jeudi, 11 juillet 2013
Thriller aquatique pour jeunes enfants
Jon Klassen
Ce n’est pas mon chapeau
aux éditions Milan, 2013 ; traduction française par Jacqueline Odin
36 pages
Prix : 12,90 €
Le premier album de Jon Klassen publié en France, Je veux mon chapeau (éditions Milan, 2012), illustrait brillamment le principe du « Qui s’excuse s’accuse », et il contenait déjà une bonne dose d’humour noir. Ce n’est pas mon chapeau est le deuxième album qui nous arrive de ce jeune auteur canadien (Milan, janvier 2013). Il met en scène un mignon petit poisson qui a dérobé à un gros poisson taciturne le chapeau melon que celui-ci portait sur sa « tête ». Le petit se dirige vers un endroit qu’il croit connu de lui seul, pour s’y mettre à l’abri. Hélas ! ni son audace, ni sa ruse, ne le préserveront des représailles du gros.
Tout au long des pages, le petit poisson est seul à parler. Il est très satisfait du larcin qu’il a commis, même s’il affirme que voler un chapeau « ce n’est pas bien ». À deux reprises, ce gentil personnage s’adresse au lecteur directement, en le tutoyant, comme un ami. Parallèlement à ce monologue candide du petit, le déplacement du gros poisson nous est montré par de grandes images horizontales, et nous assistons à une série de mouvements minimalistes qui contredisent point par point les affirmations énoncées dans le texte. Après le drame, les trois dernières images, dont chacune emplit sa double page, ne sont plus surmontées de la moindre bande de texte, ce qui est l’équivalent d’un silence lourd de sous-entendus.
Cet album permettra aux enfants de découvrir l’humour pince-sans-rire des Anglo-Saxons. Dès quatre ans, ils apprécieront la subtilité des changements qui affectent l’expression faciale des personnages.
De quoi sont faites ces images, qui ne sont ni tout à fait dessinées, ni tout à fait peintes ? De collages et d’incrustations numériques, dirait-on. La chair des personnages, les paysages dans lesquels ceux-ci évoluent, sont traités par des découpages et des superpositions, et l’auteur s’efforce de suggérer l’aspect de tel matériau en découpant sa forme dans la photographie de tel autre… Du sampling graphique, en somme.
Jean-Michel
Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (0) | | | Facebook
dimanche, 28 avril 2013
Dessin, couleur et calligraphie : expériences graphiques dans l’album pour enfants
Sarah Stewart et David Small
La Cabane d’Isabel
aux éditions Syros, septembre 2012 ; traduit de l’américain par Fenn Troller
40 pages
Prix : 15 €
La Cabane d’Isabel (titre original : The Quiet Place) est le nouvel album issu de la collaboration entre l’écrivain Sarah Stewart et l’illustrateur David Small, qui nous avaient déjà offert Le Jardin secret de Lydia, toujours disponible, et L’Amie, malheureusement épuisé.
Une famille mexicaine modeste, formée d’Isabel, de son grand frère et de leurs parents, émigre aux États-Unis. Nous ignorons la profession du père, le texte indique seulement qu’il ne parle pas anglais. Nous sommes en 1957. La petite héroïne écrit régulièrement à sa tante Lupita, qui est restée au pays et que nous avons aperçue dans l’illustration des pages de garde. Le texte de l’album est constitué d’une suite de douze courtes lettres écrites par la petite fille. Les réponses de Lupita n’apparaissent pas.
Il faut expliquer à l’enfant qui lira cet album en français que les textes de l’album original sont ceux d’une petite fille d’origine étrangère qui apprend l’anglais en l’écrivant. Isabel se découvre deux passions : collectionner les gros emballages en carton… et pratiquer sa nouvelle langue. Lupita, au Mexique, lui en avait enseigné les rudiments. Désormais, c’est Isabel qui apprend à sa tante de nouveaux mots d’anglais.
La mère fait des pâtisseries pour l’anniversaire des enfants de familles aisées. Un jour, pour fêter son propre anniversaire, Isabel invite chez elle les enfants pour lesquels sa mère a cuisiné et leur demande de ne pas lui offrir d’autres cadeaux que les mots qu’ils préfèrent. Elle, en contrepartie, leur fait découvrir l’étonnante cabane qu’elle a fabriquée.
Le texte nous cantonne dans le point de vue d’un seul personnage, comme si nous lisions les lettres d’une vraie petite fille. La place donnée à l’image est donc le corollaire de ce dépouillement narratif, puisque ce sont les dessins qui font entrer en scène, avec toute leur vitalité, les nombreux personnages de l’histoire.
David Small combine les tons chauds à l’aquarelle, les effets de matière à la craie grasse et les traits de contour à l’encre de Chine. Son trait, qui rappelle un peu celui Will Eisner, oscille entre caricature et réalisme. Ce style fait merveille pour traduire les émotions des personnages, adultes ou enfants, même de ceux qui restent à l’arrière-plan, et pour nous aider à saisir les informations que les courtes lettres d’Isabel se contentent de suggérer.
Reposant sur une anecdote dont la banalité n’est qu’apparente, l’album acquiert aisément une portée universelle.
Yann Kebbi
Américanin : un chien à New York
aux éditions Michel Lagarde, octobre 2012
64 pages
Prix : 18 €
Le chien Ouaf, rentrant de voyage, retrouve ses amis chiens et leur annonce qu’il est devenu « américanin ». Ce mot-valise ingénieux est le titre d’un album qui fait voyager. Les images humoristiques, dessinées au crayon noir et comportant du texte, alternent avec les grandes compositions muettes et colorées, plus réalistes, qui sont entièrement réalisées aux crayons de couleur.
Le livre nous apprend à reconnaître et à nommer les principaux édifices de New York, dont le célèbre Flatiron (l’immeuble en forme de fer à repasser) et le musée Guggenheim. L’auteur, Yann Kebbi, s’est intéressé davantage à l’architecture qu’aux habitants des différents quartiers de la ville. Dans les images en noir et blanc, Ouaf traîne derrière lui une laisse que personne ne tient, et s’il y a quelqu’un pour tenir cette laisse dans les images en couleurs, nous ne voyons jamais ce personnage. C’est donc un chien qui nous fait partager ses impressions, dans un récit dont il est le narrateur. Comme ce chien a surtout observé les réalités qui passaient à sa portée, l’album se révèle particulièrement abordable pour de jeunes enfants.
Les choix esthétiques de Yann Kebbi, en particulier celui de dessiner aux crayons de couleur, contribuent à rapprocher les illustrations des attentes de l’enfant. Celui-ci reconnaîtra dans les images ses propres manières d’aborder la feuille de papier et d’y projeter ses représentations. Les repentirs du dessinateur restent bien visibles, les silhouettes peuvent être superposées, certains éléments sont tracés avec netteté et soigneusement coloriés, tandis que d’autres sont laissés à l’état d’esquisses. Les éléments architecturaux, de même que les personnages, se présentent sous une forme tantôt achevée tantôt fantomatique. Fréquemment, les visages sont traités selon les codes du dessin réaliste, tandis que les troncs, les bras et les jambes sont tracés comme dans un dessin d’enfant.
Le résultat est original et convaincant. On peut lire cet album avec des petits, mais aussi le proposer comme livre de première lecture.
Hassan Musa
L’Homme caché
éditions Grandir, septembre 2012 ; première édition : 1997
18 pages
Prix : 15 €
Hassan Musa, peintre français d’origine soudanaise, a illustré pour les éditions Grandir six contes soufis, dans les années 1990. Ces livres sont épuisés depuis plus de dix ans, sauf L’Homme caché, que l’éditeur vient de rééditer.
Si des assassins me demandent où est la victime qu’ils recherchent et qui se trouve réfugiée dans ma maison, je n’ai pas le droit de leur mentir, affirmait Kant. Lorsqu’il prit cet exemple pour illustrer sa thèse selon laquelle dire la vérité est un devoir moral, le philosophe allemand songeait-il au conte soufi qui est repris par Hassan Musa dans cet album ? Le conte montre comment la vérité parvient à sauver la victime pourchassée par les assassins. Les jeunes enfants pourront, dès six ans, méditer la leçon de cet apologue particulièrement profond.
Les images d’Hassan Musa en renforcent le pouvoir de fascination. De son calame (ou roseau) trempé dans l’encre de Chine, l’artiste a tracé sur le papier des motifs issus de la calligraphie arabe, les agrégeant les uns aux autres pour leur faire former des figures. Il y a des hommes à pied, vêtus d’étoffes bouillonnantes et chamarrées. Il y a des cavaliers arrogants, armés de lances. Ces personnages tantôt se détachent sur un fond parfaitement vierge, tantôt s’intègrent dans des paysages de douces collines, où les arbres sont rares. Nerveux, les traits deviennent chevrons. Onctueux, ils se font spires et volutes capricieuses. S’ordonnant en bandes parallèles, ils prennent la forme d’un drapeau, la forme d’une flamme… Par endroits, la pointe biseautée ne fait que déposer sur le papier quelques losanges, de dimensions variées. L’intensité du noir varie, elle aussi. Nous avons l’illusion de voir le dessin naître sous nos yeux.
Le tracé de lettres de l’alphabet arabe et de symboles se mêle aux lignes qui servent à délimiter les formes et à suggérer les volumes, mais je serais bien incapable de savoir où s’arrête le dessin et où commence l’écriture. On me dit que seuls les paysages sont constellés de lettres, tandis que les hommes et les chevaux sont tressés de motifs végétaux ou abstraits. En tout cas, les lecteurs qui ne lisent pas l’arabe devinent que la matière des images est faite de signes et de symboles, et que l’illustration reflète le contenu philosophique du texte.
Certains dessins sont très fouillés, d’autres plus épurés. Hassan Musa n’ayant cherché ni le réalisme ni la continuité, les traits qui définissent le visage d’un même personnage peuvent ne pas se retrouver d’une page à la suivante. Mais l’image qui illustre la conclusion du conte est la plus énigmatique de toutes. Elle pourrait bien représenter la vérité elle-même, celle qui sauve, ou bien la sagesse. C’est un être bizarrement recroquevillé, il a une abondante chevelure dressée sur sa tête, et tient son visage dans ses mains, ne laissant voir qu’un regard fixe et une bouche grande ouverte. C’est la même creature qui apparaît sur la couverture du livre, en six exemplaires, sur six piédestaux différents. Peut-être qu’il y en a un pour chaque conte soufi de la série.
La figure jaillit comme un génie du flacon oublié dont on aurait ôté le couvercle, ou plutôt non : elle jaillit de l’encrier.
Jean-Michel
Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (0) | | | Facebook
jeudi, 21 mars 2013
Sara dédicacera ses albums
en partenariat avec la médiathèque de Nancy et l’université de Lorraine
Venez rencontrer
S a r a
mercredi 27 mars
à partir de 16 h
Depuis plus de vingt ans, Sara crée des albums jeunesse particulièrement innovants.
Sara a illustré un recueil de fables de La Fontaine paru l’année dernière aux éditions du Genévrier, une anthologie de poèmes composée par Jean-Marie Henry et parue aux éditions Rue du Monde (Ça fait rire les poètes), ainsi qu’un recueil de contes mythologiques publié par Circonflexe (Les Métamorphoses d’Ovide).
Elle est aussi l’auteur complet d’albums qui ont conquis une place éminente dans l’histoire de la narration graphique pour jeunes lecteurs, parmi lesquels : Elle et moi (éditions l’Art à la page), La Revanche du clown (éditions Thierry Magnier), Révolution (éditions du Seuil), À quai (éditions du Seuil) ou encore Enchaîné (éditions La Joie de lire, sur un texte de Valérie Dayre).
Sara recourt à la technique des papiers déchirés, pour donner naissance à des créatures fragiles, hommes et bêtes, souvent en butte à l’indifférence ou à l’hostilité du monde. La plupart de ses albums ne comportent que quelques lignes de texte. Certains sont entièrement muets.
Les images y prennent la parole, par leur puissance expressive et par le mouvement limpide de leur succession.
Publié dans Jeunesse, Les Rendez-vous de l'Autre Rive | Lien permanent | Commentaires (0) | | | Facebook
mercredi, 05 décembre 2012
Venez découvrir les Coups de cœur du rayon jeunesse pour Noël 2012
Les libraires du rayon jeunesse vous invitent
à découvrir leurs coups de cœur de fin d’année
mercredi 12 décembre
à partir de 19 h.
Entrée libre.
Lecture et présentation d’albums pour tout-petits et pour petits,
de contes, de romans et d’ouvrages documentaires,
tous destinés aux jeunes lecteurs, et choisis parmi l’ensemble des nouveautés
qui sont parues depuis la rentrée de septembre.
Vous repartirez munis des idées de cadeaux qui vous manquaient !
Publié dans Jeunesse | Lien permanent | Commentaires (0) | | | Facebook
dimanche, 17 juin 2012
Lecture des FILS DE L’OGRE
Merci à Sophie David d’avoir photographié la soirée du 25 mai 2012,
où les libraires ont pris plaisir à lire à voix haute quatre nouvelles des Fils de l’ogre
et à dialoguer avec Mathis.
Merci au public pour son enthousiasme.
Paru il y a quelques années, Faire et défaire (2007) mettait en scène un père et son fils. Tous deux s’entendaient bien, étaient même complices, en dépit de l’alcoolisme du père, ce qui se traduisait, au sein de plusieurs histoires, par l’alternance des points de vue : le regard porté sur les événements était souvent celui du fils et de temps en temps celui du père, et leurs deux visions pouvaient se rejoindre. Dans Les Fils de l’ogre, le deuxième livre qu’a écrit Jean-Marc Mathis pour la collection « Nouvelles » des éditions Thierry Magnier, les relations entre père et fils ne sont pas harmonieuses du tout.
L’ogre a deux fils, qui ne sont encore que des enfants quand s’ouvre la première nouvelle. Tant qu’ils sont petits, Fred et Max l’appellent « papa ». Ce père est un maçon alcoolique, aux réactions imprévisibles. Il est sujet à des crises d’épilepsie, maltraite ses enfants, terrorise sa femme. Longtemps, il se maintient au sommet de sa puissance, puis nous assistons à son inexorable déchéance.
Les Fils de l’ogre est un ensemble de douze nouvelles, dont chacune se conclut par une chute inattendue, mais ces histoires n’acquièrent tout leur sens que prises dans leur totalité. Ce livre est donc un roman, et le lecteur accepte sans difficulté les ellipses temporelles ménagées entre ses divers épisodes. La construction du livre renforce en nous le sentiment qu’une fatalité pèse sur les personnages, et ce n’est pas par hasard qu’un de ses épisodes s’intitule précisément « Les maudits ».
Dans l’enfance, presque rien ne distingue les deux fils, Fred et Max, l’aîné et le cadet. Face à l’oppression paternelle, ils forment un être unique et vulnérable. C’est à l’adolescence qu’ils grandissent différemment et que leurs trajectoires se dissocient en profondeur, même si le lien de solidarité qui les unit ne se dément jamais. La dernière nouvelle est teintée de fantastique : le livre devait en passer par là pour suggérer que l’engrenage qui broie une enfance n’est pas toujours un mécanisme fatal.
Centrée sur les aventures de Fred et de Max, la narration fait également surgir de nombreux personnages secondaires, qui sont tous caractérisés par leur langage, par des façons de parler bien particulières que l’auteur recrée avec naturel, voire avec tendresse, mais elle ne fait aucune incursion dans la conscience de ce père dénaturé : l’opacité même de cet homme, tant pour ses fils que pour le lecteur, fait de lui un objet de fascination. Son intériorité demeure énigmatique, donc terrifiante. Ce choix narratif est tenu jusqu’au bout, mais il n’empêche pas certaines nouvelles de nous faire entrevoir un fragment de l’enfance de l’ogre, détail significatif ou dérisoire.
Cette œuvre plaira aux adolescents comme aux adultes. Elle est sombre et cruelle, parce que Mathis dépeint l’échec, la misère, les désastres familiaux, mais son humour est ravageur et tous ses personnages ont le relief et la respiration de la vie. L’humour noir est la poésie du désespoir.
Jean-Michel
Mathis, Les Fils de l’ogre
Éditions Thierry Magnier, collection « Nouvelles » (2012)
178 pages
10,10 €
Publié dans Jeunesse, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | | | Facebook