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mardi, 11 mai 2010

C'était hier

C'était hier que nous accueillions Agnès Desarthe pour deux rencontres et ce fut un bien bel après-midi.

Dès 14h elle s'est entretenue avec 6O élèves de seconde du lycée Loritz ( dont 55 garçons) et elle a triomphé magistralement de la difficulté de l'entreprise, parce qu'elle prend ses lecteurs au sérieux, parce qu'elle a une énergie d'enfer et  parce que ces nombreux adolescents avaient bien préparé cette rencontre grâce à leurs deux professeurs de français qui  avaient su les emmener au coeur du roman d'Agnès Desarthe : Le Remplaçant.

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Des questions justes, pertinentes, fusèrent, sur l'auteur, son entrée en écriture, ses choix romanesques, ses goûts littéraires. En réponse les adolescent(e)s apprirent qu'Agnès Desarthe s'engagea dans le concours de l'Ecole Normale sup, et donc à faire deux années de Khâgne, parce qu'être payée pour faire des études la motivait terriblement !! On ne doute pas qu' à cet instant elle a suscité quelques vocations. Son éloge de l'école et de ses professeurs, sincère et argumenté a fait chaud au coeur de ceux qu'on malmène souvent dans l'opinion... Elle le dit sans ambage : s'occuper des enfants des autres c'est de l'héroïsme. Voilà pourquoi ce grand-père "de remplacement" est son héros, comme son institutrice de deuxième année de maternelle, comme Janus Korczack, ce pédagogue qui s'occupa de milliers d'orphelins et tout particulièrement de ceux du ghetto de Varsovie, abandonnés parmi les abandonnés, qu'il n'abandonna jamais et accompagna jusqu'au bout, jusqu'à leur assassinat et le sien dans le camp d'extermination d'Auschwitz.

 

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D'abord traductrice avant que de mener de front cette carrière (qui lui valut le prestigieux prix Coindreau de la meilleure traduction) avec celle d'écrivain, Agnès Desarthe a su de manière passionnante leur transmettre comment traduire c'est aller à la rencontre des secrets de fabrication littéraire des plus grands auteurs, ccomment c'est découvrir et restituer les solutions qu'ils trouvent à toutes les questions techniques que doit résoudre tout écrivain. Elle a aussi réussi à leur faire bien sentir comment l'écrivain avance souvent en tatonnant, entre essais, changements et repentirs et que c'est en écrivant qu'il se découvre.


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A la librairie l'Autre Rive Agnès Desarthe revint sur la genèse du Remplaçant et de La Plus belle fille du monde, romans qu'elle mena de front et qui tous deux se font écho : le vrai héros du remplaçant est-il Janus Korczak ou triple B? La plus belle fille du monde est-ce vraiment Liouba Gogol? En chemin un personnage se glisse sous la plume de  l 'auteur s'imposant à lui comme à nous. Si la construction de la Plus belle fille du monde est linéaire, celle du Remplaçant, composée d' une suite de fragments, s'autorise à jouer avec la temporalité. Les souvenirs revenant à la mémoire sous forme de blocs séparés de l'avant et de l'après, cette succession de fragments convient ici parfaitement car elle permet de les restituer au plus près de leur remontée, comme elle permet de les écarter l'un de l'autre quand il devient nécessaire d'en insérer un autre. L'auteur a ainsi joué longtemps à modifier la place de chacun des fragments comme on le ferait avec des  pièces de lego.

Rêveuse, étourdie Agnès Desarthe fait joliment comprendre à son auditoire que cette propension à la rêverie est peut être constitutive de sa personnalité d' écrivain, et qu'en tous cas elle la sert, car cet égarement qu'elle ressent parfois face à la réalité : " je ne comprends jamais ce qu'on me dit, je comprends autre chose" est forcèment l'occasion d'une interprétation et donc un formidable point de départ pour la création littéraire. Ecrire c'est aussi tenter d'interpréter le monde.

Ce n'est pas seulement en laissant Triple B s'imposer comme le héros de son roman qu'Agnès Desarthe lui rend hommage mais  aussi en déployant ce talent de conteuse que ce grand-père lui a incontestablement transmis.

Claude André



 

 

 

Commentaires

Ravie de constater que la librairie "L'autre rive" a un blog ! Sur mes différents sites, je vais mettre un lien vers le vôtre. Je ne viens plus beaucoup vous voir, mais quand je viens, c'est toujours un grand plaisir !

Écrit par : Catherine | mardi, 11 mai 2010

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Livres et journaux. Quelques lectures, avant, pendant et depuis ce long travail sur Malcolm Lowry. Lectures de distraction, si l’on peut dire, mais qui n’ont que faiblement rempli leur rôle. (Il va y avoir une distribution de claques qui se perdent).

« Déluge » de Henry Bauchau (10, Actes Sud, 170 p). La rencontre entre Florian, le peintre vieillissant et cette femme qui le soigne, prend soin de lui et l’amène à terminer une toile «Le Déluge » J’avais été entousiasthmé par « Antigone » (97, Actes Sud) et « Œdipe sur la route ( 90, Actes Sud) ainsi que par le « Journal d’Antigone » (99, Actes Sud). Toutes œuvres qui m’avaient conduit à relire Sophocle et Anouilh. Un autre point de vue, puisque c’est la fin d’Antigone qui domine chez HB (avec l’explication de son journal, en parallèle avec l’évolution de la maladie de sa femme). J’avais beaucoup aimé « L’enfant bleu » (04, Actes Sud) qui traite d’un sujet similaire (rapports entre un enfant caractériel et les autres). Hélas, « Le Déluge » n’est pas du meilleur HB. Au moins la toile a servi de prétexte au titre du livre.
« La Traversée » de Carlos Heitor (09, ED. Folies d’encre, 410 p). Mélange bizarre entre un écrivain quadragénaire, Paulo Goldberg Simoes, qui assume mal sa judéité, et le milieu marginal-politique des années 60-70 au Brésil. Un peu long, mais ça a l’avantage de se lire vite, sans mal de tête. Il faut reconnaitre que c’est moins douloureux que les tortures décrites à l’un des personnages, Macedo.
« Le Japon comme ma poche » de Jean-Yves Cendrey (09, Arbre Vengeur, 116p). Anti-voyage qu’ils disent en 4 de couverture, ou « un guide pour revenir de tout sans bouger de chez soi » en sous-titre. Je prendrai une partie de chaque, et finalement je préfère retourner au japon dans « un anti sans bougez de chez soi ».
« Carnets japonais » de Christian Garcin (09, L’Escampette, 120p). « Tout ce qui me touche en littérature….pourrait se résumer à cela : mesure, clarté et mystère. C’est le Japon » nous informe CG en 4 de couverture (c’est tout ce qui reste de mes lectures). Même commentaire que précédemment. Mieux vaut aller au Japon que lire ce que les autres en ont retenu.
« Sukkwan Island » de David Vann (09, Gallmeister, 192p). Un père et son fils partent vivre seuls dans une cabane en Alaska, loin de tout. Je savais ce que je voulais lire : les grands espaces (même si c’est une ile), la vie près de la nature. Et puis c’est le drame (je ne veux pas déflorer ce qui fait la force du livre). Surtout on se rend compte que ce pauvre père avait tout faux (« il y a quelque chose qui a merdé »). Etait ce le père ou l’auteur ?
« Etudes de silhouettes » de Pierre Senges (10, Verticales, 145p). D’après des fragments de Kafka, PS refait un livre. Cela n’a pas la même tenue, ni la même verve que le précédent « Fragments de Lichtenberg (09, Verticales, 636p) dans lequel PS brodait toute une histoire autour d’aphorismes, avec une exgésèse pseudo-savante et une construction utopique. Dommage pour ce petit livre. Peut être que Kafka n’a pas la saveur de Licthenberg.
« Entre ciel et terre » de Jon Kalman Stefanson (10, Gallimard, 240p). Enfin un livre. Court récit en deux parties, avant et après la mort de Bardur, parti pécher la morue sans sa veste huilée, mais avec un exemplaire du « Paradis Perdu » de John Milton. C’est très bien écrit, surtout dans la première partie, de pèche (« le gamin, la mer et le paradis perdu » ).
« Le cuisinier » de Martin Sutter (10, Bourgois, 346p). La cuisine ayurvédique conçue par un Tamoul dans le Zurich de nos jours. C’est un bouquin de MS, je savais où je mettais mon nez. Lisez « la face cachée de la lune » (98, Bourgois, 333p), vous y découvrirez les recettes des bleuets, champignons hallucinogènes recherchés maintenant dans les Alpes (les Suisses y viennent en masse). Les autres titres sont de la même fabrique, bonne documentation, lecture aisée, suspense assuré. On sent la maitrise d’ouvrage de Zurich). Dans « le cuisinier » on sent la recette facile sur fond de cuisine moléculaire. Mais hélas tout fout le camp (même El Bulli est en phase de fermeture). Il reste du livre, un peu facile sur fond de bataille des Tigres tamouls, les recettes, en fin de livre (p. 312-337). Encore faut-il avoir chez soi un caloupilé (Curry-tree en anglais, ou Murraya koenigii) (allez voir chez Nature et découverte s’ils en ont en stock).
Eh bien tout cela n’est pas trop réjouissant, et en plus il fait à nouveau froid. Restent quelques bons articles de journaux et magazines (il faut aussi en faire une critique de temps à autre).
« Books ». Magazine littéraire qui se cherche (ou cherche lecteurs). C’est très bien fait, on le trouve en kiosque, ou sur abonnement (j’ai tout de suite souscrit, faites en autant). Une revue internationale des livres qui sortent (avec quelques très bonnes surprises, et attentes pour qui ne lit pas couramment les non francophones). Des dossiers très bien documentés (cette fois sur « les gènes du bien et du mal »). Il y a eu un remarquable dossier sur « Internet et les théories mêmistes » en juillet dernier). Bref des questions que l’on peut se poser sur l’Islam, la torture, les murs de la peur.
« Le Matricule des Anges », autre revue mensuelle (également en kiosque) qui relate les livres qui sortent. Il est étonnant d’y voir le nombre de « petits » éditeurs en France, dont certains ont vraiment du mérite d’exister. L’éditorial est un régal à chaque fois (bien qu’il ne soit pas toujours dans la droite ligne du pouvoir en place). C’est important de pouvoir disposer d’un contre pouvoir qui permette de se faire sa propre opinion. Cela change du « temps de cerveau disponible » et du « décervelage ». J’ai gardé ceci pour la fin, cela allait de soi « Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu ! »

Écrit par : jlv-triste mai | jeudi, 13 mai 2010

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« Le Projet Lazarus » de Aleksandar Hemon (10, Robert Laffont, 381 p).

Vaste roman, qui va du Chicago des années 08 (celles de 1908) à celles plus actuelles, mais qui passent par l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie pour se terminer en Bosnie. Le narrateur, Vladimir Brik, Bosniaque émigré à Chicago, et marié à Mary, neurochirurgienne, se penche sur le cas de Lazarus Averbuch, jeune émigré ukrainien et veut retrouver son passé. On peut le lire comme cela. C’est aussi l’histoire de Brik et de Rora Halilbasic, deux compères, que beaucoup de choses séparent, mais qui vont parcourir l’Europe centrale (voir plus haut) entre la perte d’un gant au second chapitre et la recouvrance d’une main, au dernier chapitre. C’est encore l’histoire de Olag, la sœur de Lazare et de Isador Maron, émigrés ukrainiens dans un Chicago en proie au délire anti-anarchiste et anti-sémite. C’est toujours un recueil de blagues bosniaques, avec Mujo comme personnage central, que distille Rora au cours du livre.
Alors, faut-il résumer ? Non, mieux vaut laisser découvrir le livre, qui de plus est bien écrit et traduit, ce qui ne gâche rien. Récit toujours prenant (un peu long sur la fin), avec des allers-retours entre les différents morceaux du puzzle (mais en est-ce vraiment un). En fait c’est tout un questionnement sur la guerre (Rora était à Sarajevo, pendant que Vladimir était déjà à Chicago), sur les atrocités commises (Sarajevo ou les pogroms de Kichinev (Chisinau) en Moldavie qui poussent les Averbuch à émigrer, sur la corruption et la vie des trafiquants, actuelles dans ces pays pas totalement sortis de l’ère communiste, sur la condition humaine de l’émigrant, qu’il soit Lazarus ou Vladimir.

Quelle fut la vraie raison de la mort de Lazarus Averbuch le 2 Mars 1908, abattu par le chef de la police qui l’a pris pour un dangereux anarchiste ? Quelles furent les vies de Lazarus et de sa sœur Olga, ou des autres émigrés juifs de Chicago, regroupés dans un ghetto. Quelle est la vie de Vladimir Brik, marié à une américaine, neurochirurgienne brillante, mais qui refuse d’entendre parler des charniers et autres horreurs de la guerre, et qu’en est il de leur couple (« il subsistait entre nous des lieues et des lieues de distance dont je ne pourrai jamais lui parler. Car si je lui en parlais, cela aurait démenti tout ce qu’il y avait entre nous et que nous appelions amour. »). Et lui-même, Vladimir, professeur révoqué, et dans l’incapacité de gagner de l’argent ou d’écrire. Et pourtant, il écrit"Ce livre me ferait devenir un autre. »
(il va faire ce périple grâce à une bourse, mais ne montre pas de but et de recherche romancière avoués). Fait-il voir dans ces personnages des doubles de l’auteur, mais alors qui est le double de qui ? Lazarus le double de Vladimir, lui-même double de AH. Et dabs ce cas acéré de double vie, avec son lot de menteries, que penser du rapport entre AH et Rora Halilbasic, dont la vie n’est que poudre aux yeux, issu d’une vieille famille (dont une rue de Sarajevo porte le nom), aux voyages extravagants et aventures du même tonneau. D’ailleurs à une femme, Iuliana, qui leur fait visiter le cimetière de Chisinau Brik a cette pensée « Elle était moi, Rora était moi, et ensuite nous sommes tombés sur l'homme du banc, et homme, c'était moi, lui aussi. Le seul qui n'était pas moi, c'était moi. »

Livre à recommander, car fort bien écrit, très lisible et à l’attention toujours soutenue. J’ai l’impatience de lire ses premiers livres « De l'esprit chez les abrutis » et « L'espoir est une chose ridicule », tous deux parus chez Laffont en 00 et 03. Et en plus, il y a quelques illustrations, des photos sur un motif de page noire (Rora ne cesse de prendre des photos). Ces photos sont par ailleurs celles de Velibor Bozovic, prises au cours d’un long voyage effectué avec AH à la recherche de Lazarus et du pogrom de Kichinev.

Que dire, également de cette référence à la Bible « Lazare » dont M. Christ (ainsi dénommé dans ce livre) va trouver la sœur qui lui raconte la mort de son frère et sa résurrection. (Qui n’a jamais téléphoné, étant étudiant, à un Monsieur Lazare trouvé dans l’annuaire pour le réveiller en pleine nuit pas ces mots « Lève toi et Marche »). On baigne partout dans cette mort-renaissance des personnages, de l’auteur. « Ce monde est-il fait pour les morts ou pour les vivants ? » voit on apparaitre dans le livre. Dans ce voyage a travers toute l’Europe Centrale, soit une dilatation du monde, Vladimir (ou AH) devient les autres, tous les autres, en se réincarnant dans tous ces êtres qu'il croise ou qu'il imagine, devenant cet « autre » qu'il aurait souhaité être ou se réincarnant dans les personnages successifs. C’est à la fois le Lazare, personnage réincarné, et « M. Christ », occupé à se sauver en sauvant des inconnus de l'oubli, à lutter contre "la constante disparition du monde".

Écrit par : jlv-lazarus | dimanche, 30 mai 2010

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« Le livre du Chevalier Zifar » Anonyme (XIV siècle) (09, Ed. Monsieur Toussaint Louverture, 576 p.)

Livre de chevet de Cervantès (je l’ai vu sur sa table de nuit un soir qu’il a dormi ici). Premier roman de chevalerie écrit en castillan (La Princesses de Clèves ou Le Dernier Témoin, c’est bien après). Le représentant de Monsieur Toussaint Louverture (rescapé des soubresauts d’Haïti) nous fait un fort beau cadeau (pour Noël ou pour Pâques). (en fait je n’ai pas fini le commentaire à ces dates et le reprend aujourd’hui suite à un article du Monde (cf à la fin).

Roman d’aventures ou joyeux trouve-tout, on a le choix (c’est ce qui en fait l’intérêt), et en plus c’est accompagné de magnifiques illustrations de Zeina Abirached. Deux façons de le résumer.

1. Zifar part en quête de vérité et de justice, mais son cheval meurt tous les 10 jours. «On approchait du soir qui allait marquer le dixième jour où le chevalier Zifar avait gagné le cheval qu’il montait. Ainsi, alors qu’ils bavardaient, le cheval s’écroula, mort, sur le sol. Le chevalier Zifar eut juste le temps de sauter à terre et de s’en écarter. “Que s’est-il passé? s’inquiéta le seigneur de l’armée. — Cela me colle à la peau, répondit le chevalier Zifar. Il pèse sur moi une telle fatalité qu’aucun cheval ni aucune bête ne me dure plus de dix jours.”»

2. C’est un traité pratique, moral et religieux à l’usage des chevaliers (La Chevalerie pour les Nuls de l’époque). Après un long prologue, le roman est composé de trois livres. Le premier contient « Le Chevalier de Dieu » et est suivi par « Leçons du Roi de Menton » conseils que Zifar adresse à ses deux fils, Garfin et Roboam. L’histoire de ce dernier « Prouesses et Prospérités de l’infant Roboam »nous conte son errance, du royaume de Pandulfa à l'empire Tigride, en passant par le pays mystérieux de l'impératrice Noblesse.

Le roman en soi (478 p.) est suivi d’annexes, dont « Les contextes du « Le livre du Chevalier Zifar » » un essai par Juan Manuel Cacho Blecua (113 p.) et des notes abondantes. Le tout (comme toujours chez Monsieur Toussaint Louverture) imprimé sur du papier Print Speed ivoire 90 gr, avec une police Tribute.

Donc pour bien montrer que c’est un livre sur le chevalier, on commence par décrire son épouse, Grima, « dame très vertueuse et d’honnête vie, obéissant à son mari, intendante et gardienne de la maison ». On l’a compris, la suite ne va pas verser dans l’eau de rose (on ne va pas non plus tomber dans Millenium). Donc, le chevalier Zifar consomme du cheval (non qu’il soit hippophagique) en abondance (un tout les 10 jours), ce qui coûte cher à son roi (qui le protège).

Revenant au chevalier Zifar, accablé de malheurs, mais soutenu par sa vertueuse épouse, le chevalier abandonne sa terre, le royaume de Tarte, et part en quête de vérité et d'honneur, non sans être mis à l’épreuve par Dieu soi même. Il libère la ville de Galapia, et sa reine par la même occasion, en affrontant le Comte d'Éphèse. Il se fait passer pour fou afin d'infiltrer le royaume de Menton et en deviendra roi. Pendant ce temps (9 ans tout de même), il est séparé de sa femme (enlevée par les pirates), et de ses enfants, Garfin et Roboam. Ceux-ci commencent par avoir des aventures peu communes. L’un est emporté par un lion alors que l'autre disparaît dans une ville inconnue. Rassurez vous, on retrouvera toute la bande plus loin dans le livre.

Le second livre « La Leçon du roi de Menton » est une série de conseils que Zifar adresse à ses deux fils, Garfin et Roboam. Le livre reprend les traités d'éducation, à l'usage de jeunes princes ou d'apprentis chevaliers (je suppose que vous avez tous lu ce genre de littérature en étant plus jeunes).

Le dernier livre « Prouesses et prospérités de l’infant Roboam » raconte l'histoire de Roboam à partir du moment où il quitte le royaume de Menton, ayant pour but de suivre la trajectoire de son père. Il quitte Menton et arrive dans le royaume de Pandulfa (où une dame Gailarde le met à l’épreuve. Il attaque ensuite le roi de Grimaled, et promet à l’infante Seringa de rester à ses cotés. Un peu plus tard, il arrive au royaume de Tigride et des ses quatres fleuves, qui sortent du Paradis Terrestre. Quelques aventures plus loi, le voila banni dans l’empire des Iles Dotées, ou le diable lui apparait sous l’apparence d’une femme. (le diable reviendra plusieurs fois). Bref des aventures palpitantes et passionnantes (ce n’est jamais grivois, désolé).

Lisez cet excellent ouvrage éditorial dans tous les sens du terme.

Dans « le Monde des livres » du vendredi 28 mai 10, un bel article sur « Le Chevalier Zifar ». Beau succès pour Monsieur Toussaint Louverture, dont le représentant (ainsi se présente t’il) m’a fait parvenir un mail avec l’article. « un livre mystérieux, cachant tout à la fois, sous les cuirs et les ors de sa couverture, et entre les lignes d'une édition de poids - 1 120 grammes, pas moins, par temps sec » Le ton est donné, qui ne va pas sans rappeler que l’editeur édite (ce qui est la moindre des choses) un « catalogue borgne pour lecteurs n'ayant qu'un coup d'œil à donner ». Appréciant les livres (et leur qualités éditoriales) de cette maison (dont j’ai déjà souvent fait la critique ici, toujours en termes élogieux), je ne saurais vous conseiller de n’y jeter qu’un œil. En fait, et c’est pourquoi j’en parle ici, l’article insinue la véritable paternité du Chevalier Zifar « serait due à Jean-Marie Barbera, traducteur de la présente édition ». quoiqu’il en soit merci à Dominique Bordes pour cet ouvrage. D'ores et déjà j'en suis à la lecture (assez différente, à vrai dire) de "Zuleika Dobson" de Max Beerbohm.

Écrit par : jlv- Zifar | dimanche, 30 mai 2010

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« Le livre du Chevalier Zifar » Anonyme (XIV siècle) (09, Ed. Monsieur Toussaint Louverture, 576 p.)

Livre de chevet de Cervantès (je l’ai vu sur sa table de nuit un soir qu’il a dormi ici). Premier roman de chevalerie écrit en castillan (La Princesses de Clèves ou Le Dernier Témoin, c’est bien après). Le représentant de Monsieur Toussaint Louverture (rescapé des soubresauts d’Haïti) nous fait un fort beau cadeau (pour Noël ou pour Pâques). (en fait je n’ai pas fini le commentaire à ces dates et le reprend aujourd’hui suite à un article du Monde (cf à la fin).

Roman d’aventures ou joyeux trouve-tout, on a le choix (c’est ce qui en fait l’intérêt), et en plus c’est accompagné de magnifiques illustrations de Zeina Abirached. Deux façons de le résumer.

1. Zifar part en quête de vérité et de justice, mais son cheval meurt tous les 10 jours. «On approchait du soir qui allait marquer le dixième jour où le chevalier Zifar avait gagné le cheval qu’il montait. Ainsi, alors qu’ils bavardaient, le cheval s’écroula, mort, sur le sol. Le chevalier Zifar eut juste le temps de sauter à terre et de s’en écarter. “Que s’est-il passé? s’inquiéta le seigneur de l’armée. — Cela me colle à la peau, répondit le chevalier Zifar. Il pèse sur moi une telle fatalité qu’aucun cheval ni aucune bête ne me dure plus de dix jours.”»

2. C’est un traité pratique, moral et religieux à l’usage des chevaliers (La Chevalerie pour les Nuls de l’époque). Après un long prologue, le roman est composé de trois livres. Le premier contient « Le Chevalier de Dieu » et est suivi par « Leçons du Roi de Menton » conseils que Zifar adresse à ses deux fils, Garfin et Roboam. L’histoire de ce dernier « Prouesses et Prospérités de l’infant Roboam »nous conte son errance, du royaume de Pandulfa à l'empire Tigride, en passant par le pays mystérieux de l'impératrice Noblesse.

Le roman en soi (478 p.) est suivi d’annexes, dont « Les contextes du « Le livre du Chevalier Zifar » » un essai par Juan Manuel Cacho Blecua (113 p.) et des notes abondantes. Le tout (comme toujours chez Monsieur Toussaint Louverture) imprimé sur du papier Print Speed ivoire 90 gr, avec une police Tribute.

Donc pour bien montrer que c’est un livre sur le chevalier, on commence par décrire son épouse, Grima, « dame très vertueuse et d’honnête vie, obéissant à son mari, intendante et gardienne de la maison ». On l’a compris, la suite ne va pas verser dans l’eau de rose (on ne va pas non plus tomber dans Millenium). Donc, le chevalier Zifar consomme du cheval (non qu’il soit hippophagique) en abondance (un tout les 10 jours), ce qui coûte cher à son roi (qui le protège).

Revenant au chevalier Zifar, accablé de malheurs, mais soutenu par sa vertueuse épouse, le chevalier abandonne sa terre, le royaume de Tarte, et part en quête de vérité et d'honneur, non sans être mis à l’épreuve par Dieu soi même. Il libère la ville de Galapia, et sa reine par la même occasion, en affrontant le Comte d'Éphèse. Il se fait passer pour fou afin d'infiltrer le royaume de Menton et en deviendra roi. Pendant ce temps (9 ans tout de même), il est séparé de sa femme (enlevée par les pirates), et de ses enfants, Garfin et Roboam. Ceux-ci commencent par avoir des aventures peu communes. L’un est emporté par un lion alors que l'autre disparaît dans une ville inconnue. Rassurez vous, on retrouvera toute la bande plus loin dans le livre.

Le second livre « La Leçon du roi de Menton » est une série de conseils que Zifar adresse à ses deux fils, Garfin et Roboam. Le livre reprend les traités d'éducation, à l'usage de jeunes princes ou d'apprentis chevaliers (je suppose que vous avez tous lu ce genre de littérature en étant plus jeunes).

Le dernier livre « Prouesses et prospérités de l’infant Roboam » raconte l'histoire de Roboam à partir du moment où il quitte le royaume de Menton, ayant pour but de suivre la trajectoire de son père. Il quitte Menton et arrive dans le royaume de Pandulfa (où une dame Gailarde le met à l’épreuve. Il attaque ensuite le roi de Grimaled, et promet à l’infante Seringa de rester à ses cotés. Un peu plus tard, il arrive au royaume de Tigride et des ses quatres fleuves, qui sortent du Paradis Terrestre. Quelques aventures plus loi, le voila banni dans l’empire des Iles Dotées, ou le diable lui apparait sous l’apparence d’une femme. (le diable reviendra plusieurs fois). Bref des aventures palpitantes et passionnantes (ce n’est jamais grivois, désolé).

Lisez cet excellent ouvrage éditorial dans tous les sens du terme.

Dans « le Monde des livres » du vendredi 28 mai 10, un bel article sur « Le Chevalier Zifar ». Beau succès pour Monsieur Toussaint Louverture, dont le représentant (ainsi se présente t’il) m’a fait parvenir un mail avec l’article. « un livre mystérieux, cachant tout à la fois, sous les cuirs et les ors de sa couverture, et entre les lignes d'une édition de poids - 1 120 grammes, pas moins, par temps sec » Le ton est donné, qui ne va pas sans rappeler que l’editeur édite (ce qui est la moindre des choses) un « catalogue borgne pour lecteurs n'ayant qu'un coup d'œil à donner ». Appréciant les livres (et leur qualités éditoriales) de cette maison (dont j’ai déjà souvent fait la critique ici, toujours en termes élogieux), je ne saurais vous conseiller de n’y jeter qu’un œil. En fait, et c’est pourquoi j’en parle ici, l’article insinue la véritable paternité du Chevalier Zifar « serait due à Jean-Marie Barbera, traducteur de la présente édition ». quoiqu’il en soit merci à Dominique Bordes pour cet ouvrage. D'ores et déjà j'en suis à la lecture (assez différente, à vrai dire) de "Zuleika Dobson" de Max Beerbohm.

Écrit par : jlv- Zifar | dimanche, 30 mai 2010

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« Zuleika Dobson » de Max Beerbohm (10, Monsieur Toussaint Louverture, 352 p).

Délicieux écrivain anglais, délicieux, disent ils en parlant de Max Beerbohm. « Incomparable Max » rajoutait George Bernard Shaw. En fait il s’agit de Sir Henry Maximilian "Max" Beerbohm, excusez du peu, le plus jeune des neufs fils d’un grainetier originaire de Lituanie. Bref Max fait ses études à Oxford (Charterhouse School et Merton College) où il rencontre Oscar Wilde et Aubrey Beardsley (il n’est pas secrétaire du Myrmidon Club pour rien). Mais cela ne l’empêche pas de sortir d’Oxford sans diplôme. Il séjourne en Italie où il rencontre Ezra Pound, Somerset Maugham, John Gielgud, Laurence Olivier et Truman Capote (ce qui n’est déjà pas si mal, mais il est vrai que les anglais se regroupent facilement). Voila, vous savez qui le traitait de délicieux. Ce qui ne l’empêcha point de mourir et d’être enterré sous une dalle de Saint Paul’s Cathedral à Londres (on a les caveaux que l’on se créée).

Ces détails biographiques étant établis, passons au roman « Zuleika Dobson ». Cette dernière est la petite fille de son grand-père (tout de même quel sens de la famille chez les anglais), recteur d’un établissement d’Oxford (je n’ai pas pu retrouver lequel, si toutefois il était nommé, il y a bien un Judas College, qui n’existe pas à Oxford, mais qui pourrait ressembler à Merton College). Et donc, cette charmante demoiselle vient rendre visite à son « grandpapa » comme elle l’appelle. Evidemment, on est en 1911, et l’arrivée de cette demoiselle sème grand désordre dans la ville. Lors d'un dîner organisé par son grand-père, elle rencontre le Duc De Dorset, également Duc de Strathsporran et Cairngorm, Marquis de Sorby et Comte Cairngorm, de la pairie d’Ecosse, Comte d’Eniskerry, Marquis de Dorset, Comte de Grove, Comte de Chastermaine, Vicomte Brewsby, Baron Grove, Baron Petstrap, Baron Shandrin, Baron Llfftwcl et Baron Wolock. Il faut ajouter qu’il est aussi Duc d’Etretat de Roche-Guillaume, dans la Pairie de France (Ouf, pitié pour la carte de visite). N’oublions tout de même pas que ce charmant jeune homme est également Peigneur Héréditaire des Chiens du Giron de la Reine (ce qui en soit est une tâche importante). A noter aussi que la réaction première de Zuleika est de lui répondre « que vous me faites l’effet d’un horrible snob » (et toc). Ce grand dadais de Duc (John, Albert, Edward, Claude, Orde, Angus Tankerton, Tanville-Tankerton de par ses petits noms) a toutefois l’idée malencontreuse de lui avouer son amour dès le lendemain de leur rencontre (« J’ai commencé de vous aimer du moment que je vous ai vue »). Hélas, Zuleika est affreusement déçue et renonce donc par conséquent à aimer le Duc. (On n’en est qu’à la page 59, comment vont se dérouler les 290 suivantes ?). Relisant le 4 de couverture, on découvre le final « Si bien que tous décident — par dandysme, par amour ou encore par bêtise —, en une macabre contagion, de mourir pour elle». Serait-ce un livre à la gloire du suicide collectif (à vrai dire, Arto Paasilinna a fait beaucoup mieux dans « Petits suicides entre amis » (03, Denoël, 300 p), j’en ai parlé récemment). On trouve également dans le livre 12 veuves et 14 orphelines (ainsi que le rappelle la dernière page du livre).

Quel beau livre, cependant, et quelles belles histoires d’amour : « Elle courut sans bruit à la fenêtre, l'ouvrit, regarda dans la cour. Elle vit le visage du Duc levé vers elle. Elle recula, tremblante de fureur et jeta les yeux autour d'elle. L'inspiration lui vint : Elle se pencha de nouveau : "Vous êtes là ? murmura-t-elle.
- Oui, oui. Je savais bien que vous viendriez.
- Un moment. Attendez."
Le pot à eau était à terre, près de la toilette. Il était presque plein, assez lourd. Elle le porta sans faiblir à la fenêtre et regarda. "Approchez un peu !" dit-elle.
Le visage levé, tout illuminé de lune obéit. Elle vit ses lèvres former le nom de "Zuleika". Elle visa avec soin.
En pleine figure s'écrasa la cascade illuminée par la lune, rejaillissant de tous côtés, comme les pétales d'une grande anémone d'argent. ».
Même « La princesse de Clèves » n’atteint pas ces sommets dans l’art d’aimer, à vrai dire on se croirait dans « Histoire d’O » (la version traduite, bien sûr).

Bref, cette jeune demoiselle Zuleika sème dans les cœurs de ces jeunes oxfordiens des pensées qui ne peuvent que les éloigner des régates (the Eights) inhérentes à ces villes (Cambridge ou Boston incluses). (En France, les étudiants rament aussi, mais avec d’autres raisons et pour d’autres causes). Je n’irai pas jusqu’à vous dévoiler comment le livre se termine (le 4 de couverture y fait trop allusion), ni comment se terminera l’histoire (Histoire avec un H majuscule) du Duc de Dorset. On apprend de sa bouche au chapitre V, comment deux hiboux, un coucou (un clou et un chou ?) annoncent rituellement la mort des Ducs de Dorset.

Pour les anglicistes chevronnés (ceux qui lisent même dans le texte), je signale une version électronique du livre (désolé Monsieur Toussaint Louverture, mais bon, il n’y a pas les illustrations) sur le site http://etext.virginia.edu/toc/modeng/public/BeeZule.html

Écrit par : jlv- zuleika | dimanche, 06 juin 2010

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Zulma éditions, ce sera pour une fois une revue de trois petits livres d’un même éditeur. (Il faut bien varier les plaisirs). Cet éditeur, que j’aime bien, a toujours de beaux livres, avec une certaine recherche dans la couverture (Davis Pearson)et dans leur présentation (leur site est également remarquable.

Tant qu’on y est dans les recommandations et conseils (gratuits, cela va de soi, mais j’accepterais volontiers les services de presse) vous aurez droit à 2 critiques supplémentaires que sont les deux gros pavés de Hubert Haddad. Attention, ce ne sont pas vraiment des livres, mais plutôt des éléments de lecture (ou d’écriture) pour personnes un tant soit peu curieuses ou créatives (à développer de nos jours de façon intense). HH écrit aussi, sous le nom de Hubert Abraham (à moins que cela ne soit l’inverse) des livres dits pour enfants («Le secret de Fan le Flaneur », toujours chez Zulma, 3eme volume d’une série (« Luna Circus », Zulma en coffret).

« Le Nouveau Magasin d'écriture » de Hubert Haddad (06, Zulma, 944p) tout d’abord. HH présente un vaste regard sur la production littéraire quelquefois en marge des choses habituelles. On passe ainsi du roman habituel aux cadavres exquis surréalistes ou de la nouvelle aux haikus traditionnels japonais. Je parlais plus haut de livres pour enfants, celui-ci contient un nombre certains de « recettes » ou de façon d’écrire (avec quelques exemples ou conseils) qui pourraient avantageusement meubler certaines journées pluvieuses, où les chers bambins (à tête blonde, il va se soi) n’ont d’autre choix que de rester scotché aux machines à décerveler (allons un peu d’inventitude ne saurait nuire). Donc HH explore tout ce qui s’est fait en termes de création littéraire. (c’est aussi valable pour les auteurs en soudaine panne de création ou d'inspiration) ou simplement en termes de regard autre sur le roman, nouvelle ou poésie, sans mentionner le théâtre ou le mot d'esprit (cela vaut bien sinon plus que « Les Grosses Têtes »).

« Le Nouveau Nouveau Magasin d'écriture » par Hubert Haddad (07, Zulma, 640p). Comme on le voit c’est un peu le tome 2 du précédent livre. Un peu différent en ce sens que HH s’attaque aussi à l’illustration et aux photos montages. Avec toujours pour but de régénérer un processus créatif, quelquefois à but de souffle. Caricatures, dessins, gravures, montages surréalistes (Max Ernst), tableaux quelquefois surprenants (Odilon Redon ou Félicien Rops).

Bon, revenons à nos 3 livres.

« Argent brulé » de Ricardo Piglia (10, Zulma, 224 p). pas tout à fait un roman, car basé sur des morceaux d’histoire vraie. RP nous conte la tragique aventure d’une bande de déjantés, camés et en rupture de presque tout. Et ceci dans la fin des années 60, après la chute du régime péroniste (et ses dérives militaro-politico-mafieuses.

Ce roman part d’un braquage réel dà Buenos Aires qui a fait les choux gras des médias en septembre -novembre 65. Les personnages : Malito ou Mereles le Corbeau, Bébé Brignone et le Gaucho Dorda, et enfin Bazán le Bancal. En fait Mereles, le chef ou le cerveau, disparait très vite du roman et RP raconte comment il a fait connaissance dans un train allant en Bolivie avec la « veuve » de Mereles, une fille de 16 ans qui en paraissait déjà 30 (la vie violente, ca use vite). Il faut dire qu’à cette époque, la police de ces pays latino-américains ne faisait pas trop dans la dentelle (c’est dur de faire ainsi à la tronçonneuse, ou au courant haute tension)
Violence des faits (les scènes de la dernière partie quand le groupe est assiégé dans une souricière en Uruguay), la puissance des sentiments (les relations louches entre les hommes, les compagnes de passage) et la brutalité de la police (le gros chef de la police de Buenos Aires, Silva le Cochon, commissaire de la division Vols et Effractions) dépassent de loin la fiction.

Ce livre est véritablement une réinvention du roman noir, essentiellement dans la mesure où il se base sur des événements réels. A coté de toute cette violence inhérente au cadre argentin et uruguayen de l’époque, on trouve quelques moments assez poignants. Ainsi l’histoire de la petite Slave qui vient hanter Gaucho Dorda, ou le souvenir de l’univers carcéral de Federico, l’oncle de Brignone, auraient tendance à rendre humains ces personnages, de toute façon au bout de leurs déviances. « La vie, c’est comme un train de marchandises…c’est lent, ça en finis pas, on dirait qu’il va jamais s’arrêter de passer, mais à la fin tu reste là toujours, à regarder la petite lumière rouge du wagon qui s’éloigne. »


« Le Jardin dans l’île » de Georges-Olivier Châteaureynaud (05 ;Zulma, 167 p).
Genre tout à fait différent, puisqu’il s’agit de nouvelles, fort bien écrites. Ainsi dans « le courtier Delaunay », on a affaire à un courtier qui offre ses services à antiquaire et qui lui ramène (très vite) les objets les plus improbables (un sucrier en argent, une tabatière du XIXe ou même une casquette d'officier anglais de la Grande Guerre) du service à la carte où l’imaginaire rejoint le réel. (« Les regards habités sont si rares, de nos jours ! »).

Tout se joue sur des lieux, tels une prison de marbre (L’Inhabitable), un manoir de province (Château Naguère), ou un pavillon de banlieue (L’Enclos) ou sur des personnages victimes de persécutions (l’Importun), biographe plus ou moins louche (Histoire du pâle petit jeune homme) ou encore un acteur déchu (Figure humaine).
On est à chaque fois dans des univers (un tant soit peu différents), ou sur des terres inconnues, le tout avec leur logique propre, face à des situations tout aussi bizarres.


« Histoire de Byon Gangsoé » auteur coréen anonyme. Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet (09, Zulma, 112 p).

L’histoire est celle d’un homme, Byon Gangsoé, joueur, voleur et buveur qui rencontre une femme en exil. Son nom, qui signifie «rigide comme le fer», est de toute évidence un rappel à son exultante santé sexuelle. Hélas, la jeune veuve qu’il rencontre esrt victime d’une malédiction : tous ceux qui l’approchent passent rapidement de vie à trépas.
Mais Byon en a vu d’autres et ne va donc pas craindre de braver le sort. « Au matin, pétant de santé, il avait écarté les cuisses de sa femme : « C’est noir dehors et rouge dedans, avait-il commenté après un rapide coup d’œil, d’une certaine façon c’est comme le fourneau. Ça s’entrouvre et se referme, ce qui signifie que la reine de la cuisine se sent d’humeur. ».

Réputation sulfureuse, paillardise à la Rabelais, c'est-à-dire très bon enfant et poésie imprégnée de culture chinoise. Le texte est à rapprocher d’un autre texte anonyme « le Chant de la fidèle Chunhyang », (08, Zulma, 189 p).


Enfin autre nouvelle. J’avais dans des temps plus anciens, dit beaucoup de bien d’un livre découvert en indes « Le tigre blanc « de Araving Adiga (08, Buchet- Chastel, 324p) aventures d’un jeune indien, chauffeur de maitre (plus ou moins, plutôt plus que moins) d’un constructeur immobilier. Tout un descriptif des changements de conditions des habitants du sous continent.

Eh bien, vient de sortir un second livre (« Between the assassinations », (10, Atlantic Book, 598 p). Ce livre, en fait écrit avant « le tigre banc » raconte la période indienne entre les assassinats de Indira Ghandi (84) et de son fils Ravij (91). Ce sont en fait de courtes histoires qui décrivent l’Inde du sud, dans un village fictif, Kiittur, au sud de Goa. Histoires rurales, du temps juste avant le grand boom économique. Un vrai régal (j’y reviendrai peut être).

Écrit par : jlv-zulma | jeudi, 10 juin 2010

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Aravind Adiga « Between the Assassinations » (10, Atlantic-books, 396 p)
J’en avais parlé dans ma dernière livraison, voila la critique de ce livre que vous lirez dans un an. Tout d’abord ce n’est pas un vrai livre au sens d’un roman, ce n’est pas non plus des nouvelles, mais des brèves histoires, 8-12 pages avec des personnages différents, pas toujours les mêmes. Le tout se passe, en une petite semaine, dans la ville de Kittur (193 432 habitants, quelle précision pour un pays où les recensements….). Naturellement, Kittur n’existe pas, l’auteur la situe entre Goa et Calicut, soit environ 600 km, sur la cote sud-ouest de l’inde, sur la mer d’Arabie. Soit à cheval sur les états de Kerala au sud, et de Karnataka, le plus grand, au nord. C’est dans ce dernier qu’est située la ville de Bangalore, principale ville qui figure le développement économique récent de l’Inde (nouvelles technologies). Ceci dit l’état de Kerala est traditionnellement stable politiquement, aussi riche que Karnataka, mais plus centré sur l’agriculture et le commerce (les musulmans). On retrouve cette dichotomie au niveau des partis politiques, avec encore une forte influence communiste au sud. Quant aux religions, essentiellement liées musulmans à l’opposition traditionnelle entre musulmans et hindouistes, elles vont être au centre du bouquin de AA.
Donc une suite d’anecdotes qui se déroulent sur une semaine, en quatre grandes parties, après l’’arrivée à Kittur, « comment la ville est organisée, son histoire, ses langues et ses faits marquants ». Avec à chaque fois deux ou trois histoires qui vont mêler un certain nombre de personnages. Le tout se déroule entre l’assassinat d’Indira Ghandi (86) et celui de son fils Raviij (91). Donc dans une période trouble de l’histoire de l’Inde, avec pour fond, des querelles essentiellement inter-religion entre les hindouistes (parti gouvernemental, plus ou moins corrompus) et les musulmans (traditionnellement dans l’opposition avec fort pourcentage communiste, plus ou moins démagogues). On va donc assister à des oppositions pour des pouvoirs, largement entachés de corruption des deux cotés. C’est ce que dénonce AA, comme déjà dans « Le Tigre blanc » qui lui avait valu le Booker Prize en 2008 et que j’avais fort apprécié (et commenté ici même). A signaler que ce livre (« between the assasinations ») est en fait le premier livre écrit par AA, avant donc « le tigre blanc ». Il a été tiré à 16000 exemplaires en premier tirage, le plus haut score en Inde, et n’est pas encore publié aux USA (je l’avais vu et acheté à Amsterdam, mais pas vu en rayons chez Barnes & Noble).
On commence avec l’arrivée à Kippur et sa gare. Y sévit, un certain Ziauddin, jeune musulman noir, attention, pas vraiment musulman, mais plutôt pathan, c'est-à-dire de tradition pasthoune (la notion est importante au niveau de l’histoire). Il faut rapprocher leurs traditions de celles des juifs (autre religion importante du Kerala), dans la mesure où ils sont circoncis et observent le shabbat, ne mangent pas de viande et ont d’autres traditions inspirées de la Torah.
Le contexte étant fixé, on peut passer aux14 autres histoires ou portraits. Tout commence donc à la gare, avec ce Ziauddin, qui vit, ou survit, de (très) petits boulots, payés en deça d’une roupie (un cent d’euro). Et voilà que survient un personnage, quelque peu trouble, mais également d’origine pathan, qui lui demande de compter les trains, remplis de militaires, qui passent par la gare, et ceci moyennant des billets de cinq roupies. On se doute donc de l’arnaque qui est sous-jacente.
La suite du livre fournit une série de portraits, généralement bien troussés en quelques lignes, avec un complément d’histoire qui rajoute à l’humeur générale. On découvre ainsi Abassi, serviteur affable d’autres coreligionnaires musulmans, mais dont le whisky référé est quelque peu relevé en cachette par le pantalon baissé d’Abassi. Shankara fait partie d’une tout autre catégorie, voire même caste. C’est le fils préféré d’un chirurgien plasticien, donc une famille très aisée, et d’une mère de basse caste ("Hoyka"). Cette mésalliance lui vaut de rester une journée entière a genoux, punition infligée par son professeur de chimie, Lasrado, malheureux qui ne peut prononcer les ff. Pour se venger, Abassi va tenter de faire exploser une bombe, très artisanale, pendant un cours. Ramakrishna Xerox, de son nom bien nommé, est un marchand de livres piratés et photocopiés, qui va tenter de vendre les « Versets sataniques » de Salman Rushdie, livre bien sûr interdit. Cela ne l’effraye point, il a déjà été arrêté 12 fois. On pourrait continuer ainsi pour toutes les histoires, avec Soumya, fille désespérée, qui va parcourir toute la ville pour trouver des médicaments pour son père bien aimé, ou Jayamma, cuisinière envoyée dans les familles riches pour engraisser les enfants.
C’est tout une série de portraits et d’histoires courtes qui nous décrivent le sous continent, ses rivalités entre castes, les problèmes larvés entre religions, entre les classes déjà presque riches (je ne parle pas des puissants) et les laissés pour compte de cette société en plein développement. Ne ratez pas ce livre quand il sortira.

Écrit par : jlv- adiga | dimanche, 13 juin 2010

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« Oméga mineur » de Paul Verhaeghen, (10, Le Cherche Midi, 752 p).

Pourquoi Oméga ? Est ce le fameux point Oméga vers lequel nous sommes censés converger, comme l’a expliqué Teilhard de Chardin ? Est ce Ouroboros, le serpent qui se mord la queue que l’on trouve au premier chapitre ? Ou est ce encore cette quantité, densité relative de l’Univers, qui ferait que ce dernier pourrait être fini ou infini selon la grandeur relative de oméga par rapport à l’unité. Est-ce encore le ténébreux projet de bombe Oméga, avec Speer et Heisenberg, dont il est question à la fin du livre ? Est ce l’oméga de la fin (opposé à alpha du début) ? (je reviendrai plus loin sur la signification en physique de oméga).

Quoiqu’il en soit, pour un premier roman de l’auteur, PV, c’est plus qu’un point d’orgue, oméga mineur ou opus magnum. Et voila qu’il est traduit en français par Claro (excusez du peu) (retrouvez son blog sur le clavier cannibale). De quoi s’agit il donc ? De la déconstruction et par la suite l’interminable et inachevée reconstruction de l’Europe. On va donc constamment aller et venir entre la tragédie que fut la montée du nazisme et ses conséquences, aussi bien pour l’’Allemagne, tiraillée entre les Blocs Est et Ouest, jusqu’à la chute du Mur, et la constitution de l’Europe actuelle. Aller-retour dans le temps, entre les personnages, entre les différentes histoires, tout comme la déconstruction-construction de cette partie de notre ère. Donc plus qu’un roman, c’est l’histoire de la conscience européenne, non encore reconstruite. Et pourtant c’est un roman, construit et structuré comme tel. Et pourtant ce n’est pas qu’un roman, mais pas encore un essai, mais il y a déjà une partie spirituelle dans ce texte. Quatre parties empruntent leurs titres à la tradition hindoue et ayurvédique, avec des titres faisant référence au sanskrit - tamas (ténèbres - ignorance), rajas (nuées - passion), sattva (souffle vital – équilibre - vertu). Ce sont les trois gunas, ou qualités fondamentales, gérés par lois fondamentales que sont l’alternance et la continuité. La quatrième partie s’intitule om (le symbole sacré de l’hindouisme) mais c’et aussi la référence à l'atome et à la lettre oméga. C’est également l’alternance entre le flou et l’absolu ou le manifeste. OM c’est également l’abréviation du livre (Omega Minor ou oméga mineur). On voit que ces symboles de l’alternance rythment tout le livre. De plus l’histoire suit une numérotation en 22 sous chapitres, empruntée à l’alphabet hébreu, d’aleph à tav (du bœuf à la croix). Référence explicite aux Sephiroth (cf ce que j’en ai dit à propos de Malcolm Lowry et ses sources de la kabbale, tout récemment). Cependant on ne trouve pas spécifiquement d’allusion à la kabbale, reste les références explicites au judaïsme, tant par Paul Andermans, que par Paul Goldfarb.

Reste encore que ces quatre parties sont très inégales en taille. La dernière partie est très courte (12 p), alors que la seconde fait les deux tiers du livre. L’introduction et la troisième partie sont de taille similaire. Le tout tient en quelques 752 pages, donc impossible à résumer si ce n’est « Tout le XX siècle en un seul roman » la citation est de Richard Powers, un connaisseur en la matière (Lisez « Trois fermiers vont au bal », 04, Le Cherche Midi, 500p, ou encore « The Gold Bug Variations » (W Morrow & Cie, 640 p) qui traite de la découverte de l’ADN, mélangé à la sauce des Variations Goldberg de JS Bach, le grand Jean-Seb).

Cinq ou six personnages principaux. Le principal, Paul Andermans, flamand tout comme l’auteur PV, étudiant en psychologie, en post-doc à Potsdam. Dans le métro il tente de s ‘interposer dans une rixe entre des néonazis et un jeune asiatique. Il se retrouve à l'hôpital. Dans le lit d’à coté, un vieil homme, Jozef de Heers, provisoirement aveuglé après une tentative de suicide. Il est allemand et hollandais par sa mère, mais surtout juif et se dit être un survivant de l'Holocauste. A la sortie de l’hôpital, ils continuent de se voir et Jozef va lui raconter ce que fut sa vie. Se succèdent ainsi la montée du nazisme (épisode grandiose de la Nuit de Cristal), la clandestinité et les camps. Par une succession étrange, d’une carrière de magicien, il en vient à être à l’origine de la construction du mur de Berlin. Mais est ce que la plupart des allemands de l’Est, les Ossis, n’étaient pas forcé d’être quelque peu magicien, pour oublier cette vie de misère et de dupes et la remplacer par la victoire et le règne du peuple ? (Ou bien était-ce l’inverse ?). En parallèle, Paul Goldfard est un éminent chercheur physicien, nobélisé, quelque peu priapique, qui a participé à la mise au point de la bombe atomique avec Oppenheimer (le projet Manhattan). Son parcours est étonnant. Il échappe aux nazis grâce à sa mère et à un pot de poudre de riz, il arrive ensuite à New York comme réfugié, change de nom, de Gottlob (loué soit Dieu) en Goldfarb (couleur dorée), et commence sa carrière en mathématiques. Il doit une partie de sa réputation sur des révélations scientifiques provoquées, ou induites, par l'orgasme (j’avais noté son coté priapique).Un désespoir amoureux le réoriente vers le projet Manhattan. Il est introduit, si l’on peut dire, lors d’une relation sexuelle intense (est-ce de la recherche scientifique ?) avec son étudiante Donatella, colocataire de Paul. Le sperme de Goldfarb et censé contenir la possibilité d’une naissance (« Im Anfang war die Tat. Au commencement était l’Acte ». Ce sera donc l’acte de genèse du récit et en même temps le rappel au mythe d’Ouroboros et le point oméga cher à Teilhard de Chardin. « Un cercle presque parfait décrit par le ruban de foutre cascadant, un serpent acrobate qui essaie -mais sans résultat- de se mordre la queue ; un ancien symbole grec, la lettre Oméga, en majuscule Ω » Ayant abordé les trois personnages masculins, et la liaison qui se fait entre eux via Donatella, reste à introduire Hannah, jolie jeune femme, vénitienne, astrophysicienne, et colocataire de Goldfarb. Elle recherche un mystérieux « monopole magnétique ». C’est un fameux point de discorde en physique théorique, les aimants communs ayant tous deux pôles, et non un seul. C’est ce qui diffère singulièrement tous les objets et faits, qui ont tous une fin, de la saucisse, qui en a deux. Elle (Donatella, pas la saucisse) est accessoirement aussi la maitresse de Goldfarb (comme quoi la recherche offre des possibilités variées). A coté de Donatella, il y a cette trilogie de Helena – Aria - Mira ou Nebula. Cette dernière est une jeune cinéaste pornographe, grenouillant dans les milieux punks, qui cherche avant tout à démystifier le coté rescapé de la Shoah de Jozef.

La première partie (Tamas, soit l’obscurité ou l’ignorance) commence par « le nom ». Rassurez-vous, je ne vais pas commenter ainsi les 22 sous-chapitres. Et là, très vite on va découvrir G*tt c’est à dire D’ieu (l’allemand (G*tt) et l’anglais (G*d) sont plus facilement traduisibles dans cette adaptation hébraïque où le nom de YHVH ne comprend pas de voyelles (et ne doit pas être écrit ou prononcé). Et cela va être « la lutte du Texte contre le Monde » (avec la victoire de ce dernier). Cela va servir à introduire le moribond voisin de Paul « Name des Patienten : Jozef de Heer » et la référence qui suit : « Joseph, le charpentier silencieux. Le père du faux Messie ». Le ton est donné, les références aux traditions juives vont bientôt surgir, émanant de ce Jozef, qui va se décrire comme rescapé de la Shoah.
Et les références à la vieille culture germanique vont bientôt suivre. Tout d’abord Berlin, LA ville « Berlin est le New York de l’ancien monde ; le seul vrai New York de l’ancien monde, une ville qui a assez de « cojones » pour danser au bord du précipice de la splendeur et la damnation », puis la culture en général. « On aime Mozart, on a fabriqué Mozart, notre culture l’a fait. Ainsi que Goethe et Schiller. Et naturellement Wagner ». Ah, cette fameuse et fantasmatique MittelEuropa (sans vouloir revenir aux empires austro-hongrois ou aux dominations de quelques grandes familles sur notre monde). Ce « Berliner Luft , l’Air berlinois »Il est vrai que cette appartenance à une Europe (enfin) Unie marque (ou devrait marquer) d’avantage notre caractère et façon de penser et d’agir. Mais cela n’a empêché ni le Kosovo, ni le peu de réaction face à Abu Ghraib (PV avait lui, fortement réagi).
Lors de ses rencontres avec Jozef, on va apprendre que Paul, en fait est étudiant en psychologie, mais sa spécialité c’est la mémoire. « Maintenance, encodage, stockage, rappel ». Toute cette introduction se déroule environ sur une centaine de pages. C’est un peu long et difficile à suivre, dans la mesure où il n’y a pas vraiment de rapport entre les différents personnages (voir plus haut) et où les événements ne sont pas décrits de façon linéaire. On a des morceaux d’un puzzle que l’on se dit surement intéressant à recoller entre eux.
Autre morceau du puzzle, mais que peut on vraiment en faire : le chant des oiseaux qui apparaissent ou disparaissent selon les scènes. Cela commence avec la première phrase de la partie I « la première chose que je remarquai, ce fut que les oiseaux s’étaient remis à chanter ». On retrouvera les oiseaux à Auschwitz « avec les oiseaux qui se taisaient » ou encore « le cri strident d’un pinson polonais », mais « les oiseaux vivent haut perchés, et ils voient tout ». Cela fait penser au bouquin d’Arno Surminski « Les oiseaux d’Auschwitz » (09, JC Gawsewitch, 190p). Le prisonnier Marek apprend à dessiner, puis à empailler les oiseaux pour favoriser les recherches du garde SS Hans Grote. Images quotidiennes de l’horreur, qui tranchent avec ces sorties du camp pour observer les corneilles, qui elles même observent la construction du camp de Birkenau.

Seconde partie II. Rajas (Passion)
C’est le gros chapitre du livre (p 121-597), un livre à lui tout seul, mais non séparable de l’introduction, et de sa terminaison (avant une conclusion).
Véritable entrée en scènes de Paul Goldfarb, prix Nobel. Et comment définit il les qualités pour être Nobel : Etre juif puisqu’un quart à peu près (36 % des Nobles américains précise t’il plus loin) des Nobel sont juifs. « Et Moi, Goldfarb, l’incomparable gardien des secrets les plus reculés du passé » « je suis la plus grande autorité ici bas sur le Début Absolu », « je suis un voyant ». Comme quoi on peut être à la fois prix Nobel et modeste. S’ensuit alors un chapitre tumultueux dans lequel Goldfarb raconte son enfance en Allemagne, avec la montée du nazisme, la vie de sa mère, avec une intrigue au pot de poudre de riz, le tout mixé avec la légende du Minotaure.
C’est aussi la partie principale du récit de Jozef De Heer, dont Paul Andermans entreprend d’enregistrer l’histoire sur son portable. L’histoire débute avec l’incendie du Reichtag (33) « der Reichtag brennt », puis il y aura le prétexte du meurtre commis par Hermann Grynszpan pour déclencher la nuit de cristal, les camps et surtout Auschwitz et son docteur Mengele, la fin des camps (avec des références, sinon des emprunts à Primo Levi et « Si c’est un homme » (96, Laffont, 301p), puis la chute de Berlin, la RDA et Ulbricht, puis Honecker, la construction du Mur et cette promenade surréaliste entre deux hommes, disons Helmut et Mikhaïl, qui devisent « Marché conclu » avant d’aller « dans un bon vieux Kneipe à l’ancienne ». Tous ces récits sont bien sûr décrits de façon non-linéaire. Des aller-retour fréquents de l’un à l’autre, dans les parties II et III, ont un effet de boucle qui augmente l’atrocité des faits. C’est une sorte de symétrie qui rappelle la finitude-infinitude de l’Univers, tout comme le mélange des récits de Jozef et de l’histoire Goldfarb, ajoute à la tension interne du roman.

Partie III Sattva (souffle vital – équilibre - vertu) on s’attend donc à voir l’intelligence mise en exergue, mais cela commence par un chapitre intitulé « Mensonges ». On en est à la page 595, tout va donc s’accélérer. Nebula y est présente, Jozef De Heer aussi, mais est ce bien lui, ou est-ce cet autre, malade atteint de scarlatine à Auschwitz. On y retrouve également le sinistre docteur Mengele et ses expériences prétendument scientifiques sur les jumeaux. Et parmi les enfants jumeaux, il y a Aria, fille d’Helena, future mère de Mira-Nebula.
Où l’on retrouve le fantasmagorique projet de bombe Oméga, fomenté par Speer, avec la complicité de Heisenberg. On sait que ce dernier fut l’un des concepteurs du projet Uranium (Uranprojekt), initié en 39, puis le directeur du programme d’armement nucléaire au Kaiser Wilhelm Institut de Berlin. Sa brouille avec Niels Bohr décide ce dernier à rejoindre Oppenheimer et le projet Manhattan. Où l’on retrouve aussi le Métatron (ne pas confondre avec « le Biglotron, que les plus hautes autorités internationales s'accordent à reconnaître comme la plus étonnante découverte de notre temps et qui, dans un avenir d'autant plus proche qu'il sera moins éloigné, est appelé non seulement à servir à tout, ce qui est la moindre des choses, mais encore et surtout à n'importe quoi, y compris tout ce qui en découle, sans préjudice du reste et de tout ce qui s'ensuit. ». Bien sûr c’est de Pierre Dac, et n’a aucune relation ni avec ce qui précède, ni avec ce qui va suivre). Pour en revenir au Métatron, la tentative de conception allemande de la bombe avorte. Goldfarb est parti pour le Nouveau Mexique, déçu dans ses amours, et réa lisant finalement son humble condition humaine et sa vanité « J’ai découvert qu’il était possible de parler sans croire à ce que l’on dit, de penser sans espoir, d’écrire sans avoir rien à dire ».

Dernière partie IV Om, le principe absolu, et pourtant, celui-ci oscille tout le temps entre le flou, ou nirguna, et le manifeste, ou sarguna. (On note en passant que guna est le patronyme de Helena et de sa fille et petites fille). Très courte partie, puisque de 12 pages seulement dans un chapitre dénommé « epi-tav », jeu de mots sur le tav, dernière lettre de l’alphabet hébreu. Et tout se termine, à nouveau par une scène d’amour. « Il n’y aura pas de fin du monde. Jamais de fin ». A-t’on résolu la finitude de l’Univers ? Mais là on parle en milliards d’années. En changeant d’échelle, pour nous autres humains qui existons sur cette terre depuis quelque dizaines millions d’années tout au plus, et encore à plus petite échelle, les chaos de notre dernier siècle, quelle a été notre histoire ? A-t’on assisté avec le Berloshima à un re-commencement, une re-fondation ? « Berloshima aussi est notre origine » « Nous aussi nous sommes maintenant des survivants », protégés qu’ils l’ont été par la D’éesse (en fait les D’éesses).

Je reviens sur l’incipit, une très belle phrase de Elie Wiesel « Pour ma part, je dirai que tous les livres sur la vie pèsent moins qu’une vie d’homme ». Après tout, pourquoi n’aurais-je, moi aussi, pas droit à ce retour, cette boucle sans fin ? On a dit que ce livre était « Tout le XX siècle en un seul roman ». Il est vrai que PV nos retrace les dérives du nationalisme nazi et de l’éclatement de l’Europe, coupée en deux pour des seules fins idéologiques. On pense au fameux discours de Dominique de Villepin à l’ONU en 03 « Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu la guerre et la barbarie ». Etonnant que ce livre soit écrit par un flamand, lorsque l’on sait ce qui se passe aujourd’hui dans ce pays déchiré, mais qui s’inscrit dans le processus fondateur de l’Union Européenne. Il me faut rappeler ici la genèse du livre, après un premier roman « Lichtenberg » (06, Meulenhoff/Mantea, 341 p). C’est l’histoire de Tom Pepermans, jeune chercheur, personnage d’un livre écrit par une certain Lichtenberg. Tom se met toujours dans des situations extravagantes et finit par se suicider, tout comme l’auteur. D’abord écrit en néerlandais, langue maternelle de PV, « Oméga mineur » a été ensuite traduit en anglais, mais cette version a été vite abandonnée, PV préférant le traduire lui-même (il vit aux USA) et finalement publiée sous le titre « Omega Minor » (07, Dalkey Archive Press, 640p). PV était préalablement connu pour ses travaux en psychologie cognitive (U Leuven, GeorgiaTech), et particulièrement sur l’érosion de la mémoire avec l’âge. En 06, il refuse pour Oméga Mineur le Flemish Culture Award for Fiction, doté de 12500 €, car forcé de payer des taxes aux USA, qui auraient alimenté l’effort de guerre en Irak. Cette somme a ensuite été versée à Human Rights Watch et à l’American Civil Liberties Union. En 08 il obtient le Independent Foreign Fiction Prize dote de £10000 qu’il reverse à the American Civil Liberties Union, le tout bien sûr justifié par de violentes critiques contre la guerre. (Le gagnant du prix IFFP cette année (10) est Philippe Claudel pour « Le rapport de Brodeck » (07, Stock, 414 p).
De même, les réactions que les peuples ont pu avoir à propos des atrocités de ce siècle. On commence à admettre celles qui suivent la nuit de Cristal et qui se terminent dans les camps avec la Shoah. On a volontiers une larme pour Hiroshima et Nagasaki. Mais pourquoi occulter Dresde ou Hambourg, Cologne, Lubeck ou la Ruhr. Si les nombres officiels pour les deux bombes japonaises sont d’environ 100000 morts, celui des villes allemandes est presque d’un ordre de grandeur plus important. Seule la chute de Berlin est invoquée dans ce livre. Et cependant il semble que la montée même de la violence soit le plus important dans ce livre. Violence qui vient autant des punks et autres marginaux « les jeunes Allemands de l’Est sans le sou ont-ils vraiment le choix ? » que des nazis et leurs victimes « L'Holocauste a dépouillé ses victimes de quelque chose d'essentiel, à savoir l'obligation de se préparer à une mort personnelle, intime », des savants qui préparent les armes de guerre « Ici, dans le désert où D'ieu a signé ses contrats avec son peuple, ils ont commis le plus effrayant des adultères ». Le tout se prévalant d'« une chaîne de responsabilité qui remonte aux premières tentatives de l'homme pour contrôler la nature ».
J’ai, par curiosité, cherché dans les travaux scientifiques de Paul Verhaeghen, ce qui pouvait se rapporter ou se rapprocher de « Oméga Mineur ». Il y a des travaux portant sur la différence de comportement de la mémoire entre les jeunes (2-3 ans) enfants et des adultes, ainsi que sur la dynamique de la mémoire et la créativité (qu’il relie volontiers au suicide, voir « Lichtenberg » plus haut). Durant le processus d’acquisition mémoriel, PV travaille sur l’encodage et la mise en mémoire de l’information. Du coup on se pose des questions sur la nature même de Jozef et de témoignage de rescapé de la Shoah (puisé chez Primo Levi). Et si tout cela était invention pure (comme le laissent deviner certains révisionnistes, sans vouloir entrer dans le débat). A cela, Paul Andermans montre un certain scepticisme. La réponse est en partie donnée par Jozef : s’adapter et se transformer, par quelque magique procédé. «Quelle que soit la personne qui bat et distribue les cartes, l’histoire qu’elles racontent est toujours la mienne, la mienne et celle de nombreux autres : l’histoire de l’humanité, une histoire de duperie et d’injustice». C'est l'illusion du savoir" résultant de ce que le cerveau humain (et PV est bien placé pour en parler) a tendance à remplir les « trous » de mémoire à sa façon, la moins dérangeante possible pour la suite des évènements. On croit savoir ou connaître, alors qu’en réalité on se contente de ce remplissage de crane. C'est la leçon de WLADIMIR, nom de scène du magicien qui va initier Jozef, et dont Maruschka est l’assistante (« Maruschka und WLADIMIR treten auf ! » dit l’affiche). « Le vrai magicien fait voir à son public ce qu’il veut qu’il voie, et rien d’autre ».
Cette réflexion sur la nature humaine est également entreprise au niveau de l’écriture. De Heisenberg également cette citation « Ce qui compte, ce n'est pas la vérité, ce qui compte c'est notre perception de la vérité. » à laquelle Paul Andermans répond « Ma croyance puérile dans la littérature comme divertissement a disparu depuis longtemps. Nous ne pouvons pas changer le cours des choses, mais ce que nous pouvons faire c'est retravailler le texte jusqu'à ce qu'il crée l'illusion que le monde a bel et bien changé, ou qu'au moins une partie du monde est devenue moins absconse. ». De même cette réflexion de PV sur la vie et le mode de pensée en RDA « Les communistes plâtrent génitif sur génitif. Vous écoutez maintenant le président de la délégation du Présidium du Soviet suprême de l’Union des Républiques soviétiques socialistes », qui trouve son écho dans « Der Dativ ist dem Genitiv sein Tod” collection de 4 livres de Bastian Sick (04-09, Kiepenheuer und Witsch, Köln), qui se veulent une référence grammaticale en Allemand.
Pour finir je reviens sur Oméga qui fait allusion à une question fondamentale de la physique moderne, à propos de la finitude ou non de notre Univers. C’est LA question que se posent Goldfarb et Donatella. Globalement, si l’univers est fini, cela implique que son expansion doive un jour se terminer, et s’inverser dans une puissante contraction (et ainsi de suite), laquelle ferait disparaitre énergie, matière et temps. Ce que Donatella résume ainsi «Il manque une pièce du puzzle ». Cette pièce est la valeur inquiétante d’un des paramètres fondamentaux de l’Univers, le paramètre Oméga, plus connu sous le nom de constante cosmologique. « Einstein l’a découvert, il en avait besoin pour ses équations comme facteur de correction. Plus tard, il l’a désavoué comme étant la plus grosse ânerie qu’il eût jamais concoctée. Il se trompait : Oméga est le paramètre dont on a besoin pour décrire l’univers.»

Écrit par : jlv - verhaeghen | dimanche, 20 juin 2010

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20 Under 40 -2
La dernière « livraison » annonçait la liste du New Yorker (numéro du 7 juin 10) publie la liste des vingt auteurs du monde entier, de moins de quarante ans, qui comptent aujourd’hui dans le monde. Cette liste (http://www.newyorker.com/fiction/20-under-40/writers-q-and-a ).

Je continue donc avec cinq auteurs C.E. Morgan, Salvatore Scibona, Rivka Galchen, Chimamanda Ngozi Adichie et Nell Freudenberger


------------------------------- C.E. Morgan ----------------------------------------------------------

C.E. Morgan, née en 76 à Cincinnati dans l’Ohio, vit maintenant à Berea dans le Kentucky où elle a fait ses études. On reste donc dans l’Amérique profonde et rurale. Etudes au Berea College, Kentucky et ensuite à la Harvard Divinity School, c’est un département de Harvard University, Cambridge, Massachusetts. Elle s’y forme en théologie et reconnait volontiers que ses sources d’inspirations ont été les mythes de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Ses préférences en tant qu’auteurs vont à Cormac McCarthy (« Des villes dans les plaines », « La route », David Foster Wallace « La Fonction du balai », Denis Johnson « Le nom du monde », « Rêves de train » « Un Pendu Ressuscité », Marilynne Robinson « La Maison de Noé », et surtout « Gilead ».

« All the Living » (10, Farrar, Straus and Giroux, 208 p). Le titre est emprunté à l’Ecclésiaste 9:3-6. (Pour une fois, je vais faire appel à mes humanités chez les pères, et vous citer ce qui a conduit CEM à écrire (en fait j’ai tout bonnement demandé à google d’éclairer mon cierge).
9:3 Ceci est un mal parmi tout ce qui se fait sous le soleil, c'est qu'il y a pour tous un même sort; aussi le cœur des fils de l'homme est-il plein de méchanceté, et la folie est dans leur cœur pendant leur vie; après quoi, ils vont chez les morts. Car, qui est excepté?
9:4 Pour tous ceux qui vivent, il y a de l'espérance; et même un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort.
9:5 Les vivants, en effet, savent qu'ils mourront; mais les morts ne savent rien, et il n'y a pour eux plus de salaire, puisque leur mémoire est oubliée.
9:6 Et leur amour, et leur haine, et leur envie, ont déjà péri; et ils n'auront plus jamais aucune part à tout ce qui se fait sous le soleil.

« All the Living» n’est pas traduit en français pour l’instant. J’ai donc du travailler sur l’édition américaine.
Le récit de « All the living » est relativement simple. Une jeune femme, Aloma, vient vivre avec Orren dans sa ferme de famille, dans un vague village appelé Kentucky, apparemment dans le Sud profond des USA. Orren (lire plutôt Orphée) est planteur de tabac. Il vient de perdre sa mère et son frère ainé dans un accident d’auto et il est le seul héritier du domaine familial. « C’est une famille réduite à l’unité ». Aloma, par contre n’est pas préparée, ni à vivre dans cet endroit, ni à soutenir Orren dans son travail de deuil. L’été arrive, avec la sécheresse et Orren devient de plus en plus taciturne. Le problème se pose alors à Aloma, soit tenir son rôle, très effacé, de maitresse de maison à la campagne, soit continuer dans son rêve de devenir pianiste. « Elle dit que la musique se trouvait autant dans le silence que dans le son. Sans silence il n'y a pas de répit dans la cacophonie.». Cela pourrait se faire avec le soutien de Bell Johnson, un jeune pasteur très charismatique, qui va d’ailleurs lui suggérer de servir à l’église.
Aloma se bat avec les tâches ménagères, empoisonne les poussins avec des graines mouillées et se bat avec un coq particulièrement vicieux (il est ensuite écorché et vide par Orren qui lui apporte les ergots en cadeau). Orren lui se morfond à propos de son tabac et ne cesse de travailler ses champs. « Sa peau devient si sombre que l’on dirait qu’il n’est pas de la même race qu’elle ». La vie à la maison n’est pas meilleure. « Il ya deux maisons sur la propriété - l'ancienne, dans laquelle elle vit avec Orren, est hanté par ses ancêtres, un piano négligées et des portraits de famille, ce qu’Aloma a jamais eu. La nouvelle, bien plus moderne et mieux équipée, est par contre abandonnée. Dans ce document est un instantané d’Orren quand il était, mais qui souffert d’une inondation. C’était l’endroit, avant que l’eau ne se retire, où sa mère et son frère ont vécu. Orren veut se placer lui-même à une époque qui n'a ni avenir ni passé. ».
C’est plutôt une nouvelle dans laquelle ce qui n’arrive pas ou ce qui n’est pas dit est le plus important. C’est donc un roman tout en faux relief. L'intrigue fonctionne de la même manière. Les personnages conduisent des camions et tracteurs, mais il n'y a ni discussion de la politique nationale, ni allusion aux événements actuels. Sans parler de la non connexion à Internet. Aloma et Orren pourraient tout aussi bien être aux prises avec leurs problèmes actuels, ou ceux du siècle dernier. De même, la langue a des cadences propres et les particularités d'une communauté isolée. Parfois, ce qui est dit peut signifier exactement le contraire, que, lorsque Bell, le pasteur suggère « Quelle importance que vous veniez de jouer ce morceau pour moi – dit-il – si vous vous en fichez ». En fait CEM nous donne un portrait de l'amour à la fois simple et compliqué. En effet, ce n'est pas l’éclair de l'orage qui marque le tournant des relations entre Orren et Aloma, ni l’achat de poulets par Aloma grâce à l'argent qu'elle a gagné l'église, ni la naissance d'un veau, mais la simple déclaration d’Orren qui a besoin de son aide aux champs, et le fait qu’ Aloma réalise enfin qu'elle veut lui apporter quelque chose.
CEM utilise avec délectation toute une série de mots « anciens » ou désuets dans notre littérature moderne « fleuron, mortaise, tenon ». Elle développe en même temps un style qui joue ou invente de nouveaux verbes. « Aloma hymne tout en marchant» ou sa «voix décortique dans un murmure. ». Lorsque l’épicier prie Aloma de lui dire si le garçon de ferme (Orren) est maintenant son mari: «Tu as foutument raison », dit-elle sans brocher et son visage n'a pas changé, mais une rougeur illumine ses joues avant même que sa phrase se termine. Le sourire de la femme retombe graduellement jusqu'à ce que ses lèvres soient un petit trait rouge dans la moitié inférieure de son visage. Elle « défrise » sa main en forme de serre, paume vers le haut. « Seize dollars, quatre-vingt quinze » dit-il. » Aloma, orpheline à 3 ans, n'a vécu que dans le «double manque » de ses parents. Lors de la très belle scène du vêlage, la tête de veau « gonflait soudain comme un ballon ensanglanté hors du canal de naissance. »

------------------------------- Salvatore Scibona ----------------------------------------------------------

Salvatore Scibona est né en 75 dans l’Ohio et passe sa jeunesse à Strongsville, dans les faubourgs de Cleveland, Ohio. C’est là que ses arrières grands-parents se sont installés après avoir émigrés d'Italie et de Pologne. Etudes au St John's College de Santa Fé, Nouveau Mexique jusqu’en 97, puis MFA (Master of Fine Arts) de Iowa University en 99. Il passe ensuite une année en Italie avec une bourse Fullbright, puis du Fine Arts Work Center à Provincetown, Massachusets.
Son premier roman « The End » (08, Graywolf Press, 320 p) traduit en français « La Fin » (10, Bourgois, 364 p) a déjà reçu de nombreux prix.
Nouvelles également dans Threepenny Review, New Yorker (“The Kid”), Saul Bellow's News from the Republic of Letters, The Puschart Book.
La Fin est son premier roman. Salué par la critique, il a reçu le prestigieux prix du premier roman de la New York Public Library : The Young Lions Fiction Award 2009 ainsi que le Norman Mailer Cape Cod Writing Award for Exceptional Writing 2009. La Fin a également fait partie des finalistes du National Book Award et de l'Ohioana Book Award. Salvatore Scibona vit à Provincetown, Massachussets, où il dirige le « writing fellowship » du Fine Arts Work Center qui accueille chaque année des écrivains en résidence. Il travaille actuellement à une nouvelle et à un roman.

« The Kid » (« Le garçon »), nouvelle parue dans le New Yorker, 14 juin 10). Un petit garçon (5 ans environ) est perdu dans un aéroport (Hamburg-Fuhlsbüttel Airport). Il ne parle pas. Qui est-il, d’où vient-il ? « Je m’appelle Laurence. Comment t’appelles-tu? » « Ich heiße Elisabeth. Wie heißt du? ». Silence (il est peut être Lituanien). « Quieres hablar conmigo, hermano? ». « No, he is Estländer».
Cela démarre bien. Avec le père et la mère ainsi que synchronisme passé-présent. Et pourtant tout se gâte très vite (la nouvelle fait environ 10 pages). On n’imagine mal les raisons pour lesquelles des parents abandonneraient leurs enfants (et cela d’autant plus que l’on est américain). On reproche alors à SS de ne pas avoir expliqué plus longuement le pourquoi de cet abandon (réaction très émotive de la part des américains).
En effet le récit passe soudainement à celui de Elroy Heflin, un soldat affecté à l’ambassade US de Riga, en Lettonie. De là, on passe à une sombre histoire de croisière en Norvège entre Evija, une russe, que Elroy drague, et un petit garçon, le tout payé par Elroy. Puis on retrouve Elroyd, promu caporal, chez son père, du coté de Los Alamos, Nouveau Mexique. Suit une histoire compliquée entre Elroy, Evija et Janis dont on ne soit d’où i sort. Ce n’est qu’à la fin qu’on reconnecte le tout, le petit garçon perdu et Janis.

Nouvelle donc quelque peu absconse. Il m’a fallu reprendre plusieurs fois le texte et laisser en suspens qui était qui. Le style n’est pas en cause (et pourtant les va-et vient ne sont ni évidents, ni même annoncés). Transitions plus qu’abrupte, il faut arriver à la fin de la nouvelle pourtant courte pour en saisir le fond.

« La Fin », son grand roman, SS a mis dix ans pour l’écrire.
Une farandole de six personnages dont le centre serait un mort. Voila résumé de façon brève le livre « La Fin » (« The End ») que SS a mis dix ans à écrire. Le roman comprend 5 parties, et 7 chapitres+ quelques sous chapitres (en fait il y a deux chapitres consacrés au même personnage). Il commence le 15 aout 53, le jour d’un carnaval de rue à Elephant Park, dans les environs de Cleveland, Ohio, endroit qui ressemble fort à Murray Hill-Mayfield Road dans la même ville (Little Italy, le quartier italien). L’histoire se passe sur plusieurs décades (7 en fait) avec des allers et retours dans le temps.
Rocco La Grassa est un boulanger (1.54 m) d'origine italienne (57 ans, né le jour de la Sainte-Lucie en 1895) « grand amateur de bonbons au caramel entre huit heures du matin et deux heures de l’après-midi ». Il vit dans la banlieue de Cleveland. Sa femme, Luigina (Madame Chauderrière - Mrs. Loveypants dans l’original ou Mrs Slip d’Amour) est partie avec ses trois enfants dans le New Jersey, pour travailler dans une fabrique de confiseries (c’est juste après la crise de 29). Le jour du carnaval, il apprend qu'un de ses fils, Mimmo, engagé dans l’armée, vient de décéder dans un camp de prisonniers en Corée du Nord. (La guerre de Corée vient tout juste de se terminer). Il décide de tout arrêter et de fermer sa boutique pour aller dans le New Jersey afin d’identifier le corps. Comme c’est le jour du carnaval, les rues très animées, surtout à Elephant Park. Défilés, parades et chars, dont le américains sont friands, et auxquels les émigrés adhèrent volontiers se succèdent. La journée forme l’ossature principale du roman. SS la narre à travers la vision de Rocco toujours sous le choc de la mort de son fils, ainsi que par ses voisins. Parmi eux on va découvrir Lina, couturière et Ciccio, son fils et Costanza Marini, femme âgée (93 ans), qui fut autrefois une avorteuse reconnue (on est dans un quartier soumis à la pression de l’Eglise). On découvre aussi Gary Ragusa, honnête père de famille et un bijoutier qui pleure sa lui aussi un mort, en l’occurrence sa sœur, mais qui joue de la scie (musicale ?). Avec en plus des personnages comme Enzo, dont on ne sait trop ce qu’il est si ce n’est le mari de Lina (ou alors j’ai lu trop vite).
Chaque chapitre est plus ou moins centré sur un personnage (mais ce n’est pas toujours le cas). On a donc des aller-retour dans le temps et dans l’espace. Ainsi Rocco est à Cleveland au début du roman, mais on le retrouve très vite, plus ou moins perdu en route vers le New Jersey, aux chutes du Niagara. Ainsi donc sa boussole interne, au lieu d’aller droit vers l’est, l’a emmené vers le nord-est, le long du lac Erié. Il en est de même pour les passages concernant Mme Marini. Non point qu’elle aille quelque part autre, mais elle, voyage dans le temps (être, après avoir été). On assiste même à la rencontre avec son mari, il y a une soixantaine d’années (elle a 93 ans).
On assiste à la vie de ces émigrés, surtout italiens, mais on voit aussi apparaître les slovaques et quelques russes. On découvre quelle fut la vie, pas toujours rose de ces gens, arrivés pauvre, maintenant dans la classe moyenne, qui essaient de garder leurs souvenirs, traditions (par exemple cette fête du 15 aout). Cette classe, essentiellement laborieuse et besogneuse a survécu à la grande dépression (certains passages sont des années 36) au prix parfois de sacrifices humains. Ainsi la femme de Rocco est partie dans le New Jersey avec ses trois fils.
Le style du roman est également très intéressant. Toutes les scènes dans lesquelles Rocco traverse Cleveland, sans trop s’y intéresser d’ailleurs, pendant la journée du 15 aout sont décrites de façon remarquable. On a ainsi des bribes de conversations entendues au fil des gens « Tout est en place, mais rien n’est en ordre » précède « Je m’en souviens pas très clairement, voyez vous, parce que c’est pas arrivé », puis un prêtre dit « Il ne vit pas ici ». Morceaux de conversations, de vie, perçus çà et là. De temps en temps aussi des phrases étranges « Le contraire de mourir c’est d’avoir une famille. Donc ne pas avoir de famille c’est être mort » ou bien « As-tu pissé sur mon plancher, ou t’y es tu vautré comme une truie ? », « Que le sabbat (en fait le shabbat) aille au diable, ainsi que Noel et la Pentecôte » (entre parenthèses, le 15 aout c’est le jour de l’Assomption et non de l’Ascension, ceci pour Brice Matthieussent, le traducteur) (mais « que celui qui n’a jamais péché…. me demande des conseils). La scène de Rocco aux chutes du Niagara, à la frontière avec le Canada est également savoureuse. S’engageant sur le pont qui même au Canada, il fait soudain demi tour et donc arrive au poste de douane US « ‘C’est un pont. Vous pouvez le prendre dans un sens ou dans l’autre. Vos pouvez vous rendre de notre coté ou du leur. Je constate que vous êtes maintenant ici, mon gars, et le seul endroit d’où vous pouvez venir c’est le Canada ». Bel exemple de logique administrative et douanière.
Le roman n’est pas tant la situation de Rocco face à son deuil, mais plutôt celui d’une classe de gens, généralement pauvres, qui ont quitté le plus souvent l’Europe (ah son Lanzio natal…), ont trimé dur pour arriver à avoir une vie décente. « Ma conscience ressemble à une lumière très vive que je braque sur la chose que j'ai en tête, avant de passer à une autre ». Un grand roman.
------------------------------- Riva Galchen ----------------------------------------------------------

Rivka Galchen. Née en 1976 à Toronto. Ses grands parents, d'ascendance juive, avaient émigré de Minsk en Palestine, puis les parents d’Israel au Canada dans les années 70, et ils s’installent ensuite très vite aux USA. Elle grandit à Norman, Oklahoma. La famille fait la pluie et le beau temps dans la mesure où le père Tzvi Gal-Chen était professeur de météorologie à School of Meteorology, University of Oklahoma (on lui doit des mesures Doppler radar sur les vents ainsi que des constantes thermodynamiques). Sa mère fait de l’informatique au National Severe Storms Laboratory, également à Norman. La fille, Rivka, fait des études à Princeton, se marie (01), puis fait un doctorat (03) en médecine (spécialisé en psychiatrie) à la Mount Sinai School of Medicine, New York. Elle change ensuite de voie et elle suit un MFA à Columbia University (06).
Son premier roman, « Atmospheric Disturbances » (09, HarperPerennial, 272 p.), est traduit en « Perturbations atmosphériques » (09, Actes Sud, 284 p).
Elle a signé ou co-signé quelques articles scientifiques
«Death Comes (and Comes and Comes) To The Quantum Physicist » (07, The Believer)
«Was Einstein Wrong?: A Quantum Threat to Special Relativity » avec DZ Albert (08, Scientific American)
«Disaster Aversion: The Quest to Control Hurricanes » (09, Harper's Magazine).

Ainsi que des nouvelles ou essais
«My Mother, Myself » (07, The New York Times)
«The Region of Unlikeness » (08,. The New Yorker).
«Wild Berry Blue » (08, Open City)
«She's Not Herself: A first novel about marriage and madness » (08, The New Yorker)
«Once an Empire » (10, Harper's Magazine)
«From the pencil zone: Robert Walser's master worklets » (10, Harper's Magazine).

« Perturbations atmosphériques » est donc son premier roman, autobiographique, ou presque, puisqu’il met en scène son père, Tzvi Gal-Chen, professeur de météorologie et membre d'une Académie Royale de Météorologie fictive (« The Royal Academy of Meteorology »). Le livre est, en outre, illustré de photos de famille.
Le psychiatre Leo Liebenstein en est encore tout baba. Sa femme, Rema a disparu. Mais « En décembre dernier, une femme est entrée dans mon appartement qui ressemblait exactement à ma femme ». Entre en scène Harvey, un client de Leo, qui pense pouvoir contrôler le temps. En menant l’enquête, il tombe sur les écrits de Tzvi Gal-Chen, météorologiste. Tout est écrit. On a à la fois le père (dont RG a gardé le vrai nom, en hommage ?, celui-ci est mort brutalement à 53 ans), et la science (cf les écrits de RG sur la météorologie et sur Einstein et la physique quantique). Et là tout bascule car le dit météorologiste, de l’Académie Royale de Météorologie est en conflit quasi cosmique avec les “49 Pères quantiques” (« The 49 Quantum Fathers ») qui prétendent eux aussi pouvoir contrôler le temps. (C’est là un clin d’œil évident à Thomas Pynchon et son livre « Vente à la criée du lot 49 »).

A la sortie de « Atmospheric Disturbances » les critiques américains ont vu la patte de Jorge Luis Borges et de Thomas Pynchon.
La filiation avec Pynchon se fait par le mélange entre écrits scientifiques (les conditions météorologique, les effets mesures Doppler en technologie radar (une technique mise au point par le propre père de RG) ou la notion même de Rema et de son double (une espèce d’effet Doppler appliqué aux personnes). C’est actuellement la mode aux USA (depuis Pynchon ou encore Richard Power («The Gold Bug Variations » (912, W Morrow & Cie, 640 p)). La filiation avec Borges se fait par le dédoublement de la personne (cf la nouvelle « Le Zahir » dans « l’Aleph » (67, Gallimard).

« The Crying of Lot 49 » (66, J.B. Lippincot, 183 p) de Thomas Pynchon, traduit en « Vente à la criée du lot 49 » (87, Seuil, 212 p) (selon Pynchon, c’est « l’événement littéraire du millénaire » (« If they come out on paper anything like they are inside my head then it will be the literary event of the millennium »., mais c’est aussi, toujours selon TP « une nouvelle avec des problèmes hormonaux» (« a short story, but with gland trouble »). L'intrigue du « Lot 49 » est résumée au beau milieu du livre, avec la description d'une pièce de théâtre baroque).Oedipa Maas, une jeune femme, 28 ans, découvre l'existence d'un réseau postal secret. C’set du Pynchon, donc assez obscur. Mais en fait c’est une réflexion sur le sens « Mais vous ne comprenez pas. (Il s'énervait.) Vous êtes tous comme des puritains devant la Bible. Obsédés par les mots, les mots. Savez-vous où cette pièce existe ? Ce n'est pas dans ce classeur, ou dans ce livre de poche que vous cherchez (ici, une main surgit soudain de la vapeur et pointa un index vers son front), c'est ici, dans ma tête. C'est à cela que je sers. A incarner l'esprit. Les mots, qui s'en soucie ? Ce ne sont que des bruits appris par cœur, pour franchir la barrière des os dans la mémoire des acteurs. C'est dans cette tête qu'est la réalité. Dans ma tête. Je suis le projecteur dans le planétarium, avec tout ce petit univers fermé visible dans le cercle de cette scène qui jaillit de ma bouche, de mes yeux et, parfois, d'autres orifices également. »

Refusant, en tant que scientifique, l’évidence de la présence de cette femme, il part donc à la recherche de la Vérité. « Je savais que mon raisonnement était post hoc » (c'est-à-dire fondé sur la notion que parce qu'un évènement arrive après un autre, le premier est la cause du second, ce qui conduit à des croyances erronées). Il part cependant à la recherche de ses questionnements, se considérant « en mission » pour la Royal Society…Ce qui va le conduire à Buenos Aires et en Patagonie.
Il est vrai que RG a étudié la psychiatrie, ce qui fait que Léo peut être un équivalent à l'auteur. Il est vari aussi que le Tzvi Gal-Chen est le nom du père de RG. Et que c’était un météorologue reconnu. Donc, vu sous cet angle, le roman prend une toute nouvelle perspective et peut donner lieu à diverses interprétations. Le livre peut alors s’interpréter comme une véritable lettre d’amour de RG à son père, Tzvi.
Ce qui peut apparaître comme la simple histoire d'un homme qui peut éventuellement avoir une psychose intéressante, devient alors un splendide examen de notre capacité à nous connaître, nous et ceux qui sont proches de nous.



------------------------------------ Chimamanda Ngozi Adichie ---------------------------------

Chimamanda Ngozi Adichie, née en 77 à Enugu au Sud-Est du Nigéria. Elle passe sa jeunesse à Nsukka, la ville universitaire, à une cinquantaine de kilomètres plus au nord. Son père était professeur de statistiques et sa mère y travaillait également à la scolarité. À 19 ans, elle quitta le Nigeria pour les USA (96), Drexel University à Philadelphie, puis à Eastern Connecticut State University, Windham, Connecticut aux cotés de sa sœur, qui exerçait la médecine à Coventry afin de poursuivre des études de communication et sciences politiques (01). Elle fait ensuite un master de lettres à Johns Hopkins, Baltimore, puis intègre un MA d’études africaines à Yale.
Trois romans de publiés « Purple Hibiscus » (03, Anchor, 307 p) traduit en français par « L’Hibiscus Pourpre » (04, Anne Carrière, 416 p) suivi par « Half of a Yellow Sun (07, Anchor, 560 p) également traduit en « L'autre moitié du soleil » (08, Gallimard, 499 p) et plus récemment un recueil de nouvelles « The Thing around Your Neck » (09, Knopf, 240 p).

Des nouvelles également dans plusieurs revues, poèmes et pièces.
« For Love of Biafra » (Pour l’amour du Biafra) (99, Spectrum, 112 p)
« Decisions » (97, Minerva Press), (Décisions)
« Sheer Beauty », (96, Prime People). (Beauté Absolue)
« We dream » (98, Poetry Magazine). (On rève)
« Visiting Nigeria », (01, Poetry Magazine). (Visite au Nigéria).
« New Husband », (03, Iowa Review ) (Nouveau mari).
« Ghosts » (04, Zoetrope: All Story ) (Fantomes).
« Jumping Monkey Hill », (06, Granta) (En sautant la colline du singe)
« Cell One » (07, The New Yorker) (Cellule Numéro 1)
« The Headstrong Historian » (08, The New Yorker) (L’historien tétu).

« L’Hibiscus Pourpre » est son premier roman.
On pourrait croire à un roman autobiographique. L’action se passe à Enugu, grosse ville du sud est du Nigéria, et Nsukka, la ville universitaire un peu plus au nord. Ce sont effectivement les lieux de naissance et de jeunesse de CNA. Le milieu, l’ethnie ibo, avec le père Eugène, riche industriel et propriétaire du journal (d’opposition) « The Standard », la tante Tatie Ifeoma, universitaire, correspondent plus au moins au milieu dans lequel CNA a passé son enfance. Sauf que son père n’avait rien de la rigueur d’Eugène. De plus le roman se déroule une dizaine d’années avant la naissance de CNA. Les premiers poêmes de CNA sont cependant imprégnés de grande
La narratrice, une jeune fille d’une quinzaine d’années, Kambili, vit avec son frère Jaja, sous la coupe d’un père extrêmement religieux, voire intégriste, sous l’emprise stricte du catholicisme des pères (prière de 20 minutes avant les repas « Tu veux manger ton riz froid ? », sévices corporels pour purifier les esprits…). Il terrorise ainsi ses enfants, leur défendant d’aller dans une maison où vit un païen non converti – en l’occurrence son père. Ceux-ci ont tout de même le droit d’aller voir leur tante à Nsukka, et d’y rester à la suite de troubles à Enugu, au cours desquels l’éditeur en chef, Ade Cooker, du journal d’Eugène est assassiné.
Le livre est globalement construit en trois grandes parties, avant, pendant et après ce séjour. Avant, on nos décrit le milieu familial, régi par la peur du péché (écouter la radio, vivre ou rencontrer des païens, laisser son corps s’exprimer) (« c’était un péché pour une femme de porter un pantalon ») Pendant le séjour, c’est naturellement une autre ambiance qui s’installe, avec une relation trouble entre Kambili et le Père Amadi, et des discussions entre les enfants, Jafa et Kambili, avec Obiora et Amaka. La rencontre avec le grand-père, Papa-Nnukwu, est également source de découverte de l’autre ; avec une sensibilité différente. La séquence du réveil matinal et du salut aux éléments du Papa-Nnukwu est une découverte pour Kambili. La mort du grand –père est également un moment fort du livre. Enfin, après cette visite, c’est la révolte qui s’installe chez les deux adolescents, révolte sévèrement punie pour Kambili.
Le tout est sur fond de crise politique dans le pays, on est juste avant la sécession et la guerre du Biafra (67-70). La corruption fait rage (l’épisode de la remise d’un billet par le chauffeur lors d’un barrage de police). La population manque de tout (bonbonnes de gaz, essence, aliments). Les libertés sont restreintes (un seul journal d’opposition).
On découvre aussi une société nigériane coupée en deuxn découvre aussi une société nigériane coupée en deux. D’un coté, les riches, dont Eugène qui ont maison et nourriture en abondance, même s’ils distribuent une partie de leur richesse « Le titre de Papa était Omelora, après tout : « celui qui œuvre pour la communauté » ». Ceux-ci ont vioitures 3mercedes ou Lexus », « des chaines hi-fi ,des livres de cours et des frigos »De l’autre coté, et c’est le cas de la tante, Tatie Ifeoma, on manque de presque tout et la nourriture est plus que rationnée. Idem pour les déplacements à l’intérieur du pays.
Le livre dénonce aussi cette double catégorie de gens via les torts que cela engendre pour l’avenir politique et économique du pays. « A quoi nous sert un diplôme, si nous ne trouvons pas de travail ». C’est le problème des classes instruites qui partent du pays « Les gens instruits s’en vont, les gens qui ont le potentiel pour redresser les torts. Ils abandonnent les faibles derrière eux. Les tyrans continuent de régner parce que les faibles n’ont pas la force de résister ». Mais d’un autre coté, leur situation en tant qu’expatrié n’est pas mieux là où ils vont « Toutes les années que j’étais à Cambridge, j’étais considérée comme un singe qui a développé la capacité de raisonner ».

Second roman « L'autre moitié du soleil ». Le titre est déjà en soi tout une histoire. Cela correspond au drapeau de la république éphémère du Biafra, trois bandes horizontales rouge, noir vert et un demi-soleil jaune dans le noir. Ce dernier a onze rayon, pour symboliser les onze provinces par opposition, le drapeau du Nigéria est constitué de trois bandes verticales, vert, blanc, vert. Le roman est emprunt de politique, dans la mesure où NCA y rappelle notamment le rôle de la Grande-Bretagne dans la genèse du conflit, et les intérêts économiques qui amenèrent la dissolution forcée de la jeune république. Cependant NCA évite d’en faire un livre historique ou polémique, bien qu’elle décrive les massacres qui vont faire plus d’un million de victimes.

La crise débute par une alliance des ethnies Haoussas, en majorité musulmans et des conservateurs Yorubas, qui s’opposent aux Ibos, catholiques ou chrétiens.
Fin mai 67, Ojukwu proclame l'indépendance de la République du Biafra avec Enugu pour capitale. Les compagnies pétrolières Shell et BP décident de lui verser directement les royalties et non plus au Nigeria. C’est vraiment le début de la guerre, d’ailleurs soutenue par la France (les French Doctors, mais aussi le SDECE, ses mercenaires et Bob Denard. Famine de la population et finalement un cessez le feu est signé début 70.
Le roman expose la situation vue de trois personnages différents. Les scènes se passent à Lagos, la capitale. Olanna, jeune femme provenant d'un milieu aisé avec son mari Odenigbo, mathématicien. Ugwu un adolescent (13 ans) qui travaille comme domestique pour Odenigbo. Enfin, Richard, un anglais fasciné par l'art ibo qui vit avec Kainene, la sœur jumelle d'Olanna.
Au début de la sécession, après l’adoption du drapeau, les soldats biafrais cousent sur leur manche le demi-soleil, symbole de leur pays.




------------------------------------------ Nell Freudenberger ---------------------------------------------

Nell Freudenberger, née en 75 à New York. Diplôme à Harvard. Elle voyage ensuite pas mal en Asie, à Bombay entre autres, et est professeur d’anglais en Thailande pendant un an. Mariée, elle vit maintenant à New York.
Sa première nouvelle « Lucky Girls » paraît dans The New Yorker en juin 01, puis trois autres nouvelles dans Granta. « The Tutor » (le Tuteur), été 03, « God and me » (Dieu et moi) au printemps 06, « Where the East meets West » (où l’Est rencontre l’Ouest), été 07, et enfin « Grandmother’s House » (La maison de grand-mère) dans The New Yorker.
Quelques articles de voyage essentiellement dans la revue Travel + Leisure, tels que « The Beijing Art Scene », conseils et indication sur où aller et que faire en Chine. Ou encore la courte nouvelle chez Powell « How I Became Afraid of Bugs» (comment je suis devenue terrifiée par les cafards).
Deux livres aussi pendant cette période, le recueil de nouvelles « Lucky Girls » (03, Harper Perennial, 256 p) au titre éponyme en français « Lucky Girls » (08, Quai Voltaire, 331 p ) puis un roman « The Dissident » (07, Ecco, 427 p) lui aussi traduit, en « Le Dissident Chinois » (10, Table Ronde, 450 p). Un autre roman en préparation « The Newlyweeds » (Les nouvelles semences).
Ses préférences pour les auteurs qui ont pu l‘inspirer vont à Grace Paley (« The Little Disturbances of Man » (59, Penguin) « Long Walks and Intimate Talks » (93, The Feminist Press at CUNY), auteur essentiellement féministe, et R.K. Marayan (Rasipuram Krishnaswami Narayanaswami) « The Man-Eater of Malgudi » (61, Penguin) (« Le Mangeur d'homme » ‘81, Acropole) et « Under the Banyan Tree » (85, Viking), traduit en « Sous le banian » (94, Belfond) deux romans sur la vie quotidienne en Inde du Sud.

Les nouvelles et articles courts
« The Tutor » l’histoire d’une américaine à Mumbai (Bombay).
« God and Me ». Comment dessiner Dieu (avec une chemise de pirate, des pantalons de harem violets, et un fez rouge et en dessous une coupe de cheveux au bol).
« Where East meets West ». Un livre à la mémoire de la grand-mère de NF, Martha Clapp Freudenberger, professeur de latin, décédée à 97 ans, et collectionneuse passionnée d’argenterie et de timbres de passeport. Les changements de mentalité et des habitudes des américains vus par une retraitée.
« Grandmother’s House » Une très courte nouvelle, qui commence dans un avion, avec la lecture de « The Hungry Tide » (La marée affamée) de Amitav Ghosh, qui se passe dans le sud du Bangladesh, autour du delta du Gange. Invitation à la visite par la voisine de siège et découverte de la maison de la grand-mère.

« How I Became Afraid of Bugs». Pourquoi a t’on (les femmes surtout) peur des cafards (on pas des petits, mais des grosses blattes d’eau (et pourquoi arrivent ils à passer dans des interstices aussi peu épais) ? Le livre de William Glass est pourtant un des écrits les plus remarquables à ce sujet « Order of Insects » (nouvelle dans « Au cœur du cœur de ce pays » (95, Rivages) (la femme du narrateur est fascinée par les blattes d’eau - Periplaneta orientalis-) (c’est également l’auteur de « le Tunnel » (07, Cherche Midi, 720 p) très bel ouvrage à lire). Donc pour en revenir à la nouvelle, quand la narratrice n’a plus d’insecticide à portée de mains, que fait-elle ? Elle se rappelle un vieux souvenir à Delhi, où leur appartement était envahi de blattes. La propriétaire leur conseille alors de répande du Lakshman Reika (du nom tiré du Ramayana). (Lakshman est chargé de prendre soin de sa belle sœur, Sita, dans la forêt, pendant que Ram part chasser le daim doré- qui est, on l’a deviné, un démon. –cercle magique atour de Sita et promesse de ne pas en sortir. – démon tentateur. – et ce qui devait arriver advint.). Dans la nouvelle le produit n’a pas la même efficacité que dans le poème (Hélas tout fout le camp de nos jours).
Après encore bien des essais, on en vient à l’écriture d’une sombre nouvelle indienne (envoyée au New Yorker) à la suite de laquelle NF devient l’auteur que l’on connait à présent.

« Lucky Girls » Premier recueil de 5 nouvelles de NL. On vient de voir la transition (très habilement emmenée) entre les séjours asiatiques de NL et son gout pour l’écriture. Donc, premier recueil, en 03, traduit en 08 chez Quai Voltaire.

« Lucky Girls » (Filles chanceuses) Première nouvelle qui donne le titre au recueil. Une américaine, la trentaine environ, peintre, vient de passer cinq and en Inde. Réminiscences de Arun, un Indien dans la belle cinquantaine, rencontré aux US lors d’une visite à une amie originaire de Delhi. Départ pour Delhi où elle devient la maitresse d’Arun, mais bientôt mort de ce dernier. La nouvelle débute par la rencontre avec la mère d’Arun, après sa mort. Rencontre plutôt froide (« Est ce une forme de préjugé ». Retour sur ses raisons de partir « Cela parait difficile de décider où l’on doit revenir ». Les parents ? « Il est exclu que ce soit Boston –le père- ou la Californie –la mère ». L’Inde ? aucun atome crochu avec la famille d’Arun. En conclusion cette « lucky girl » (fille heureuse) semble terriblement isolée, perdue et seule.
« L’orphelin » (The Oprhan) Alice et Jeff se sont séparé, il y a six mois, mais ils n’en ont encore rien dit à leurs enfants, pourtant adultes. La fille est partie à Bangkok, et téléphone à sa mère que son petit ami thaïlandais l’a battue et violée. En fait, une méprise liée à la différence de culture (« a misunderstanding... a cultural thing, actually. »). Un peu plus tard, Alice et Jeff décide d’aller en Thailande pour Noël – en particulier pour parler de leur divorce. En fait c’est tout autre chose qui se passe lorsqu’ils rencontrent le copain de leur fille. Quelques mois plus tard, alors qu’Alice et Jeff partent ensemble en Thaïlande rejoindre leur fille et leurs fils pour un court séjour, ils ont l’intention de leur parler du divorce à venir, mais c’est tout autre chose qui se passe. Notamment à propos d’une restaurant au nom mal prononcé «C’est ce à quoi ressemble la démocratie » ('This is what democracy looks like), ou alors paroles pour le moins malencontreuses du père « Nous ne sommes pas riches. On est à l’aise. On donne à Yale » (We're not rich. We're comfortable. We give to Yale.). En bref, une incommunicabilité totale.
« Le tuteur» (The Tutor). Une nouvelle à propos de Zubin, un tuteur indien et Julia, une fille d’un patron lycée américain qui a des difficultés pour finir d’écrire son test d’admission en lycée (et éventuellement en terminer aussi avec sa virginité). « Quand je suis ici, je veux écrire sur l’Amérique, et quand je suis en Amérique, je veux toujours écrire à propos d’ici » (When I'm here, I want to write about America, and when I'm in America, I always want to write about being here).
« Hors de la porte orientale » (Outside the Eastern Gate). Retour à Delhi d’un écrivain américain, la quarantaine, exactement 30 ans après que sa mère soit partie d’Inde vers Istanbul dans un bus orange rempli d’objets d’art et de tablettes de chocolat. Le narrateur n'est pas tant à la recherche de sa mère que celle ci est à la recherche d'une explication. Pourquoi sa sœur aînée a été emmenée, puis laissée en route. Retour ensuite aux USA et suicide de la mère. « Retourner aux USA ressemblait à un réveil du plus beau rêve que tu ais jamais eu » ('Going back to America was like waking up out of the most beautiful dream you'd ever had).
« Lettre du dernier bastion » (Letter From The Last Bastion). Un vétéran, Henry Marks, de la guerre du Vietnam devient écrivain reconnu « D’avoir eu un tel paquet d'expériences, à la fois personnelles et typiques de sa génération, il lui est donc possible d'écrire à la fois sur sa propre vie et sur la vie du siècle en Amérique» (to have had discreet packets of experience, which are both personal and typical of his generation, so he's able to write about his own life and the century in America at the same time.). (Pas si modeste que cela l’écrivain). Il reste cependant partagé entre la vie dans une petite ville américaine et les réminiscences de la guerre. Le bastion en question est Lancaster, en Pennsylvanie « Le dernier bastion de la décence dans les états de l’Amérique moyenne» (the last bastion of decency in the mid-Atlantic states). La nouvelle prend la forme de lettres écrites par une fille de 17 ans, qui veut devenir optométriste et le vétéran qui veut écrire sur les adolescents.

« Le Dissident Chinois » (10, Table Ronde, 450 p). Roman, publié tout d’abord aux USA « The Dissident », (06, Ecco, 464 p), puis en Angleterre et traduit en France sous le titre « Le dissident chinois ».
« Il y a plusieurs types de mensonges » selon Yuan Zhao, le narrateur. Celui-ci, dissident chinois, est à Los Angeles pour un an, dans le cadre d’un échange artistique et donne des cours d’art à St Anselm’s, une école de jeunes filles. Il est hébergé par la famille Travers composée par Cece, la mère et Gordon, psychiatre passionné de généalogie et professeur à UCLA en un ménage qui part un peu à la dérive, plus deux enfants Olivia et Max. Olivia est obsédée par sa taille, qui doit rester mince, d’où calcul permanent des calories ingurgitées et dépensées, tandis que Max, arrêté en possession d'une arme à feu (« l’accident ») est soumis à des travaux d’intérêt général. Le retour à Los Angeles de Phil, le frère de Gordon qui a une relation ambigüe avec Cece sème un plus le trouble dans le ménage. Phil est scénariste pour Hollywood et occasionnellement découvreur de races animales inconnues. Il faut rajouter Freud et Prométhée, les deux chiens du couple.

Le roman est basé sur l’alternance de deux récits, celui de Yuan Zhao (à la 1ère personne), et celui de Cece (à la 3ème personne). Le jeune chinois évoque surtout la mouvance artistique de l’East Village, un quartier de Pékin au début des années 90. (Le village, lieu de création – et de dissidence- est finalement rasé en 01). On découvre ainsi son talentueux cousin X et June une jeune écolière américaine, chinoise de naissance. Cela donne lieu à des réflexions intéressantes sur l’art et son sens. Qu’est ce que l’art et qu’est ce qui n’en est pas? En tant qu'œuvre éphémère la photo d’une performance artistique, seule témoin qui subsiste, appartient elle à l’artiste ou au photographe? (Un génial photographe de l’East Village, Rong Rong, est maintenant mondialement reconnu). Il n’est cependant pas sûr que Yuan Zhao soit du même gabarit que les autres artistes de l’East Village. J’y verrais plutôt un pale copiste.
Le récit de Cece est d’un tout autre registre. Cette américaine est surtout partagée entre la préservation de l’unité familiale, qui vacille fortement et ses propres désirs envers Phil en particulier.
Désirs inassouvis, opportunités ratées et faux semblants, tout le roman vise à faire découvrir le coté caché des choses, à mi chemin entre identité vraie et apparence. « Une part de nous-mêmes ne demande qu’à être démasquer ». Et ceci est autant valable pour Cece que pour Yuan Zhao. La présence, et la confrontation de deux cultures n’est finalement pas tellement abordée. On reste sur sa faim, et ceci d’autant plus que la passé et le vécu de NF, ainsi que « Lucky Girls » semblaient se focaliser sur cette pluriculture.
La dichotomie imposée par le découpage entre Pékin et Los Angeles, rythmée par des chapitres courts, facilite la lecture. La partie chinoise est pleine de création et d’inventivité, notamment dans le questionnement sur « la politique et l’art et même la mort ». par opposition la partie américaine reste souvent beaucoup plus terre à terre

Écrit par : jlv - 20 under 40 -2 | mercredi, 07 juillet 2010

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Apres les 5-6 épisodes des « 20 under 40 » qui traitaient des jeunes « meilleurs » auteurs sélectionnés par le New Yorker, après « Le cas Lazarus » de Aleksandar Hemon et après « Oméga mineur » de Paul Verhaeghen, (ouf) j’ai décidé d’aller voir un peu ce qui se publiait chez les auteurs américains. Bien aidé en cela par ce qui se publie dans « The NewYorker » et surtout par ce qui se traduit et se publie dans la collection « Lot 49 » du Cherche Midi (Claro et Arnaud Hofmarcher).
Je vais donc essayer de faire, comme je l’ai fait avec la série « 20 under 40 » (mais peut être avec plus de temps), une revue de ces auteurs, parfois classés sous le générique de « post-modernes ». Ce sera ma « période américaine », qui jusque là n’a pas été trop ma tasse de thé (penchant plutôt pour l’Europe Centrale et l’Asie).
Avant cela, et pour en finir avec, un premier auteur, que je n’inclurai pas dans ces post-modernes, mais qui vient de faire son buzz dans le pico-cosme de l’édition. Je vise ainsi Jonathan Franzen, dont la photo à la une du Time (12 aout 10) en a fait une Grand Auteur Américain. Et ce après J.D. Salinger (61), Vladimir Nabokov (69), Günter Grass (70), John Updike (68, puis 82), George Orwell (83), Tom Wolfe (98), Toni Morrisson (98). Premier point : on devrait le mettre en seconde position ex aequo après John Updike, qui a eu, lui, deux fois cet honneur. J’ai donc voulu en savoir plus sur ce génie, dont je n’avais jusque là, pas daigné ouvrir et lire une œuvre (Nobody is perfect).
Jonathan Franzen, né en 59 à Chicago, enfance dans le Missouri, près de Saint Louis (que l’on retrouve dans ses livres « la zone d’inconfort » et « les corrections »). Auteur de « The Twenty-Seventh City » (88, Picador, p) (La 27e ville, 04, L’Olovier, 707 p), « Strong Motion » (92, ) (La 27e ville) « The Corrections » (01, Picador, 576 p) (Les Corrections, 02, L’Olivier, 716 p) « How To Be Alone » (03, Picador, 320 p) (Pourquoi s’en faire, 03, L’Olivier, 235 p) , « The Discomfort Zone » (01, Picador, 528 p) (La Zone d'Inconfort, 07, L’Olivier, 252 p) et « Freedom » (10, Farrar, Strauss and Giroux, 576 p), non traduit en français et à peine paru, mais dont de longs extraits sont parus en 09 dans le NewYorker.

Hélas (ou heureusement, c’était le plus mince) j’ai commencé par « La zone d’inconfort ». Le titre est bien choisi, sil l’on fait révérence à ce que ressent le lecteur. Donc d’après le 4eme de couverture, c’est le négatif d’une autobiographie. (Je suppose que ce sont ces termes éditoriaux pour qualifier un non-livre). Six chapitres qui relatent les déboires de l’auteur et de ses frères et sœurs à la mort de sa mère, et à la vente de sa maison, située près de Saint Louis, Missouri. En vrac on a droit à de longues interrogations, aussi bien sur la politique de Bush, sur l’ouragan Kattrina qui a frappé La Nouvelle Orléans, sur un voyage en Allemagne, ou d’ailleurs JF a été en post doc, à la Freie Universität de Berlin.
Je veux bien que l’on fasse, a posteriori, de longs commentaires sur la relation entre Schroedder et Beethoven ou entre les combats fantasmagoriques de Snoopy avec the Red Baron. De là à en faire une réflexion philosophique….
Passons à la suite, avec « Les Corrections » et c’est là que je me suis félicité de n’avoir pas commencé par ce pavé (716 p). Une brave famille américaine du Middle West (elle a du – et continuera à- voter Bush et républicain). Le mari, Alfred, est en proie à Alzheimer, tandis que sa femme Enid, en bomme mère de famille, essaie de préserver un semblant de cohésion dans la famille, avec ses trois enfants (grands maintenant). L’ainé, Chip, futur scénariste, surement de talent, mais cela reste encore à prouver, accumule pour le moment les échecs sentimentaux. Denise, tenancière de restaurant renommé, hésite entre une bisexualité politiquement correcte et son rôle de fille modèle. Le dernier, Gary, marié, 3 enfants, reproduit la cellule familiale parentale (il vote aussi républicain). Et on tartine le tout sur plus de 700 pages (hélas).
Que cela ait été une des meilleures ventes aux USA ne m’étonne pas. Dans le même registre, mais peut être un ordre de grandeur du chiffre d’affaire en moins, Jean Paul Dubois « Une vie française » (04, L’Olivier, 356 p) a fait de même en France. Je n’irai pas jusqu’à la comparaison, ce serait valoriser l’un ou l’autre.
Pour finir, et essayer de garder une opinion de cet auteur, « Freedom », qui a justifié la couverture de « Time » c’est l’histoire de Walter et Patty Berglund, un couple de Saint Paul, Minnesota, pour aller vivre a Washington. Leur séjour à St Paul en a fait les « jeunes pionniers de Ramsey Hill ». En fait cette ville, attenante a Minneapolis, et que l’on dénomme souvent les Twin Cities (les villes jumelles), ne leur laisse que peu de souvenirs. L’action se passe aussi en référence au 11 septembre (une oedipienne référence au fait que « les Corrections » est sorti la semaine qui précédait cet évènement ?). Naturellement la famille et les amis, les Blake et les Paulsen, sont républicains. N’ont-ils pas un sticker sur leur 4*4 « I’m White and I vote » (Je suis blanc et je vote). Cette famille donc a un fils Joey et sa copine Connie, et une fille Jessica, auxquels s’ajoutent, les amis pour les parents, Richard Katz, un vieil ami de collège du père et un artiste de rock douteux, ainsi que quelques voisins et amis. Walter, le père est à la tête du Cerulean Mountain Trust (Halliburton n’est pas si loin), une boite un tant soit peu réac, qui sous couvert d’écologie mal comprise, participe à la destruction des Appalaches pour en extraire le charbon (avec le soutien – complicité – des autorités (également républicaines). Il y a en plus Lathila, l’assistante de Walter, qui a tout à ses yeux, ce que Patty n’a pas. Cette dernière essaye de vivre en mère quasi modèle, quoique dépressive. Elle a été démocrate dans des temps plus anciens et a du mal à gérer les changements de la société. Un long chapitre, narré de son point de vue, décrit les affres de sa reconciliation avec sa mère, New yorkaise et d’ascendance juive. Quant aux enfants… (long chapitre dans lequel Joey avale son alliance avant de partir en vacances avec sa chérie) et autres (longues scènes de motels et de matelas douteux lors d’un séjour de Walter et Lathila en Virginie de l’Ouest, sous prétexte de visiter les mines de charbon.
On constate qu’il y a là tous les ingrédients pour faire pleurer Margot (et sourire son banquier).

Écrit par : jlv-franzen | samedi, 04 septembre 2010

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Lot49, c’est le titre de la collection du Cherche Midi, dirigée par Christophe Claro et Arnaud Hofmarcher. (Pour le premier, on dit Claro tout seul, ainsi que l’appelle sa famille. Le second est également aux commandes des Editions Sonatine (à découvrir). Naturellement, ce titre de Lot49, fait référence à « Vente à la criée du lot 49 » (Crying of Lot 49), un roman de Thomas Pynchon (66, Seuil, 212 p). Une vingtaine de titres parus à ce jour (j’en ai compté 23 à ce jour), des maigres (188 p pour « Arréter d’écrire » de David Markson) à des plus denses (709 p pour « Le Tunnel » de Willam H. Gass). A cette collection, il convient d’associer d’autres auteurs américains, publiés chez d’autres éditeurs dont le déjà nommé Thomas Pynchon (Seuil), William T. Vollmann (Actes Sud), James Flint (Au Diable Vauvert), William Gaddis (Plon), Don Delillo (Actes Sud), ou encore Jonathan S. Foer (Editions de l’Olivier). Ils font partie de ce que l’on nomme les écrivains post-modernes, un mouvement littéraire (qui déborde largement dans les autres domaines artistiques) apparu à la fin des années 70.
Il m’est, pour l’instant, hors de question de lire toute les œuvres de ces auteurs, dont beaucoup de titres ne sont pas encore traduits. Rien que le « Infinite Jest »de David Foster Wallace (96, Little Brown, 1080 p), (relié, un vrai pavé, 1.5 kilo), me fait un peu peur… La façon, aussi, dont j’ai abordé ces auteurs, sans ordre précis et sans trop de continuité par auteur, m’empêche de refaire ce que j’ai fait précédemment pour les « 20 under 40 », c'est-à-dire une courte bibliographie, et un regard sur chacun de leurs ouvrages. Il est sûr que, pour moi, la découverte de certains de ces « 20 under 40 », ainsi que d’autres textes (Aleksandar Hemon, Paul Verhaeghen, Jonathan S. Foer) a constitué un choc. Par contre, le premier abord avec certains textes dits post-modernes, n’a pas toujours été facile. Ainsi le gros volume de « Thésaurus » de Don Delillo (08, Actes Sud, 1538 p) qui regroupe 5 romans, ne m’a jamais réellement emballé, et je n’ai pu en lire que 3 parties de romans en un mois. De même, un premier essai de lecture de « L’arc en ciel de la gravité » (07, Seuil, 768 p) s’est achevé à la page 85.
Cependant, je dois reconnaître que la lecture de « La fonction du balai » de David Foster Wallace (09, Au Diable Vauvert, 578 p), « Point Oméga » (09, Actes Sud, 142p) de Don Delillo, ou même « Vice caché » (10, Seuil, 350 p) de Thomas Pynchon, ont même été agréables, et au demeurant fort lisibles.
Au programme de cette première livraison : William Gaddis, Don Delillo, Thomas Pynchon, Brian Evenson et Lydia Millet. Allez en route…..


----------------------- William Gaddis ------------------------------

William Gaddis (22-98) n’a publié que 5 romans, tous traduits. « Les reconnaissances» , 2vol (73, Gallimard, 1000p) (The Recognitions, 55, Penguin, 976 p), « J R » (75, Plon, ) ( J R, 75, Penguin, 752 p), « Gothique Charpentier » (06, C. Bourgois, 348 p) (Carpenter's Gothic, 85, 272 p), « Le dernier acte » (99, Plon, 516 p) (A Frolic of His Own, 94, Scrigner, 512 p) » et « Agonie d'agapè » (03, Plon, 136 p) (Agapē Agape, 02, Penguin, 128 p).
Commençons par « Agonie d'agapè » (03, Plon, 136 p) de William Gaddis. Pourquoi cet ouvrage ? C’est en fait le testament littéraire de l’auteur, et ce sous forme d’une confession d’un vieil homme sur un lit d’hôpital, mais en forme d’accusation. Le roman est publié à titre posthume (WG est mort en 98), et le livre est suivi d’une postface par son fils, Matthews Gaddis.
Le titre tout d’abord Agapè Agape, (02, Penguin, 113 p), retour sur une vie de lecteur (celle de WG) qui fait appel à Platon, et d’une pléthore d’autres personnages, comme Johan Huizinga, cet historien hollandais spécialiste du Moyen Age, voire même de Pynchon et de son « Arc en ciel de la gravité » ou de toute une théorie d’informaticiens, de Von Neumann à Babbage. Un long monologue sous forme de logorrhée sur 110 pages, sans beaucoup d’alinéas, ni de point en fin de phrase. Il faut reconnaître que c’est assez rébarbatif à lire. Par delà la forme, le fond est beaucoup plus fort. Un plaidoyer pour la culture « Mona Lisa et La Cène sont devenues de l'art de calendrier à suspendre au-dessus de l'évier de la cuisine ». Ce père de trois filles, malade, fait quelquefois penser au Roi Lear, mais comme le dit son fils « Les filles avocates se détruisent entre elles à coups de procès et le vieil homme est confiné dans une maison de retraite de troisième catégorie ». On va assister à l’affrontement de deux groupes de personnages, les penseurs et créateurs d’une part, et de l’autre la foultitude de ceux qui ne pensent pas ou peu, mais qui subissent. La dedans quelle doit être la place de l’artiste ?
« Les Reconnaissances », gros pavé de 1000 pages (1.4 kg), assez indigeste, à vrai dire. A travers une anthologie du faux et du copié, on a droit à tout, le faux-monnayeur, le faux père, le faux violeur, le faux amoureux, la fausse femme, le menteur, l’imposteur, le plagiaire et même la fausse jambe… Tout cela en broderie autour de Wyatt Gwyon, peintre (nécessairement de génie…. selon lui), qui peint comme les grands maîtres flamands de la Renaissance. (Il est vrai que WG se voyait nobélisable dès la sortie de ce livre). Hélas, ni l’un (WG) ni l’autre (Wyatt Gwyon) ne voient leurs espoirs récompensés. Du coup le peintre abandonne l’art et part à la chasse à la copie.
On rejoint donc (plutôt on précède) « Agonie d'agapè ». Le malheur pour le lecteur est cette impression que l’auteur a déjà tout lu. Et l’on assiste ainsi à une succession de collages de citations, toutes certainement vraies, mais aussi sorties de leur contexte. Le plus désagréable est cependant cette accumulation. Il est vrai que WG est né l’année de sortie de « Ulysse » de James Joyce et que cette œuvre l’a fortement marquée.
Cependant cette vue de l’artiste, personnage essentiellement pur, et très incompris, est très vite corrompu, soit par l’argent (d’où la production de masse et le recours à la copie), soit (et l’œuvre est datée de la période où l’informatique commence à s’imposer) par la reproduction mécanique des choses. On comprend alors les références (les terreurs dues ?) à Hollerith, Babbage et autres Von Neumann, ou celles liées au piano mécanique (par qui le mal ronge notre société).


----------------------- Don Delillo ------------------------------


Don Delillo (36- présent), auteur de 16 romans et de 4 pièces de théatre. Autre grand nom de la littérature post-moderne. On retiendra « Outremonde » (99, Actes Sud, 890 p) et « L’homme qui tombe » (08, Actes Sud, 300 p) et surtout le thésaurus (Actes Sud, 1000 p), qui regroupe 5 romans (« Americana », « Joueurs », « Les Noms », « Bruit de fond », et « Libra ». Son dernier ouvrage « Point Oméga » (10, Actes Sud, 140 p), qui vient donc de sortir, est court, ce qui change, et reste fort lisible.
A vrai dire, je suis assez partagé. J’avais emmené le gros pavé du Thesaurus, à lire durant un mois cet été, mais les circonstances (froid humide le soir à l’hotel, sans chauffage dans ces pays) et le style des romans, ne m’ont pas trop inspiré. Je suis donc resté avec ma polaire sur le dos, avec quelque boisson agréable, à travailler quelque peu et à lire autre chose (Stefan Zweig). Donc un a priori peu favorable au départ. Pourquoi ? Sans doute par une écriture qui part un peu dans tous les sens, et dans laquelle il est quelquefois difficile de suivre un fil conducteur.


-------------------- Thomas Pynchon ----------------


Il fallait bien que je m’y colle. J’avais essayé « L’arc en ciel de la gravité » (07, Seuil, 768 p), sans succès d’ailleurs. Puis j’ai repris « Vice caché » (très lisible et quelque peu déjanté) et me suis finalement témérairement lancé dans les deux premiers romans « V. » et « Vente à la criée du Lot 49 ». Je reprendrai peut être « L’arc en ciel de la gravité ». (On reprend bien du dessert, alors qu’il est impoli de le faire avec le fromage).
Dans « Vente à la criée du Lot 49 » (87, Seuil, 212 p), Oedipa Maas est une jeune femme (28 ans) californienne, ancienne amante de Pierce Inverarity, un riche agent immobilier et qui devient soudainement son exécutrice testamentaire à son décès. Le legs consiste en une mystérieuse collection de timbres.
Avec Metzger, le co-exécuteur du testament, Oedipa va être confrontée à divers personnages tous aussi déjantés les uns que les autres. Se greffe par-dessus une sombre histoire de société plus ou moins secrète (W.A.S.T.E., déchet en anglais, mais We await silent Trystero's Empire) qui est censée entrer en concurrence avec le service postal officiel (Thurn and Taxis). Le service postal officiel fut, c’est vrai, créé par cette famille (Thurn und Taxis). (Les Tassis, nobles italiens, ont déjà un important service postal en Italie au XIII siècle, avant de s’allier aux Della Torre, pour former les Tour et Taxis, ou Thurn und Taxis, qui ont leur siège à Ratisbonne, en Allemagne). La société secrète dont il est question a pour emblème un cor avec une sourdine, que l’on retrouve dans le livre, et qui sert de repère aux fans de Thomas Pynchon. Son fondateur est un certain Tristero, sombre révolutionnaire espagnol du XVI siècle que l’on retrouve dans une seule édition d'une pièce de théâtre (The Courier’s Tragedy). Du coup, tout se mélange un peu, et le livre devient une succession de petites historiettes, entre la collection de timbres, avec une collection manifeste de faux timbres (celle qui sera finalement vendue sous le nom de lot 49).
Finalement cela se lit. Dire que j’en ferais mon livre de chevet est peut être aller vite en besogne. Le lecteur est certainement assez désorienté par ces digressions successives. Chacune d’elle est certes intéressante, mais on perd vite le fil, mais n’est ce pas voulu sciemment par ces auteurs « post-modernes ». Pour essayer d’aller plus loin, je suis allé consulter les critiques et exégètes. Il y en a un certain nombre. Le tout est même rassemblé dans un « Pychon Wiki », la nouvelle bible des fans de l’auteur (http://pynchonwiki.com/). On y trouve tout l’exégèse du Lot49, depuis le nom d’Oedipa Maas (Oedipe post-moderne, cela allait de soi, mais les explications fournies ne sont ni convaincantes, ni convaincues. On y explique seulement Œdipe en tant que répondeur à la question du sphinx, ou en tant que référence au complexe freudien. C’est un peu court.). l’analyse de Maas, surtout en ce qui concerne le mari (Mucho Maas) est plus convaincante dans sa référence à l’espagnol (mucho mas, beaucoup plus). On note d’ailleurs ces jeux de mots un peu partout dans VCL49, ne serait ce que dans Inverarity, surement une contraction de invest rarity, ou rare investissement. Ou encore, et c’est souvent le cas, dans ces personnages quelque peu excentriques qui font une brève apparition dans le roman (et qui ne servent qu’à illustrer des digressions). Ainsi le douteux Manny di Presso qui apparait au second chapitre (maniac depression ? ou many depression ?), ou des noms plus explicites (Mike Fallopian) ou simples jeux de mots (Genghis Cohen, ou Gengis Khan). Et ainsi de suite, pour le suivi page à page du texte. Ceci dit je ne suis pas un fana de ces charcutages et coupures de cheveux en quatre, voire plus. Je les prendrai simplement comme des jeux de mots sur des noms.(c’est aussi ce que l’on retrouve dans « Vice Caché ». Les références aux lieux sont identiques. Il est vrai que la ville de Kinneret n’existe pas en Californie, et que c’est le nom israélien de la Mer de Galilée (Yam Kinneret), mais il en est de même pour Gordita Beach dans VC, déjà cité.

J’en viens à « Vice caché » (10, Seuil, 352 p). Les années 70 à Los Angeles, à la fin des années hippies (pantalons à pattes d’éléphants, cheveux longs et fumettes de rigueur). Sympathique Doc Sportello, devenu plus ou moins détective privé, en rivalité ( ?) avec le lieutenant Chris Bjornsen dit « Bigfoot », en fait, plutôt en tant qu’exécuteur (discret) d’œuvres plus ou moins louches (une affaire de flic ripou en fait). Le livre se lit comme un catalogue de voitures américaines, ou comme un présentoir de juke-box, des années 70. C’est accessoirement aussi une référence pour les différentes qualités des herbes (graines y comprises) de cette époque. Dans cette hypothèse, cela vaut largement, à la fois le catalogue d’un quelconque jardinier-herboriste du centre de la France, ou les diverses compilations des années 70 (sans cependant valoir les « Je me souviens » de Perec).


------------ Brian Evenson -----------------------


Drôle de parcours pour Brian Evenson, un peu comme ses livres d’ailleurs. Il nait mormon, en 66, dans l’Iowa et dans une famille mormone depuis six générations. Il devient prêtre et enseigne à Brigham Young University (BYU), établissement confessionnel. Brigham Young était le successeur de John Smith, fondateur des mormons, en tant que président de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. C’est lui qui développe l’enseignement dans l’Utah, avec comme principale cible d’éradiquer les deux principaux fausses prophéties que sont le Darwinisme (l’évolution) et le Marxisme (le communisme). La BYU, située à Provo, Utah, compte en tout 50000 étudiants, dont certains dans les centres situés à Hawaii, dans l’Idaho, Paris et Jérusalem (j’y reviendrai dans « Prophets and Brothers »)
Tout allait bien jusqu’à ce que BE publie « Altmann’s Tongue » (94, Knopf, 239 p) puis réédité (02 Bison Book, 278p) avec une introduction et surtout une nouvelle postface par l’auteur. Ce recueil de 26 nouvelles fit scandale à BYU et BE est même menacé d’excommunication (ou alors il renonce à écrire d’autres pareilles turpitudes). Suite à ces pressions, il quitte l’Eglise, la BYU et doit rompre avec sa famille. Sa lettre de renoncement à BYU est un véritable pamphlet contre l’Eglise des saints des derniers jours. Tout y passe, la nécessité de l’église, les actions contre la liberté des femmes, la liberté universitaire, le mode d’évaluation tout à fait malhonnête, les faux témoignages. Bref « Il n serait pas fier de rester à BYU » (http://www.ant-zen.com/graph/act159-brian%20evenson%20an%20introduction.pdf.
Il n’est pas simple de faire la bibliographie de BE, car ses premiers titres ont été publiés à petit nombre, en édition limitée, et plusieurs de ses nouvelles se retrouvent dans différents ouvrages. Ceci est valable pour les éditions anglo-saxonnes, comme pour les françaises, voir par exemple « Désir et Digressions » (09, Cherche Midi, p), que j’ai personnellement eu du mal à trouver (et fort chère, d’ailleurs). Finalement la réponse est que cette nouvelle (10 p) est placée avec un mince catalogue (catalogue 2010) de la collection Lot49.

Donc « Altmann’s Tongue » (la langue d’Altmann), qui comporte 25 nouvelles courtes et une plus longue « La Sanza ». BE définit le livre comme un théâtre de solitudes. La 4eme de couverture fait référence à l’esprit d’Edgar Allan Poe qui habiterait ces nouvelles. Il est vrai qu’en plus de la perversité (et de la mort qui conclut souvent les histoires), celles-ci sont violentes et assez mystérieuses (au sens de Poe). Dans la courte nouvelle (25 lignes) qui donne le titre au recueil, un homme contemple le corps de Altmann qu’il vient juste de tuer. Une voix intérieure lui dicte de lui manger la langue. Son complice, Horst, lui promet alors de lui faire parler la langue des oiseaux. Il est tué à son tour. Finalement il y deux genres de personnes : les Altmann et les Horst.
Dans la première de ces nouvelles « The Father, unblinking », un père trouve sa fille morte. Il lui creuse une tombe sous le foin sans rien dire, ni à sa femme, ni au voisin.
Dans « Stung », un jeune homme tue son beau père, sans mobile apparent, mais est inéluctablement séduit par sa mère. (On comprend que ce genre de littérature n’ait pas plu à BYU).
« One Thick Black Cord » narre l’histoire du général Mensavi qui a enterré vivant son prédécesseur, l’illustre Bosa M’Bosi. En fait ce dernier n’avait pas été condamné à mort, mais simplement été accusé d’être mort, le tout à la gloire de Mensavi « I am God now, he was thinking, I rule death. I shall say who is dead.” (Je suis Dieu maintenant, pensait’il, Je contrôle la mort. Je dirai qui est mort). Trois ans après, (après également une balle dans la tête et une défenestration), il ne se considère toujours pas come mort et remonte au palais présidentiel. On le reconnait grâce aux 267 médailles qu’il arbore.
« The Sanza Affair » est la plus longue nouvelle du recueil avec presque 70 pages. Sanza, policier et détective, est mort mais personne ne peut expliquer pourquoi. Par contre tout le monde, sa femme, son seul ami, sa secrétaire, ses collègues ou ses supérieurs hiérarchiques ont quelque chose à dire. L’inspecteur Lund, qui reprend l’affaire n’est pas plus explicite. Lund enquête sur Sanza qui enquêtait sur «l’affaire Hadden », celui-ci ayant tué Ramsay. Cependant, on ne sait rien à propos de cet Hadden, ni de Ramsay. Mais on peut supposer que Ramsay enquêtait lui-même sur quelqu’un qui enquêtait sur …..
L’édition brochée de 02 contient en plus une nouvelle « Two Brothers » (Deux Frères) que l’on retrouve par ailleurs dans « Contagion ». Un pasteur vient de se casser la jambe, en présence de ses deux fils. Il empêche ceux-ci de prévenir les secours car Dieu lui-même est censé intervenir très prochainement.

Après ce recueil, BE publie « Father of Lies » (98, Four Walls Eight Windows, 197 p) traduit en « Père des Mensonges » (10, Cherche Midi, 233 p).
Eldon Fochs est le doyen de la Corporation du Sang de l'Agneau (les Sanguistes). Cela commence bien. Cette secte est, bien sûr, conservatrice, et très stricte excommuniant dès que l’on rue quelque peu dans les brancards ou que l’on refuse de prendre le droit chemin. (Y aurait’il quelques réminiscences autobiographiques là-dessous ?). Hélas, le doyen est somnambule et parle en dormant, racontant d’horribles histoires de rapports sexuels avec de jeunes garçons, mais aussi du meurtre d'une jeune fille. Sa femme lui fait consulter un psychiatre. Ce dernier, Alexandre Feshtig, ne se laisse pas impressionner par ces pulsions pédophiles ou meurtrières. Il réalise qu’avant le rêve, il y a eu passage à l’acte. Mais la Corporation du Sang de l'Agneau veille. (Tiens, on dirait une histoire connue et bien présente). « Même avant qu'il devienne doyen, le fait qu'il soit un membre de l'Eglise propre sur lui, qui ne manquait pas un service et présentait toutes les apparences du mérite, a contribué à entretenir la volonté d'aveuglement de tout son entourage ». On se souvient que BE a quitté les mormons (cf sa lettre de renoncement plus haut). BE attaque donc les dogmes religieux qui placent Dieu au dessus de tout. L’homme se persuade que Dieu lui ordonne d’agir pour punir le mal par le mal et même de se substituer à Dieu. Tout cela parce que, on l’a reconnu, « Le père dont vous êtes issus, c’est le diable, et vous voulez accomplir les desseins de votre père. » (Jean, 8, 44).
Le roman débute par un échange de lettres entre le psychiatre et son directeur ou encore entre le directeur et un homme d'église. Ces lettres montrent un patient vu et jugé par un œil extérieur. Cette courte introduction (3 lettres) est suivie d’une première partie ou « Anamnèse ». Ce terme désigne l’histoire de la maladie, mais c’est aussi celle de retrouver la mémoire de ses incarnations précédentes. Et on doit se souvenir que le très sérieux Eldon Fochs est à la fois un homme d'église et un patient quelque peu tordu. Le roman bascule lors de la deuxième partie « Homme de Dieu » avec la prise de parole par Fochs lui même. Puis, la troisième partie « Examen approfondi » recommence avec des lettres, échangées cette fois entre le psychiatre et l’Eglise, avant de donner à lire les carnets d’analyse. Enfin la quatrième partie « Fochs » revient sur la personnalité du patient.

« Désir et Digressions » (10, Cherche Midi, p. 7-16) reprend « Desire with Digressions » une nouvelle parue dans « Fugue State » (09, Coffee House Press, 208 p). Mais en fait la traduction française est un petit bonus au catalogue 2010 de la collection Lot49. Le narrateur part de chez lui, sa femme l’ayant quitté, d’abord en voiture, puis à pied ou en stop. Il aboutit à une taverne, et il y fait la connaissance de quelqu’un qui lui propose une affaire d’un jour ou deux, le temps de leur « fortune assurée ». Long et pénible trajet dans la montagne et la neige. Arrivé quasiment au bout, son étrange compagnon meurt de froid. Redescente dans la vallée, retour du froid, séjour en hôpital et amputation des bouts de membres gelés. Le narrateur réussit cependant à s’enfuir, retourne à sa première maison, où sa compagne l’attend. Mais ce ne sont que ses os.

« Contagion » (05, Cherche Midi, 201 p), traduit de « Contagion » (00, Wordcraft, 151 p), comporte 8 nouvelles mettant aux prises des personnages assez déjantés avec une réalité sordide et souvent violente.
1« La polygamie du langage ». Un homme tente de percer le secret du Verbe. il rencontre des Mormons polygames, les tue et récupère leur argent, qu’ils avaient d’ailleurs volé (une somme ridicule). La scène de la sortie des deux corps avant de les jeter au ruisseau est assez cocasse.
2« Deux frères » Un pasteur, papa Norton, s'est cassé la jambe. Il refuse d'appeler une ambulance, convaincu de l'arrivée imminente de Dieu, et ce, sous le regard impuissant de ses deux fils, Theron et Aurel. La nouvelle se termine par une hécatombe générale, y compris du chien.
3« Une pendaison » récit d’une pendaison (pourquoi ?) et d’une belle histoire comme on en trouve dans les westerns.
4« Interne ». Une grande classification des différents types suivant la théorie de Frère Rauch. Pas sûr que l’on sache qui observe qui.
5« Prairie ». 9 courts récits, tous faisant référence à une vaste prairie que parcourt une expédition, avec un médecin et un prêtre. Des morts qu’ils mangent quelquefois, des vivants qu’ils relâchent. On « passe imperceptiblement du pas titubant des vivants au pas titubant des morts ».
6« Contagion ». Au départ, ils doivent vérifier l’état des clôtures d’un vaste territoire « jusqu'à l'extrême limite du territoire ». Mais que séparent ces fils de fer barbelés ? Les piquets et les barbelés sont comme des stylos et des lignes d'écriture sur le ciel. « Il existe le barbelé physique et le barbelé spirituel, dit Glidden. Le corps sait comment guérir du premier mais on doit l'aider si l'on veut qu'il admette l'autre. Nous devons combattre le barbelé par le barbelé. ». L’un des deux « missionnés» devient un « écrivant ». « Le papier est un espace affranchi de toute contrainte, lui suggérait Glidden. Les mots doivent y remplacer la clôture ».
7« Le fils Watson » Le fils Watson nous entraîne dans les labyrinthes infinis d'une maison-monde, où seul compte le ramassage de trousseaux de clés au croisement de corridors tous identiques. Mission assez incompréhensible, complexe, éreintante, folle, générée par le père. « Il y a beaucoup de choses que le père n'a jamais dites. Ce que son père a dit , en revanche, c'est :« Es-tu sûr que ramasser les clés est le bon choix ? » Brey n'est pas sûr. .Ce labyrinthe de couloirs et de portes, et cette première rencontre avec un rat , forme douce qui se comporte comme un petit animal domestique mais que Brey va brutalement étrangler parce que les rats - lui a-t-on répété depuis son plus jeune âge - sont les ennemis les plus dangereux. On ne peut rien reprocher à son père. On peut tout mettre sur le compte des rats .Vraiment ? Peut-être que son père et les rats conspirent ensemble contre lui, et que la haine de son père pour les rats cache la haine du père pour le fils. »
8« En deux » « Après la tentative de suicide de Gil et de son demi-frère, et le suicide réussi de leurs deux mère » : on voit que la nouvelle démarre très fort.

« Inversion » (06, Cherche Midi, 261 p), traduit de « The Open Curtain » (08, Coffee House Press, 223 p) est un (presque) long roman qui retourne aux sources de la religion des mormons et de ses rapports avec la société.
Rudd Theurer est un jeune garçon dont le père s’est suicidé, mais c’est un sujet tabou chez les mormons. Il est strictement élevé dans l’austérité et la foi mormone sous la férule de sa mère autoritaire et culpabilisatrice. La découverte de lettre à son père d’une certaine Anne Korth, qui lui révèle l’existence d’un demi-frère, Lael. L’enseignement que suit Rudd, ainsi que la vie avec sa mère, tournent autour des mêmes thèmes religieux « Bienheureux celui qui écoute le Seigneur et suit ses commandements ». Cela bien sûr le traumatise et lui font rechercher son demi-frère, lui-même assez diabolique et pervers. Au cours d’un travail de recherche, Rudd tombe par hasard sur des articles racontant le procès pour meurtre, en février 1903, de William Hopper Young (WHY, c'est-à-dire pourquoi en anglai, BE va jouer à dessus).William Hopper Young est le petit-fils de Brigham Young, lui-même héritier de Joseph Smith le fondateur de l’église mormone. Le problème est que ce WHY est accusé du meurtre d’Anna Pulitzer. Son corps a été retrouvé dans la boue d’un canal, avec diverses blessures au crâne et à la tempe gauche. Cependant, la mort est due à un coup de couteau ouvrant le ventre en diagonale. La symbolique de ce meurtre correspond à la doctrine mormone de l’expiation par le sang. « La doctrine de l’expiation par le sang stipule que, lorsqu’un mormon a renié sa foi, il est possible de sauver son âme en répandant le sang d’une personne de qualité similaire à la victime, et que la bénédiction sera portée dans l’au-delà au crédit de celui qui a commis l’acte en question. ». Un mormon apostat pourrait ainsi sauver son âme en répandant le sang d’une victime innocente. Il faut pour cela d’abord creuser la fosse, faire saigner abondamment la victime (baigner la fosse) avant d’y jeter la victime. (Tout le cérémonial est décrit p.53). Le roman bascule alors dans l’enquête pour démontrer la culpabilité de WHY, sa fuite, et l’envoi à Chicago d’une malle contenant les éléments matériels du meurtre. On comprend que cela déstabilise encore plus le jeune Rudd (avec l’aide, il est vrai, de Lael). Ils vont jusqu’à profaner la tombe du père pour constater qu’ils ont tous trois, le même visage. Fin de la première partie.
La seconde partie « Lyndi, égarée » démarre juste après que Rudd (et Lael) aient tués une famille de randonneurs. Lyndi, la fille de cette famille, n’était pas de la partie. Elle est donc sauve, tandis que Rudd est retrouvé à moitié égorgé auprès de la famille. La découverte des corps reprend une géométrie inscrite sur les sous vêtements mormons, mais aussi celle incisée dans la chair de la jeune Anna Pulitzer (un V suivi d’un L, puis centré en dessous un trait horizontal, et un second trait plus bas, décalé vers la droite). Ces traits symbolisent le signe du compas, l’équerre, le nombril et la marque du genou.
Le meurtre commis par WHY devient alors une obsession pour Rudd. L’existence de Rudd elle-même devient une « longue question renouvelée ».
Les exégètes voient alors l’influence de la pensée de Deleuze à propos de la schizophrénie. « L’anti-Œdipe » conduit à l’échec de la psychanalyse freudienne dans la compréhension de la psychose. « Le délire ne se construit pas autour du nom-du-père, mais sur les noms de l'histoire. » C’est tout à fait le cas de Rudd, dont le père est inexistant, sinon nié, et WHY qui sert de point de fixation. D’après Deleuze, le discours et le délire du schizophrène s’articulent autour de l'histoire politique, sociale ou religieuse et non pas autour de l’histoire familiale (contrairement à Freud).
Cependant BE se défend, dans une longue interview, de faire cette analogie avec Deleuze. Mais il reconnait que « Deleuze compte beaucoup pour (lui) » « La théorie française post-hégélienne au XXe siècle était l’un des quatre champs d’étude de (s)on doctorat » et d’ailleurs il a « appris davantage sur l’écriture en lisant Deleuze, qu’en lisant n’importe quel autre philosophe ».
Et ce n’est pas fini (on n’est qu’à la moitié du roman). Nouveau basculement.
Lyndi se prend d’affection pour Rudd et tombe amoureuse. Ce dernier, il s’installe tout naturellement chez elle lorsqu’il sort de l’hôpital. (Attention, on est en pays mormon, tout reste très chaste). Mais Rudd dérape de plus en plus, perd la mémoire, confond un peu tout, jusqu’à laisser échapper le nom de Elling (le complice présumé de WHY). Cet épisode de perte de mémoire et d’absences répétées correspond à ce que Deleuze appelle « le corps sans organe ». Puis un jour, Lyndi le retrouve la gorge tranchée. «Il gisait au sol, à la main un canif aux quatre lames sorties. Sa gorge ouverte gargouillait, le sang bouillonnant avait imbibé le col du T-shirt et commencé à couler le long du cou ». « De nouveau il toussa et elle goûta son sang ». Retour à l’hôpital, et à la sortie de l’hôpital, Rudd demande Lyndi en mariage (selon le rite mormon, cela va de soi, décrit dans le chapitre VIII, p. 177-191).
La grande scène du mariage, maintenant. Pour les préparer à la cérémonie, les époux sont séparés à l’entrée du temple. Puis Lyndi est lavée, habillée avec des habits du temple (les broderies lui rappellent le massacre de sa famille) et on lui donne un nouveau nom (Rachel), nom secret que seul son mari aura le droit de connaître. Lors de son initiation, on lui révélée le sens des symboles brodés qu’elle devra reproduire dans l’autre monde pour entrer au paradis. « Des signes et symboles on passa aux sanctions – la promesse de ne jamais, sous aucun prétexte, dévoiler les signes et symboles, même au péril de sa vie. Placé dans une situation où l’on ne pourrait garder le secret, on était censé se tuer. Elle dut faire mine de s’ouvrir la gorge avec le tranchant de la main, puis poser les mains de part et d’autre de son torse avant de les laisser retomber sur ses flancs, comme si elle avait ouvert son torse et que le sang giclait le long de ses côtes. Plus tard, l’arrière de son pouce décrivit un trajet symbolique d’une hanche à l’autre, coupant les reins. » L’étape suivante voit la réunion des deux nouveaux époux qui franchissent un rideau bleu puis se retrouvent devant un rideau blanc et on connait alors la signification des symboles géométriques. (Au passage, on comprend le lien entre le rideau et le titre anglais « The Open Curtain », certes plus représentatif que « Inversion »). « La marque de l’équerre, au-dessus du sein droit : ordre et précision, rectitude des actes et de la pensée. Sur le rideau, ce n’était pas seulement une marque mais une fente assez longue pour laisser passer un bras. Elle imagina qu’une main minuscule et désincarnée pénétrait la marque apposée sur sa poitrine et plongeait dans ses poumons. La marque du compas, autre fente, sein droit, signifiait que Jésus-Christ les guiderait dans la vie éternelle telle une boussole. La marque du nombril, une fente écartée : accepter que nous ne pouvons vivre sans nourriture spirituelle de la parole de Dieu. La marque du genou – qui à la différence des autres n’était pas une ouverture mais une simple marque sur le rideau : tout genou doit plier et toute langue reconnaître que Jésus est le Christ. ». Lyndi comprend alors pourquoi Rudd a survécu au massacre. On lui a laissé une marque sur sa gorge, (symbole de la marque du genou ?) parce que sa mort n’était pas nécessaire à la réalisation de la cérémonie pervertie. Cependant, le mariage est lui aussi perverti car lorsque Rudd joue le rôle de Dieu derrière le voile pour recevoir Lyndi en mariage, il l’oblige à changer de nom secret. Ce n’est plus Rachel, mais Elling (la boucle est quasiment bouclée).
Ce n’est pas fini pour autant et la situation s’aggrave encore. Rudd recherche son visage qu’on lui a volé dans les différents miroirs de la maison. Il refuse toujours de faire chambre commune avec Lyndi. Puis, il quitte sa chambre et s’installe avec toutes ses affaires dans un cabanon dans le jardin. Lyndi prend peur et force l’entrée de ce cabanon. « A l’intérieur, il faisait chaud, l’odeur était épouvantable ». « Derrière la porte un drap faisait office de rideau. Rudd l’avait tailladé pour reproduire les marques des vêtements, mais à l’envers et inversées. » « Au milieu, échoué sur le dos, enfoncé jusqu’au couvercle, le vieux réfrigérateur ». Et dans ce vieux frigo « La puanteur de la viande putréfiée ». Fin de la seconde partie.
La troisième partie « Hooper déchainé » commence par trois sous chapitres, tous numérotés I (le chapitre II vient après ces trois là). Tout devient confus. On ne sait plus si c’est Rudd, ou WHY « Tu t’appelles William Hooper Young. On t’appelle Hooper », ni si c’est Leal ou Charles Elling (ou Rudd). On retrouve également Anna Pulitzer « Anna Pulitzer. Une connaissance, une pécheresse, aussi ».
En final, on ne sait plus très bien qui est qui (et qui est moi). Pour couronner le tout, je ferai remarquer de BE traduit les romans de Claro, alors que Claro édite BE. Comme cela on boucle la boucle…..

« Fugue State » (09, Coffee House Press, 208 p) 18 courtes nouvelles.
1« Younger » Histoire courte à propos de la cécité. Nouvelle déjà parue dans « Conjunctions ».
2« A Pursuit » Où il est question d’une « ex première femme ». Que l’on se rassure, il y en aura une « trinity » (trinité).
3« Mudder Tongue » Un type a un problème quelconque, qu’il ne peut faire autrement que de le rendre pire. Il a en particulier des problèmes de langage et dit un mot, tout en pensant à un autre, très différent. On se doute de ce qui va arriver.
4« An Accounting » L’histoire démarre très fort « How I became a Midwestern Jesus and the subsequent disastrous events thereby accruing » (Comment je suis devenu le Jésus du MidWest et les événements désatreux qui s’ensuivirent). Avec cela on est fixé. Hélas ce même Messie autoproclamé a lui aussi des problèmes de langage. Effectivement suivent certaines réflexions à propos de la religion (et des religieux), très propre à BE.
5« Desire with Digressions » Dans une nouvelle digression, le narrateur écrit «There is in every event, whether lived or told, always a hold or a gap, often more than one. If we allow ourselves to get caught in it, we find it opening onto a void that, once we have slipped into it, we can never escape» (Il y a dans toute chose, qu’elle soit vécue ou racontée, toujours un manque ou un trou. Si on se laisse prendre dedans, on découvre que cela débouche sur un vide, et une fois tombé dedans on ne peut plus s’en réchapper).
6« Dread » Histoire illustrée (Zak Sally) à propos de l’insomnie. Déjà parue, sans les illustrations dans « Caketrain ».
7« Girls in Tents » Une grande sœur essaye de tracer une ligne de partage sur l’espace qu’elle pense pouvoir contrôler avec sa plus jeune sœur, et surveille le reste. « It was like she was petting an animal” (C’était comme s’occuper d’un animal domestique). Tout cela est très distancié et on n’y fait que référence à la grande sœur, pas à son nom.
8 « Wander » Tout commence par « And after many days of wandering…,» (et après de nombreux jours d’errance…,)
9 « In the Greenhouse » La nouvelle commence par un auteur qui essaye d’écrire sur un autre auteur, mais qui laisse tomber dès le premier paragraphe, soit 170 pages manuscrites, et brule le tout.
10« Ninety over Ninety » L’histoire se passe dans une maison d’édition (MacMaster and Bates, jeu de mots vers Barnes and Noble) qui vise plus les prospectus commerciaux que la littérature. On y trouve des requêtes pour livres sur le Ku Klux Klan et une invitation à aller sur nazichat.com (Malheureusement cela existe, pas sous ce nom, mais presque).
11« Invisible Box » nouvelle déjà parue dans « Black Clock 7 ». Le grotesque est partout.
12« The Third Factor » Un homme est chargé se suivre ce que fait un autre, au point d’en établir une sorte de routine d’enregistrements qui deviennent tellement obscurs qu’ils en deviennent indéchiffrables.
13« Bauer in the Tyrol » L’histoire d’un artiste sur le déclin qui détruit les miroirs alors que sa femme est elle même sur le déclin de sa vie.
14« Helpful » Un homme devient aveugle après un accident. De retour chez lui, il sent que sa maison a changé (ou a-t-il lui-même changé).
15« Life Without Father » Une fille perd son père dans un accident (suicide ?). « You could say what you thought was right, what would make sense to you, and nobody else really understood it » (Vous pouvez dire que ce que vous pensiez était vrai, ce qui a un sens pour vous, et personne d’autre ne le comprendrait vraiment). C’est plus l’histoire du non-dit que le non-dit lui-même.
16« Alfons Kuylers » L’histoire d’un homme qui en tue un autre, et qui ensuite tranquillement prend sa place sur le bateau du mort.
17« Fugue State » La plus longue des nouvelles. A nouveau un état de fuite.
18 « Traub in the city ». Le visage de Traub change régulièrement de forme, il n’a même plus le temps de le dessiner. Nouvelle déjà parue dans « The Wavering Knife »

Enfin, dans « La Confrérie des Mutilés », (08, Cherche Midi, p), le livre est divisé en trois chapitres, le premier reprenant le titre du recueil, le second « Derniers jours » est traduit de « Last Days », sorti en édition limitée à 300 exemplaires plus 15 exemplaires reliés et signés (03, Earthling, 48 p) puis en broché (09, Underland Press, 256 p), enfin un dernière partie na pas de titre dans la version française. C’est un peu difficile à suivre d’un point de vue éditorial (tout comme d’ailleurs l’intrigue). Mais cela justifie l’incipit, tiré de Matthieu « Si ton œil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi… Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, arrache-la et jette-la loin de toi… »
Un ancien policier, Kline, est un jour agressé par le « gentleman au hachoir », et pour se défendre ( ?), et détourner l’attention de son agresseur, il se mutile avec un hachoir, se coupe une partie du bras, et cautérise le moignon sur la plaque brulante d’un réchaud, après s’être fait un garrot avec sa ceinture. Pour ne pas en rester là, il tire une balle dans l’œil de son agresseur, le tue, et lui vole une coquette somme. On voit que l’histoire commence calmement. Fors de son exploit, il est contacté par une mystérieuse société. Cette dernière possède une certaine hiérarchie, Un, Deux, Huit, Dix, Douze, basée sur la propension des membres à s’être auto-mutilés (d’où le chiffrage). On a donc bien affaire à une belle histoire dans laquelle le hachoir est aussi un personnage important. Mais des problèmes autrement important agitent la secte. L'amputation d’un pied correspond elle à un, cinq (les orteils) ou six membres (les orteils et le pied) ? Vaste question métaphysique. L’intrigue se poursuit par une demande d’élucidation du meurtre du chef de cette communauté, moyennant bien sûr une contrepartie physique («Chair ou vérité ? Qu’est-ce qui compte le plus ? »). On trouve d’ailleurs dans le livre une séance de strip tease assez spéciale puisqu’elle se termine par plus qu’un effeuillage de vêtements. (Mais bon tout le monde n’est pas forcément adepte de la Confrérie des Mutilés).
Le chapitre « Derniers jours » fait intervenir une secte dissidente où tout le monde s'appelle Paul, est blond et amputé de la main droite. C’est un hommage au pianiste manchot Paul Wittgenstein (le frère de Ludwig), que l’on croise là par inadvertance. S’ensuivent alors (dans le tout dernier chapitre) des questions hautement philosophiques sur la condition d'être humain « Quand cesse-t-on d'être humain ? Quand on décide d'empoigner par les cheveux la tête d'un cadavre, de la brandir devant soi comme une lanterne, tel Diogène qui cherche un homme ? »

Trois autres titres encore non traduits que je vous livre ici en cadeaux. (Vous aurez sans doute compris que je trouve cet auteur assez attachant.
« Dark Property » (02, Thunder's Mouth Press, 128 p). Une femme traine un bébé mourant dans le désert, à la recherché d’une citadelle qui abrite une secte mystérieuse vouée à la résurrection. Elle est en plus poursuivie par un chasseur de primes qui laisse derrière elle une trainée sanglante. On retrouve tout le fanatisme religieux et ses dérives. Comprenne qui pourra pourquoi il est parti de chez les mormons.

« The Wavering Knife: Stories » (04, Fiction Collective 2, 205 p) 4 nouvelles don’t je n’ai pu trouver que les titres.
« Moran's Mexico » ,« Greenhouse » ,« White Square » ,« The Prophets »

« Prophets and Brothers » (97, Rodent Press, 54 p) édition limitée à 250 exemplaires. Il s’agit de 4 nouvelles, essentiellement dédiées à l’Ouest américain et aux Mormons.
« The Prophets » est une nouvelle republiée plus tard dans The Wavering Knife. On y découvre un Mormon fondamentaliste, qui décide de déterrer le corps du prophète Ezra Taft Benson et de le ressusciter (bonne chance à lui).
« Blessing the Dog » qui s’est mis en tête de bénir son chien, malgré l’opposition de sa femme et de l’Eglise
« A Brother's Love », justification épistolaire d’un home pour se justifier.
« Sanctified, in the Flesh » raconte les problèmes automobiles que donnent lieu une rencontre entre les Trois Néphites et/ou un groupe de tueurs. Les Néphites, qui combattent les Lamanites, sont tous deux des descendants de Néphi ou de Léhi, groupements issus du peuple de Mormon. (Jospeh Smith, le premier président de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, a reçu la visite de l'ange Moroni qui lui indique l'endroit, sur la colline de Cumorah, New York, où se trouvait le livre de Mormon, volume d'Écritures saintes complémentaire à la Bible. Mormon (311 – 385), chef militaire de l'âge de quinze ans à sa mort, a vécu sur le continent américain. (Vous saurez tout sur les mormons, après tout cela. Cela vous permettra de porter la contradiction quand ceux ci viendront sonner chez vous. Ils sont facilement reconnaissables, allant par deux, en costume noire, chemise blanche, cravate et cheveux courts. N’hésitez pas à leur parler de sexe, cela les fera fuir).


---------------- Lydia Millet --------------------------


Née en 68 à Boston, puis maintenant vivant à Toronto, Canada. Elle est l’auteur pour l’instant de 7 romans, dont deux traduits en français, et un prévu pour janvier 11.

On compte donc « Omnivores», (97, Virago Press, 202 p), « George Bush, Dark Prince of Love » (00, Tochstone, 160 p), « My Happy Life » (02, Soft Skull Press, 160 p), « Everyone's Pretty » (05, Soft Skull Press, 200 p) and « Oh Pure and Radiant Heart » (06, Mariner Books, 544 p), « How the Dead Dream » (05, Mariner Books, 256 p) et «Love in Infant Monkeys » (09, Soft Skull Press, 208 p)
Le premier traduit est « Ma vie, ma vie magnifique » (08, Autrement, 128 p) traduit de « My Happy Life » (02, Soft Skull Press, 160 p) alors que « Oh Pure and Radiant Heart » (06, Mariner Books, 544 p) donne lieu à « Le cœur est un noyau candide » (09, Cherche Midi, 564 p). « How the Dead Dream » (05, Mariner Books, 256 p), soit « Comment rêvent les morts » (11, Cherche Midi-Lot49) est simplement annoncé.

Je commence par « How the Dead Dream », rien que pour vous mettre l’eau à la bouche. C’est le premier ouvrage d’une trilogie qui met en scène un certain T., le second « Ghost Lights »en est au stade des épreuves, et le troisième « Magnificence » est quasiment terminé d’écrire.
T. (en fait Thomas) est un jeune promoteur immobilier à Los Angeles, en plein boom immobilier et très respectueux du monde de la finance et les institutions du capital. « Hundreds of units were already presold. The place would not disappoint; it would be almost heaven for the buyers. » (Des centaines d’unités étaient déjà pré-vendues. L’endroit ne décevrait pas, c’était Presque la paradis pour les acheteurs). Célibataire et surtout solitaire, sa vie bascule soudain dans le chaos. Ceci ne résulte pas du fait qu’il tombe amoureux de Beth. Il voit débarquer sa mère qui vient vivre dans son appartement de jeune homme, alors que son père a mystérieusement disparu, après trente ans de vie commune. Après des recherches, il découvre que son père a quitté son cabinet et travaille un bar-bar à Key West, Floride. Non ce qui trouble sa vie, c’est la mort d’un coyote. (Je m’explique). A la suite d’un grand projet de construction d’un parc d’attraction dans le désert, il s’entiche des animaux en danger d’extinction. «the world with its animals, its washed-out cold pink sunsets and dry arroyos, its lakes and rivers, the world that gives us such a soul as we have » (le monde avec ses animaux, ses froids couchers de soleil rose délavé et ses ruisseaux asséchés, ses lacs et ses rivières, le monde qui nous façonne l’âme telle que nous l'avons).
Il entame alors une double vie, construisant des bâtiments tentaculaires en Californie et entrant par effraction la nuit dans des zoos. Il s’isole de plus en plus et part dans une ile sous les tropiques. Sous la menace d’un ouragan, il essaye de s’isoler encore plus en remontant u cours d’eau dans la forêt tropicale. Cette quête de la jungle rappelle celle de Conrad dans « Au cœur des ténèbres ».

Il convient alors d’attaquer « Le cœur est un noyau candide » (09, Cherche Midi, 564 p). C’est un relativement gros pavé, mais qui se lit assez facilement, avec quelquefois des aller-retour un peu déconcertants. On débute le 16 juillet 45, le jour du premier essai nucléaire à Alamogordo, New Mexico. (Entre parenthèses, ils n’ont pas trainé, du premier essai à Hiroshima, le 6 aout 45). Trois savants atomistes travaillant à ce sujet (projet Manhattan) Robert Oppenheimer, Leo Szilard et Enrico Fermi, vont voir leur vie quelque peu bouleversée, puisqu’ils sont transportés (téléportés ?) et se retrouvent à Santa Fe, New Mexico, en 2003.
Je désire faire ici une parenthèse. (Je viens bien de lire « Désir et Digressions » de Brian Evenson). Elle me parait importante pour la compréhension du livre de LM. Le projet Manhattan débute en 39 par une lettre de Leo Szilard et Albert Einstein à Roosevelt, avertissant ce dernier de la préparation allemande d’armement nucléaire. En 42, le projet Manhattan est lancé, sous la direction du général Leslie Grooves et de Robert Oppenheimer, en tant que directeur scientifique. Les résultats aboutissent durant l’été 45. Le premier tir, nommé « Gadget » est en fait une bombe au plutonium. C’est lui dont il est question dans le livre. Les tirs suivants on lieu sur Hiroshima (« Little Boy », bombe à uranium) et 3 jours plus tard sur Nagasaki (« Fat Man », bombe au plutonium). Le plutonium est, en plus de sa capacité à produire une réaction nucléaire, est un poison létal, ce que n’est pas l’uranium. Il convient de signaler que Leo Szilard a fait circuler le 2 juillet 45, soit 13 jours avant le premier essai, une pétition adressée à Roosevelt, signée par 58 autres sommités, lui demandant de ne pas utiliser la bombe sur des civils, et lui rappelant qu’à cette date, la guerre est pratiquement terminée. Il dit dans sa lettre d’introduction (et celle ci doit aussi être lue et approuvée par les signataires de la pétition) « The decision of the President whether or not to use atomic bombs in the war against Japan will largely be based on considerations of expediency. » (La décision du Président d’utiliser ou non des bombes atomiques dans la guerre contre le Japon sera en grande partie fondée sur des considérations d’opportunité). Il n’y est donc pas question de « mettre fin à la guerre ». La pétition sera finalement envoyée le 17 juillet 45, avec 69 signatures, donc après le premier test, et après que le même genre de pétition soit signé à Oak Ridge, Tennessee. Entre temps le directeur du projet, Leslie Grooves, a cherché à intimider Leo Szilard pour sa mauvaise volonté à coopérer à l’effort de guerre. Il est à noter que la pétition ne comporte ni la signature de Oppenheimer, ni celle de Fermi. L’ordre de bombardement est finalement signifié le 25 juillet 45, avec 4 villes cibles : Hiroshima, Kokura, Niigata et Nagasaki. Il n’y a aucune consigne sur d’éventuels objectifs militaires. On ne parle que de « visual bombing » (bombardement à vue). A noter enfin que dans son entretien au peuple américain radiodiffusé du 9 aout 45, Truman parle de « the first atomic bomb was dropped on Hiroshima, a military base. That was because we wished in this first attack to avoid, insofar as possible, the killing of civilians» (la première bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, une base militaire. Ceci car nous voulions, lors de cette première attaque, éviter dans la mesure du possible, la mort de population civile). Peut on vraiment faire confiance aux militaires après cela ?
Il m’est intéressant de rapporter une conversation que j’ai eu un matin, au Japon, il y a 4-5 ans, avec un très respecté collègue, qui habitait non loin d’Hiroshima, et qui avait une dizaine d’années à l’époque. Gamin, il voyait passer les avions américains, et il pouvait voir les pilotes lui faire des signes de la main avant (ou après) avoir lâché leurs bombes (déjà toute une histoire en soi). En fin de matinée du 6 aout, il a vu arriver, à pied, les premiers rescapés. Il y en a qui sont restés chez lui, hébergé, et surtout à bout de forces. Je ne décrirai pas ce qu’il m’a dit ensuite, mais il est parti faire des études aux USA, dans les années 50-60. Son entourage a bien sûr, eu connaissance de son origine et des problèmes qu’il a pu subir jeune. « Mais, jamais un américain ne s’est excusé pour ces morts », m’a-t-il confié. Il est vrai, aussi, que la fin de la guerre au Japon, n’a pas été de tout repos pour les deux camps. On peut aller voir par exemple ce que j’avais écrit, sur ce site, il ya un certain temps sur les romanciers japonais des années 50-60. On peut se référer aussi aux expériences médicales (étonnement curieux, ces médecins japonais) qui ont eu lieu dans l’ile du Sud, Kyushu, sur des prisonniers américains (mais bon, il fallait faire avancer la recherche…) (Ce qui par ailleurs n’excuse pas tout). Voilà, il s’agissait d’une parenthèse – double entrée – mais je crois nécessaire avant d’aller plus loin dans le livre.
Pour en revenir à nos trois savants téléportés…. Ils sont recueillis par Ann, bibliothécaire et Ben, son mari, jardinier. Evidemment, le monde a bien changé depuis 45. A partir de là, on pourrait s’attendre à un remake de SF, mais il n’en est rien. Par exemple, Oppenheimer apprend très vite à se servir d’une télécommande de télévision et n’est pas choqué de voir défiler dans sa chambre des images et des nouvelles du bout du monde.
Recueillis par Ann, une bibliothécaire, et son mari Ben, jardinier de son état, les trois savants déboussolés s’adaptent comme ils peuvent à leur nouvelle vie. En fait Leo Szilard trouve une certaine compensation dans la consommation. Le trio, accompagné de leurs deux « encadrants » finalement décide de partir pour le Japon et arrivent à Hiroshima, après avoir découvert les voyages en avion (non fumeur pour Oppenheimer), les trains (et leur système de réservation). Oppenheimer, toujours lui, trouve une brève paix de l’âme dans un temple, mais revient bien vite vers le groupe.
L’histoire bascule ensuite vers une espèce de parcours à travers les Etats Unis et les efforts ( ?) que fait le trio pour attirer l’attention des foules sur le danger nucléaire et ses conséquences. Je dois reconnaitre que le livre devient nettement moins intéressant et traine en longueur. Il y a encore 250 pages à lire. La fin se perd dans une histoire mi mystique, mi comique. Il n’est pas sûr que la littérature y gagne en fin de compte.

« Ma vie, ma vie magnifique » (08, Autrement, 128 p) est un petit récit d’une femme sans nom, particulièrement portée sur l compassion. Abandonnée dans un local fermé d’un hôpital, elle se met à écrire ses mémoires sur les murs. Enfance malheureuse, suite à la cruauté des autres enfants, eux aussi orphelins, envers elle. Exploitation ensuite à l’âge adulte et perte de son unique enfant. Incapable de ressentir de l’amertume ou de la faute.
A vrai dire, pas vraiment ma tasse de thé (ni ma coupe de jus d’aloes).

« Love in Infant Monkeys » (09, Soft Skull Press, 208 p). C’est une collection de petites nouvelles dans lesquelles interviennent une personnalité connue (Sharon Stone, Noam Chomsky, Madonna ou Thomas Edison) et un animal (faisan, dragon de Komodo, gerbille ou éléphant).

Écrit par : jlv-lot49-1 | lundi, 04 octobre 2010

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En attendant la suite du Lot49 (ça avance, mais qu’on donc ces américains à écrire des pavés de 900 pages....). Une bonne critique pour le dernier livre de Herta Müller, une bonne mention au bouquin, à moitié polar, pour David Pearce, un bof pour Siddharth Dhanvant Shanghvi.

---------------------- Herta Müller ------------------------------

« La ballade du souffle » (10, Gallimard, 310 p, plus qq pages blanches), c’est le dernier titre de la romancière du Nobel de l’an dernier, que j’avais fort aimé. Rassurez vous c’est encore mieux.

« Tout ce que j'ai, je le porte sur moi ». C’est la première phrase du livre, (celle qui a donné le titre en anglais « Everything I Possess I Carry With Me »). Phrase tirée de Cicéron (Paradoxes, 1, 1, 8) et attribuée à Bias de Priene, en Ionie, qui, lorsque sa ville fut menacée par Cyrus II, n’emportait rien, alors que tous les habitants fuyaient avec le maximum de leurs biens. « Omnia mea mecum porto » ou « Tout ce que j'ai, je le porte sur moi ».
C’est ainsi que Léopold Auberg, 17 ans, commence son histoire, histoire de déporté transylvanien que les russes emmènent en janvier 45. Il énumère dans le chapitre « Société interlope » ses camarades, tous de Transylvanie ou de la Carpato-Ukraine. Cette région, ou Ruthénie, était à cheval sur l’actuelle Hongrie-Roumanie et Ukraine. La région d’origine de Herta Müller, le Banat, à la frontière avec la Hongrie et la Serbie faisait elle aussi partie de la province de Voïvodine. Ces régions, colonisées et peuplées d’allemands par les Rois de Bohème dès le Moyen Age, vont être dépecées lors de la Seconde Guerre, et leur population quelque peu dispersée, soit par les états souverains, soit par les états colonisateurs. C’est ainsi que les russes déportent ces descendants d’allemands. « Aucun de nous n’avait fait la guerre, mais pour les Russes nous étions responsables des crimes d’Hitler, étant allemands ».
En fait on comprend plus le livre une fois terminé et en ayant lu la postface. HM y fait référence à sa mère qui a été déportée. Elle même, née en 53, est postérieure à ces évènements. Outre la référence à sa mère, et aux peu d’informations sur ces années dont personne ne voulait évoquer par la suite, HM nous raconte sa rencontre et son intérêt pour Oskar Pastior. Oskar Pastior est né à Hermannstadt (Siebenbürgen ou Nagyszeben, maintenant l’actuelle Sibiu), tout comme Léopold Auberg. (Comment s’y retrouver dans ces noms de villes qui changent trois ou quatre fois en moins de 20 ans). Oskar est également (et surtout) connu comme étant l’unique représentant du collège de l’Oulipo en Allemagne. On lui doit « Mordnilapsuspalindrom » qui comme son nom l’indique traite du palindrome. Comme le dit si joliment sa rubrique au Collège « Depuis le 4 octobre 2006, il est excusé définitivement des réunions »
Pour en revenir à « La ballade du souffle » et à Léopold, ce dernier est aussi poète, témoins les livres qu’il emmène avec lui en Russie : un exemplaire de Faust (relié pleine toile), le Zarathoustra et une anthologie poétique « Huit siècles de poésie », le tout dans une valise en peau de porc qui a contenu un phonographe. (On voit de suite que le dit Léo n’est pas un simple citoyen, d’ailleurs son passé homosexuel va le prouver par sa sensibilité et sa poésie).
Ceci, il s’agit d’un livre magnifique. Un véritable poème en prose, avec l’intervention de « L’Ange de la Faim » dont je vous laisse découvrir la fonction. Dans la même catégorie, l’épisode du mouchoir blanc, avec de délicates broderies, est très beau, tout comme celui de la pelle en cœur ou du sapin de noël. Le livre (moins de 300 pages de texte) est divisé en 65 chapitres, ce qui fait des évènements courts, chacun centré sur un épisode de la vie au camp. On pense immédiatement à V. Chamalov et aux « Récits de la Kolyma », (Verdier, il y a quelques années, un des seul Verdier relié). Lisez d’ailleurs cet ouvrage (par petits paquets, tellement c’est dense), et puis le bouquin est épais (1536 p). Mais tellement bien écrit « Chaque instant de la vie des camps est un instant empoisonné. Il y a là beaucoup de choses que l’homme ne devrait ni voir ni connaître ; et s’il les a vues, il vaudrait mieux pour lui qu’il meure ». Quoique la vie dans le camp n’est pas forcément celle de la Kolyma.
Je reviens un peu sur mon jugement plus rapide de l’an dernier. De moyen, je placerai (enfin) Herta Müller dans les auteurs absolument à lire (il y en a tant à ne pas lire…..)


----------------- David Peace --------------------------------------

Auteur né en 67 dans le Yorkshire en Angleterre, avec une jeunesse marquée par les épisodes de la vie du « Yorkshire Ripper », ou l’Eventreur du Yorkshire (13 victimes) dont il tire sa tétralogie « Quatuor du Yorkshire » , soit « 1974 », « 1977 », « 1980 » et « 1983 », (tous aux éditions Rivages). Il quitte l’Angleterre pour Istanbul en 91, puis pour Tokyo en 94. Il revient du Japon en 09 pour retourner en Angleterre.
Trilogie sur le Japon de l'après-guerre qui commence avec « Tokyo année zéro » (08, Rivages/Thriller, 512 p), traduit de « Tokyo Year Zero (07, Knopf, 368 p)et dont le second tome vient de sortir « Tokyo ville occupée » (10, Rivages/Thriller, 352 p) traduit de « Occupied city » (09, Knopf, 288 p),et dont j’attends le troisième volume «Tokyo Regained » (en fait j’attendais déjà impatiemment le deuxième volume).
Roman noir, et portrait assez sombre de la société japonaise après la fin de la guerre. Société partagée entre la reconstruction d'un pays totalement détruit et le poids de la culpabilité pas encore assumée par ceux qui ont fait, et perdu, cette guerre. C’est une période assez intéressante de l’histoire du Japon, avec ses moments de culpabilité (avoir perdu la guerre), d’humiliation (l’oppression des américains qui règnent en maître et le font sentir) et de honte aussi (les atrocités commises par les militaires, soit dans les pays occupés (Chine, Mandchourie), ou envahis et perdus (Philippines), soit même sur le territoire national (Kyushu). Le tout est cadré dans Tokyo, ville fascinante, dans laquelle DP hésite entre les deux poles « Quand je déambule dans Tokyo, j'ai toujours l'impression de marcher sur deux couches de cendres, les cendres des ruines de la ville et celles des morts. »
Dans « Tokyo année zéro », on suit également un tueur en série Yoshio Kodaira, soldat perdu du japon, qui a eu une période trouble (et troublée) en Chine (nombre de victimes inconnu, mais abondant). De retour au Japon, il viole et tue une dizaine de femmes (et en viole une trentaine d’autres, mais il est vrai que quand on aime on ne compte pas) entre 45 et 46. Arrêté puis condamné à mort, il est exécuté en 49 avec cette jolie phrase « I am fortunate to be able to die on such a calm and peaceful day » (j’ai la chance de pouvoir mourir un tel jour calme et serein). Voila donc pour notre assassin philosophe. Donc on part des ruines de Tokyo, bombardée par les américains et dont il ne reste pas grand-chose. Dans les restes de cette ville, les survivants luttent contre la faim, les épidémies et la violence latente. Le 15 août 46, soit « le quinzième jour du huitième mois de la vingtième année de l'ère Shôwa » l'inspecteur Minami se rend dans le parc de Shiba où vient de se commettre un crime dans le jardin d'un temple à l'abandon: « Dans cette clairière où les hautes herbes ont été aplaties, où le soleil l'a trouvée, elle est là ; sur le dos, nue, la tête légèrement sur la gauche, le bras droit tendu, le gauche contre le flanc, elle est là ; jambes écartées et genoux fléchis, elle est là... ». Pas très loin du premier corps, situé « au dortoir des femmes du Dépôt de vêtements de la marine de Dai-Ichi », il trouve un second cadavre, «vêtu d'un chemisier blanc à manches courtes, d'une robe-tablier jaune à rayures bleu foncé, de chaussettes roses et de chaussures en toile blanche à semelle de caoutchouc rouge ; un deuxième cadavre à dix mètres du premier ; un deuxième cadavre qui n'est plus qu'un squelette...». L’inspecteur Minami va donc tout nous raconter : la ville ou ce qu’il en reste, l’occupation américaine, et l’évolution de son enquête. En trame de fond, on aura droit également à ses souvenirs de la répression japonaise en Mandchourie à laquelle il a participé. Cependant la police japonaise comme ce qui reste de l'administration et de l'armée, elles sont toutes sans moyens, discréditée et gangrenée par la pègre qui fait régner sa loi dans les quartiers. Et là, les « étrangers » qu’ils soient formosans ou coréens, cherchent à s'installer et profitent du chaos ambiant. Tout est bon pour intimider ou empêcher de découvrir la vérité. Un des collègues de Minami est ainsi découvert cloué sur une porte flottant dans la rivière (évidemment cela flotte mieux). Cette «année zéro» qui donne le titre au livre, c'est aussi celle de la défaite, la table rase à partir de laquelle il faudra tout reconstruire, la société et les hommes. On songe, non sans raison au titre du film de Rosselini « Allemagne année zéro ».
Le procédé de narration est relativement simple. Via l’inspecteur Minami, on va entendre plusieurs voix. L’une publique, essentiellement factuelle, raconte tout : la ville en ruines, l’occupation américaine, et bien sûr l’évolution de l’enquête. Une autre voix, intérieure et beaucoup plus fiévreuse, raconte l’homme, époux si peu fidèle et père très distant, voire inexistant, avec ses hontes et ses faiblesses, hanté par les souvenirs atroces de la répression japonaise en Mandchourie à laquelle il a participé (et ce n’était pas très beau à voir), avec en plus le remord et la culpabilité, à la fois d’avoir vécu tout cela, et d’avoir finalement perdu la guerre. «Cette banderole restera ici jusqu'à ce que cette affaire soit résolue dans l'honneur ou bien jusqu'à ce que nous soyons contraints de regagner le quartier général couverts de honte...». D’où des répétitions, je dirais même des litanies (on les retrouve dans « Tokyo ville occupée », des onomatopées parfois, des ruptures de ton et des incantations.
Dans « Tokyo ville occupée », on découvre le Japon de l’après-guerre. On est le 26 janvier 48. Un écrivain court et se retrouve dans la salle du haut, « Sous la Porte Noire ». Dans cette salle 12 chandelles brulent et s’éteignent au fur et à mesure de l’avancée du livre. Chacune correspond à une personne qui a été victime d’un empoisonnement collectif. C’est aussi un récit à plusieurs voix qui se déroule, où chacune des voix correspond à un personnage, que ce soit le journaliste, l’assassin ou un enquêteur.
La découpe du livre en ces 12 chandelles est aussi prétexte à répétition et litanies, ce qui fait la beauté, toute poétique du livre « Dans la ville occupée dans la ville occupée DANS LA VILLE OCCUPÉE Le temps passe le temps passe LE TEMPS PASSE Les secondes passent les minutes passent LES HEURES PASSENT Les jours passent les semaines passent LES MOIS PASSENT Mais la ville est toujours une blessure la ville toujours une blessure TOUJOURS UNE BLESSURE (…) ». La construction se fait par des changements de point de vue, toutes sont différentes : sous forme de lettres, de rapport militaire ou de police, d’articles de journaux, de témoignages d’individus, que ceux-ci soient vivants ou morts (les victimes). Tout ceci a un charme certain pour le lecteur ou pour l’auteur potentiel de ces textes. C’est en fait un long poème en prose. « Au printemps, en été, en automne, en hiver, le matin, l’après-midi, le soir, et la nuit – quel que soit le moment – Dans la poussière, dans la boue, dans le désert, dans la jungle, dans les champs, dans la forêt, dans la montagne, dans les vallées, dans les rivières, dans les cours d’eau, dans les fermes, dans les villages, dans les faubourgs, dans les villes, dans les rues, dans les boutiques, dans les usines, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les immeubles des administrations et dans les gares – quel que soit le lieu – qu’ils soient soldats, civils, hommes, femmes, enfants ou bébés, je les épouvante tous et on me fuit et on m’accuse —»
« DANS LA VILLE OCCUPÉE, vous êtes un écrivain et vous courez – ». C’est ainsi que commence le livre. « Une Parade Nocturne de Cent Démons... ». A vous d’en découvrir la suite (et d’attendre patiemment le 3éme tome).

Le prochain livre «Tokyo Regained », devrait traiter de l’affaire de Shimoyama Sadanori, le premier président des chemins de fer nationaux japonais (Japan National Railways, JNR) dont on retrouve le corps mutilé sur une voie le 6 juillet 49. Trouvé mort entre Ayase et Kitasenju, juste au nord de Tokyo, le président était porté disparu depuis la veille, où il avait été vu dans les magasins Mitsukoshi à Nihonbashi, un grand magasin, juste au nord de la gare de Tokyo. Sa mort survient juste après qu’il ait refusé d'appliquer un plan de licenciement gigantesque, et aussi juste avant le déraillement d'un train à Matsukawa, habilement mis au compte des pro-communistes, bien que le sabotage de Matsukawa ait été fomenté de toutes pièces.


--------------- Siddharth Dhanvant Shanghvi --------


Auteur indien, vous savez que j’adore ce pays, plein de choses différentes. Mais ce deuxième roman « Les derniers flamants de Bombay » (10, Edition des 2 terres, 472 p) se passe dans le sud de l’Inde, tout différent du nord. Le précédent roman « La fille qui marchait sur l’eau » ne m’avait pas trop déplu, quoique un peu mièvre par moments. (je crois en avoir parlé ici même.
Là, il s’agit de Bombay (Mumbai actuellement) donc une toute autre culture. Le livre est en trois parties. La première décrit ce milieu un peu faux dans lequel Zaira, une vedette de Bolywood, évolue. Le « héros », Karan, est un jeune photographe qui vient d’arriver à Mumbai. Son journal, India Chronicle le charge de faire un reportage sur Samar Arora, un pianiste excentrique, quelque peu homosexuel, mais également très amoureux de Zaira. Milieu branché, faux et à l’argent facile. On y croise aussi Malik, un fils de ministre corrompu. Bref la première partie décrit ce milieu et ne pousse pas forcément à continuer de lire la suite.
Deuxième partie tout change, la belle Zaira se fait assassiner par Malik et le père, le ministre Chandar Prasad va tout mettre en œuvre (comprenez corrompre) pour innocenter son fils et éviter le scandale. On se dit alors qu’on va voir une autre face de l’Inde.
Troisième partie, ça repart en eau de boudin.
Je passerai sur les parties de jambes en l’air, mais décrites souvent par métaphores assez mauvaises. Un bon point pour cette surprenante phrase, à propos dudit ministre « Lorsqu'il était nerveux, le ministre Chander Prasad avait l'habitude de se gratter si sauvagement les bourses que ses morpions en avaient des orgasmes à répétition ».
Bref de quoi passer une paire d’heures sans trop se prendre la tête. Dommage pour les flamands, la mer et les remparts de Mumbai.

Écrit par : jlv-muller | jeudi, 21 octobre 2010

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Décidément, je ne ferai jamais comme les autres. Certains lisent des livres (livres de contes pour enfants pas sages, livres de comptes pour patrons enragés livres de cons qu’on trouve en grandes surfaces), d’autres des auteurs qui néanmoins écrivent (« mon premier livre », « horreur et raccolements » ou encore « les points et les virgules élémentaires »). N’ayant point ces réflexes pavloviens (encore que dans ce cas, il s’agissait de bonne nourriture), je vais finir par croire que je ne lis que des éditeurs. Tiens donc, cela existe encore des illuminés qui façonnent des livres, non point comme une tête de gondole, mais comme des embarcations à promener le lecteur sur les flots éditoriaux. Et je connais même quelques irréductibles qui, de plus, vendent ces « produits », et même quelquefois conseillent très justement les intrépides qui tirent leur porte à eux. Je sais, mesure de sécurité, la porte doit s’ouvrir vers l’extérieur. (Cela permet de fuir les auteurs précités, si toutefois ils pénétraient en ces lieux).
Donc, entre deux livraisons des auteurs de Lot49 (existe t’il des indulgences pleinières pour ces lecteurs là ?), une livraison concernant trois auteurs, mais un seul éditeur : Attila. (Encore eux, j’en ai déjà parlé (en bien) ici même, et je ne suis pas encore en service de presse).
Trois ouvrages d’éditeur qui fait (très) bien son métier : avec des illustrations (point trop n’en faut), des bas de pages avec des symboles ou un index (voire un code barre quelque peu déjanté). Bref des livres (à lire) et non pas des objets à remplir un temps de cerveau disponible (bien qu’il y ait plus efficace comme machine à décervelage).


-------------------------------- Fabienne Yvert --------------------------------

« Téléscopages » (10, Attila, 194 pp)
C’est une dame, donc je tairai son âge (mais son frère jumeau a 28 ans moins un quart d’heure qu’elle). A souffert sous Alcofribas Nasier (dit sa bibliographie), mais j’ai tendance à penser que c’est plus à cause de sa prof (enceinte nous dit on, mais je ne vois pas le rapport) que du susdit thélémiste. (A ce propos on ne signale pas son appartenance à la Maison Tellier). Vie entre la Normandie (Le Havre) et Marseille (au bord de la plage où « on voit en passant l’hippopotame affalé sur l’herbe »).

Pour ce livre, elle a tenu des fiches recto/verso de 97 à 02 (un peu comme les fiches cuisine de Elle). Il y a de tout, essentiellement des notes, des fiches cuisines (poivrons séchés, tomates vertes à la calabraise, tarte ô citron meringuée) mais aussi des dessins et des gravures (essentiellement en jaune et noir), dont des pièces de Meccano, quelques photos. Le tout se termine par un index (« à la mode Criquette ») sur 19 pages (1/10 du livre). On y apprend en particulier à repeindre sa voiture (sans se fatiguer. Pour cela il convient de « la taches-de-girafer ».
On constate de suite qu’il s’agit là d’un ouvrage aussi indispensable que l’Encyclopédie Unicervelle (ou le catalogue Manufrance de mes jeunes années, dans lequel on apprenait à lire). Et pourtant, on y trouve des petites notes, véritables chef d’œuvre, valables pour chaque saison « Le problème du rhume en été, c'est qu'on a moins de poches pour les mouchoirs », « En automne, on plie les feuilles pour faire des livres », « L’été n’est pas l’hiver, et la campagne n’est pas la ville ».


-------------------------------- Hadrien Klent --------------------------------

D’emblée, j’annonce la couleur Hadrien Klent est un pseudonyme, donc il n’y aura pas de note bibliographique, si ce n’est qu’il a de (belles) moustaches.

« Et qu’advienne le chaos » (10, Attila, 252 p).
Tout commence par une biographie (courte) de Mikael Korta, le personnage du livre (naissance en 54 à Phoenix, Arizona ; 65, il se blesse à la main, 76 ; assiste à un suicide explosif ; 87 scène avec sa femme ; 98 assiste sa voisine qui vient de se faire violer), et le livre débute finalement en 09, alors que Mikael Korta travaille chez Biometrics Inc, à Phoenix. Il travaille sur le contenu génétique contenu dans l’iris de l’œil, sorte de calque temporel, qu’il expérimente sur 99 personnes durant 9999 secondes (2h 46).
On croise également un dentiste qui collectionne les dentures et mâchoires d’hommes célèbres, son morceau de choix étant celle de Staline (j’aurais préféré celle du japonais cannibale, mais bon…). Et cela d’autant plus que le pauvre Joseph, le petit père des peuples, « souffrait de parodontolyse » (ou pyorrhée alvéolaire), qui faisait que « ses dents se décollaient de leur sertissure et tombaient ». (Ce qui fait qu’il ne devait presque plus rien rester sur ladite mâchoire de collection). Le psychanalyste est également remarquable, lui qui ressent une pulsion incontrôlable qui lui fait lécher des vitres ou le cuir de ses fauteuils pour s’assurer qu’ils existent bien.
Pour en revenir à Mikael Korta, point n’est besoin de dire qu’il est misanthrope. Il n’aime pas son épouse, ni ses collègues, ni ses voisins et il déteste l’humanité dans son ensemble. Son rêve est d’être le dernier homme sur Terre. Cela commence dès la première page :
« Comment va le monde ?
Il s’use en vieillissant. »
Et cela se poursuit par les deux références à Shakespeare et Timon d’Athènes
« Je sais déjà tout cela.
Mais que se passe t-il de neuf ?
Que se passe t’il de si extraordinaire
Que le souvenir des hommes
N’en garde aucune trace ? »
La pièce de Shakespeare fait évidemment référence à la misanthropie de Timon.
Ce riche athénien organise de fastueux banquets pour ses amis, et parmi eux, l’ami Ampetamus ou Alcibiade. Après sa ruine (et le départ ou le détournement de ses amis envers lui), il se retire à l’écart du monde, vit dans une caverne et devient très misanthrope. Le mondain philanthrope devient alors l’ermite misanthrope, jusqu’à ce qu’il découvre une véritable mine d’or qui va lui servir à inverser le processus précédent. Il reste donc prodigue, mais avec un pouvoir de nuisance accru.
« Vivez honnis pendant longtemps,
Parasites souriants, suaves et détestés,
Aimables destructeurs, loups affables, ours mielleux,
Bouffons de la fortune, pique-assiette, profiteurs,
Lèche-bottes serviles, ectoplasmes, marionnettes ! »

Ces références à Timon d’Athènes, on les retrouve au long du livre, ne serait ce lorsque Vincent rend visite à Robert de Montesquiou, qui répète la pièce de Shakespeare, et prête à Vincent le texte de la pièce. Il faut dire que le livre court de Phoenix à Londres, Paris et autres lieux, où s’agitent quantité de personnages dont les trajectoires s’entrecroisent. Mais le style est tel, bref, rapide et en cours chapitres, que l’on passe de l’un à l’autre sans problèmes. Ce qui fait qu’une fois commencé, il est dur de laisser tomber le livre.
Ceci dit c’est un excellent polar, et donc je ne vous raconterai pas la fin, sachant que Mikael Korta rêve d’être le dernier homme sur Terre. (A-t-il tué tous les autres ? Etait ce avant que j’écrive cette critique ? Serait ce pour la semaine prochaine ?). Dans l’attente, dépêchez vous de lire le livre. (On ne sait jamais).


-------------------------------- Bérengère Cournut --------------------------------

Ecrivain jeune encore (désolé, elle n’a pas de frère jumeau, mais elle écrit sur une fratrie de trois, dans laquelle la narratrice est la tranche de jambon, ou l’enfant du milieu). Elle a déjà publié de courts textes dont 4 sont disponibles en ligne sur Tabacaria 19, la vitrine Internet du magazine Papier peint, qui paraît le premier lundi des mois impairs. Un roman également « Nanoushkaia » (09, l’Oie de Cravan) C’est publié au Canada et je n’ai pu déterminer si c’était un livre pour petits ou grands enfants. A signaler aussi le fait qu’elle a été l’éditrice de « La Chambre du traducteur » de Pierre Leyris (07, José Corti, 160 p), dont elle fut pour un temps la secrétaire, ainsi qu’une belle postface pour André Baillon, écrivain belge-luxembourgeois « Baillon n’est pas Artaud, n’est pas Céline, mais c’est un écrivain puissant, original - et bien meilleur compagnon ! ». Elle a aussi été lectrice d’Artaud et de Michaux (d’où l’incipit « Le Grand Combat » dont est tiré le titre de son roman).
« Il l'emparouille te l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse. »

« L’écorcobaliseur » (10, Attila, 194 p). La narratrice est en fait la sœur de l’écorcobaliseur. L’action se passe à Menfrez, lieu bien connu pour son bistrot à la mode, le Taiqueuwok, et son journal, L’Expèche. (C’est au bord de la mer et on y embarque pour La Mer, avec ça, vous devriez pouvoir trouver). C’est également là que l’on a vu pour la dernière fois l’écorcobaliseur, le frère de la narratrice « La dernière fois qu’on l’a vu, il se promenait dans le port de Menfrez avec, au bout du bras, la tête ensanglantée de son frère. On suppose qu’il est allé l’enterrer le jour même, mais on n’en est pas sûr. »
Bien sûr, sa sœur va à sa recherche, munie d’un appareil à sonder les vides, qui indique quelques hectovidals (la mesure officielle, tout comme le hectopascal mesure la pression).
En fait on assiste à une triple division du livre en trois chapitres, chacun étant consacré à un membre de la fratrie, l’écrocobaliseur dans le premier, l’isandreline dans le second, pour la sœur, et l’anicétonque, le frère ainé dans le troisième. Enfin un dernier chapitre refait le point et l’on y retrouve le capitaine Hermann du premier chapitre (celui qui emmène la sœur à La Mer), et Henric, autre personnage essentiel (celui qui tient le bar Taiquewok). A ce propos (de bar) son nom vient en fait de « Take a walk on the Wild Side », un titre de Lou Reed. Les deux propriétaires du dit bar (Henric et Marguerite dite Margie) sont respectivement fans des Stones et des Stooges, d’où « la polémique Jimi/Iggy ».
On constate donc que l’histoire n’est pas simple. Encore ai-je oublier de parler des Bédouins, venus « lors d’une tempête de sable. Un phénomène géocinétique unique, qui aurait consisté dans le déplacement de plusieurs dunes d’Afrique du Nord jusqu’ici. Le vent, d’une violence inouïe, aurait arraché au désert non seulement des tonnes et des tonnes de sable, mais aussi des Bédouins endormis, ainsi que leurs tentes et leurs chameaux. ». Bien que ces Bédouins adorent se baigner, un problème surgira quand ils découvriront non seulement un bateau, mais qui plus est, porte des gens. (Est-ce le début d’une nouvelle polémique vaisseau du désert/des mers ?).
Bref, vous l’aurez compris, rien n’est simple (et tout se complique, aurait dit Pierre Dac). Reste la très belle écriture de BC (mais ce n’est pas son premier roman) et en plus quatre dessins de Victor Brauner, superbes et en couleurs.
Je n’ai pas lu, ni trouvé autre chose sur « Nanoushkaia ». En échange voila les 4 petites nouvelles de Tabacaria 19.

« Wojciech » ce sont deux polonais, Wojciech et Urban qui se mettent dans la brocante d’objets marqués de prénoms, et de prénoms seulement, mais ils sont débordés par l’abondance imprévue d’objets en « b », en « d », en « j » et en « m ». quand soudain passe la belle Maria….

« Schasslamitt » L’histoire d’un pauvre chat, que deux filles vont affubler d’une brassière (soutien gorge quand c’est traduit du québecois). L’histoire aussi d’un pauvre chien, favori du tonton chez qui les deux sœurs sont en vacances. N’en reste qu’un à la fin de la nouvelle.

« Léocadie ». Jeune fille qui « aurait pu finir martyre et sainte à Tolède, elle en repartit au matin, avec seulement une ride au coin des lèvres » et dont les 64 ans de vie sont résumés en 44 lignes.

« Lundi de P. » « En République de B., le lundi de Pâques, hasard ou nécessité, tombe le jour commémoratif du massacre de Saint-Élan-lès-Bois-Vides ». Ciboulot et Ciboulette passent le temps d’une journée à ne pas faire grand-chose. Vers midi, Ciboulot se lève : « Bon, allez. Je vais étendre les briques, elles doivent être essorées maintenant. »

Écrit par : jlv-attila2 | dimanche, 24 octobre 2010

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