. Ayant commencé de lire elle ne pourra plus s’arrêter. À travers cette fiction Alan Bennett, romancier et dramaturge à la plume incisive, dresse le portrait d’une femme très occupée, soudain tombée en lecture comme on tombe en amour. Les notations de l’auteur sur la façon dont nous accaparent peu à peu ces histoires de papier sont d’une réelle finesse. Chaque lecteur est unique, son entrée en lecture a une histoire et celle-ci mérite qu’on s’y attarde. Car on ne vit plus de la même manière quand on fréquente assidûment les livres. Cette façon dont notre vie soudain prend du sens, dont nos moindres réflexions entrent en écho avec tant d’autres, cet enrichissement de notre « théâtre intérieur », tout cela est magistralement dit.
« Sa charge impliquait qu’elle manifeste de l’intérêt envers un certain nombre d’activités, non qu’elle s’y intéresse pour de bon. De surcroît lire n’était pas agir. Et elle, elle était une femme d’action ». Ce temps-là est révolu, sa majesté est passée de l’autre côté du miroir, de ce côté où on prend le temps de penser, de rêver… Rejoignez-la vite !
Claude
La reine des lectrices, Alan Bennett, Denoël, 12 €
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La Nouvelle raison du monde de Pierre Dardot et Christian Laval
Qui le sait ? Le néolibéralisme n’est pas une politique du laisser-faire et il n’est pas né dans les pays anglo-saxons avec Tatcher et Reagan au début des années 80, mais en Europe, et même en France.
Le colloque Walter Lippman, qui s’est tenu à Paris en 1938 en représente le moment fondateur. Son maître d’œuvre fut le philosophe français, aujourd’hui oublié, Louis Rougier. C’est lui qui introduisit le terme de néolibéralisme.
Le modèle néolibéral, c’est celui de l’entreprise qui est parvenue à conquérir la sphère politique et la sphère subjective. Désormais, l’Etat et l’individu doivent eux aussi fonctionner comme des entreprises, mieux, c’est-à-dire pire, être des entreprises. Le droit privé devient le modèle du droit public et finit par l’absorber. Le marché n’est pas seulement un espace social, extérieur, il devient un processus de formation de soi. Etudes payantes, emprunts, placements à long terme, constitution d’une épargne retraite individuelle : cette capitalisation de la vie individuelle fait de chacun l’entrepreneur de sa vie et, en même temps érode les logiques de solidarités.
Le néolibéralisme n’est pas une idéologie passagère condamnée à s’effondrer avec les Bourses. Il est, disent les auteurs, une norme de vie. Ceux-ci ne croient pas du tout que la crise actuelle sonne le glas du capitalisme néolibéral. Face à cette situation, source de fatalisme, il n’y a pas de solution frontale, unique, mais des issues. Ainsi est-il possible de promouvoir des contre-conduites : refuser de conduire son existence comme une entreprise, refuser de se conduire vis à vis des autres selon la norme de la concurrence. Pour commencer. Le pire n’est pas impossible. Restent les capacités de résistance.
Claire
La Nouvelle raison du monde, Pierre Dardot, Christian Laval, La découverte, 26 €
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