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jeudi, 18 novembre 2010

Quel beau chantier !



Maylis003.jpg

Comme Louise l’a précisé en accueillant Maylis de Kerangal, on allait parler chantier…
Le chantier c’est le sujet visible de Naissance d’un pont, mais c’est aussi d’un autre chantier passionnant que l’on a parlé, un chantier de quatre années, celui de l’écriture de ce roman dans lequel l’auteure décrit pêle-mêle les humains et les matériaux qui concourent ensemble à l’élévation d’un pont suspendu entre forêt primitive et ville tentaculaire.
Comme Maylis de Kerangal nous l’a avoué avec simplicité et humour, ce chantier-là, celui de l’écriture, ce fut un sacré boulot ! S’y élabore une langue qui dit concrètement le bruit et la fureur, et qui colle tellement à son sujet qu’elle l’incarne littéralement.

Maylis002.jpgComment y arrive-t-elle ? Pour Maylis de Kerangal, la langue qu’emploie un écrivain est ce qu’il a de plus consubstantiel à lui-même, c’est comme le corps qu’il a et à travers lequel il filtre le monde ; cette langue-là est capable d’incorporer le vocabulaire technique, de retranscrire les tensions et d’incarner le sujet. L’objectif est clair : utiliser la description, mais surtout pas une description qui ne serait qu’un décor – on n’est pas dans la pension Vauquer de Balzac. Ici la description dit tout, englobe les êtres et les choses, les cerne au plus près, de façon quasi « pongienne », restituant la sensation physique de l’objet en trouvant son équivalent verbal : barres de métal, rivet, comme le geste ou la démarche d’un personnage ont la même présence, on est  « à la culotte des choses ».
Les personnages sont secondaires face à ce pont invraisemblable et leur description fait l’impasse de la psychologie, même si l’auteure s’autorise un beau lyrisme qui se fait rythme en  martelant ensemble émotions et actions.


Ecriture très contemporaine où les mots s’entrechoquent pour dire que l’on brasse, que l’on tasse, que l’on casse, pour dire la force physique des gestes du travail mais aussi celle du désir. La musique de ce texte est faite pour l’oral et la romancière  le dit bien qui y a eu recours elle-même durant l’écriture, mettant en bouche chaque étape de son récit pour entendre s’il sonnait juste.


Maylis004.jpg

 

On parla donc beaucoup d’écriture en cette belle soirée, pour le bonheur des lecteurs présents comme de celui de l’équipe de l’Autre Rive, présente au grand complet pour saluer Maylis de Kerangal et Naissance d’un pont, qui est leur coup de cœur absolu de cette fin d’année.

 


            Claude André, grâce aux notes de Jean-Michel et aux photographies prises par Nicolette Humbert.  

Commentaires

oui j'ai lu le livre et je suis heureux de vous voir le mettre en avant ce qui n'est pas le cas partout.

Écrit par : jeanro | samedi, 20 novembre 2010

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---------------------- Tina May Hall -------------------------------

Certes un nom qui doit vous être inconnu, mais qui ne devrait pas le rester longtemps. Résumé des épisodes précédents :les « 20 under 40 », ou les 20 auteurs de moins de 40 ans qui devraient marquer les années à venir (c’était la liste du New Yorker en juillet), puis le « Lot49 », vaste entreprise que de lire la vingtaine d’auteurs confirmés, publiés au Cherche Midi, sous la direction de Claro et d’Arnaud Hofmarcher (en cours, et ce non sans mal), entre temps divers épisodes (sans intérêts) pendant lesquels je n’ai pu lire (profession oblige) autant que je l’aurais souhaiter, ou alors ce n’était pas le même genre de littérature (moins de personnages, plus de chiffres). Donc j’en arrive à vendredi dernier, où j’ai acheté un Writer’s Chronicle (vol. 43, No 2) et suis tombé (p. 46) sur une publicité pour « The Physics of Imaginary Objects » de Tina May Hall (la Physique des Objets Imaginaires ). Déjà un tel titre, cela ne pouvait que me plaire. J’apprends en plus que l’une de ses nouvelles « All the Day’s Sad Stories » (Histoires tristes de tous les jours) a été choisie par Brian Evenson comme lauréate du concours 08 de Caketrain Chapbook Competition. (Pour ceux qui auraient manqué l’épisode Brian Evenson, cf ce que j’en disais sur Lot49-1). Donc résultat : livre à trouver et à lire sans tarder. Ce qui est rondement mené, et dont vous bénéficiez de la primeur. Je reviendrai aussi sur les « 20 under 40 ».

Tina May Hall, tout d’abord. Peu de détails bibliographiques. Elle a 37 ans, née et élevée dans l’Arizona. Des études de Master of Fine Arts (MFA) à Bowling Green State University, Ohio, une petite ville entre Cleveland et Detroit, la zone la plus touchée par la crise aux USA. Puis un PhD à University of Missouri .Elle est Assistant Professor à Hamilton College, à Clinton, New York. A partir de là, les avis divergent, selon que l’on considère sa propre version, sur son site propre, ou la version de l’Université de Pittsburgh qui lui a décerné un prix et la publie. Selon Pittsburgh, elle habiterait Clinton, dans l’état de New York. Cependant elle-même indique habiter dans le Northwest enneigé (dit sa bibliographie) avec son mari et un fils, ainsi qu’un fantôme tapi dans un radiateur (toujours selon sa biblio). Cette dernière précise que la maison a 22 fenêtres, mais pas de lave-vaisselle. Certains jours (toujours selon la même biblio) elle s’en va à pied dans la neige avec son fils, vont jusqu’à l’anneau des loups dans les bois, où ils boivent du chocolat chaud et hurlent au loup jusqu’à ce que la foule les chasse. Je serais assez tenté de ne pas croire cette dernière version, sachant par expérience, que hurler au loup ne fait pas venir la foule (par contre, c’est tout à fait dans le style des textes qu’elle écrit.

Elle a déjà publié une nouvelle « All the Day’s Sad Stories » (09, Chapbook, 98 p.), fort heureusement republié dans « The Physics of Imaginary Objects » (10, University of Pittsburgh Press, 152 p.). Ce dernier ouvrage a gagné le Drue Heinz Literature Prize, en 10, un prix attribué par l’université de Pittsburgh, parmi 350 candidats. ». Il s’agit de 16 petits textes dont « All the Day’s Sad Stories » (09, Chapbook, 98 p.), mais qui dans cette édition ne comprend que 47 pages (p. 98-145).

Je ne résiste pas à vous donner à lire le début de « Erratum: Insert "R" in "Transgressors “ » , la seconde nouvelle. Il s’agit vraiment d’un style différent dans lequel on plonge aisément.
“A murder had been committed, the instrument used being an ax.
The victim was a sailor of Swedish extraction and had sailed the lakes for seven or eight years, making his home at Buffalo.
The defendant was a dancer, a singer, a woman once beautiful who, because of her tortuous course, became roughened and changed.
The victim was a sailor of Swedish extraction. He was in the habit of spending his nights when on shore at a notorious dance hall in the infected district.
I was engaged as a medical expert in an investigation under peculiar circumstances. With your kind permission, I will briefly narrate.
The poetic statement that drops of different bloods in drying on a glass plate would give different figures needs only to be mentioned to show that science is not always divorced from fancy.
The victim was a sailor of Swedish extraction. He was in the habit of spending his nights in the infected district. One night he met a singer, whose husband was "the strong man" doing certain tricks such as stone-breaking, tearing chains asunder, and the like. One night he met a singer, a woman, once beautiful, whose very appearance struck him a blow.
A murder had been committed, the instrument used being an ax. After the murder, the house, a wooden one, containing the body, was set on fire, burning to the ground. “
(Un meurtre a été commis, l’instrument utilisé est une hache.
La victime était un marin de souche Suédoise et il a navigué sur les lacs (les Grands Lacs US) pendant sept à huit ans, habitant Buffalo.
L’inculpée était une chanteuse, une femme qui fut autrefois belle, mais de par son parcours sinueux, est devenue plus rude et a changé.
La victime était un marin de souche Suédoise. Il avait l’habitude de passer ses nuits quand il était à terre dans une salle de danse très connue dans le quartier chaud.
J’ai été engagée comme expert médical pour une recherche dans des circonstances particulières. Avec votre permission, je vais vous la raconter brièvement.
L’idée poétique que des gouttes de différents types de sang séchant sur une plaque de verre donneraient des formes différentes ne doit être mentionnée seulement pour montrer que la science n’est pas totalement déconnectée de la fiction.
La victime était un marin de souche Suédoise. Il avait l’habitude de passer ses nuits quand il était à terre dans une salle de danse très connue dans le quartier chaud. Une nuit il rencontra une chanteuse dont le mari faisait « l’homme fort », se produisant dans des tours tels que de casser des pierres, tirer des chaines. Une nuit il rencontra une chanteuse, une femme qui fut autrefois belle, et dont l’aspect le séduisit.
Un meurtre a été commis, l’instrument utilisé est une hache. Après le meurtre, la maison, en bois, contenant le corps, a été mise à feu, flambant entièrement.)
Et le tout continue sur 5 pages (petit format il est vrai), avec ces redites qui ne sont pas gênantes, mais qui impriment un certain style à la nouvelle.
La nouvelle « Skinny Girl’s Constitution and Bylaws » (Constitution et statuts pour filles minces) que je préfère n’est en fait pas vraiment une nouvelle, mais une suite de petites phrases courtes, sans vraiment de liens entre elles. Quelques exemples, non dans l’ordre.
« When we run, our knees are castanets » (Quand on courre, nos genoux sont des castagnettes).
« Underwater, we are transparent » (Dans l’eau, on est transparent).
« In fairy tales, we are the last to be eaten » (Dans les contes de fées, on est les derniers à être mangés).
« We will grow up to be spelunkers, ballerinas, and landscape architects » (On va grandir pour être des spéléologues, ballerines ou architectes paysager).
« There is no noose that can hold us » (Il n’y a pas de noeud coulant qui puisse nous attraper).
« We will gestate plump happy babies in the bone cages of our pelvis. When we lift our arms to the moon, there is a sound like branches scraping » (On va engendrer des bébés grassouillets et heureux dans les cages de nos os du basin. Quand on lève les bras à la lune, il se produit un son comme des branches qu’on racle)
Et il y en a comme cela sur 7 pages, avec quelquefois des petits paragraphes. Idem pour l’avant dernière nouvelle « There Is a Factory in Sierra Vista Where Jesus Is Resurrected Every Hour in Hot Plastic and the Stench of Chicken » (Il y a une usine à Vierra Vista où Jésus ressuscite toutes les heures en un plastique chaud et une odeur de poulet).

Enfin la dernière nouvelle « All the Day’s Sad Stories » (Histoires tristes de tous les jours), sortie en 09 en 98 pages avec une belle couverture bleue pale représentant un buste de jeune femme (et ses deux poumons rouges surimposés). Attention cependant, il n’y a eu qu’un tirage de 200 exemplaires. Le titre par ailleurs insiste fortement sur le « Sad Stories ». 47 petits textes courts (moins de une page, 27 lignes maximum par page) sur les instants de tous les jours de Jake et Mercy (accessoirement en liaison avec Morris, son meilleur ami). Jake quitte finalement son travail pour jouer au poker (sans en avoir naturellement l’accord de Mercy). On aura en plus d’un chien mort, des marques de craie disposées ici et là et sous le lit conjugal des mois de poussière « Under the bed: months of dust ».

En bref, un (petit) livre plein de fraicheur, ce qui me change des pavés de 5-600 pages des autres auteurs américains (ceux du Lot49, pourtant très bonne collection), auteur à découvrir sans tarder.

--------------------- 20 under 40 -- la suite -------------------

Je n’ai bien entendu pas fait que lire ces petits textes. Poussé par la curiosité, j’ai également cherché (et même trouvé) des auteurs jeunes et de qualité. Un peu de lecture de journaux littéraires et du programme « Discover » de Barnes & Noble ou de l’équivalent chez Tattered Cover. Il est à noter que ces deux libraires sont assez contents et fiers d’avoir eux aussi découverts certains auteurs du « 20 under 40 ». A ce propos, des nouvelles sorties (que je n’ai pas toutes lues), mais que je donne ici pour information.
Chimamanda Ngozi Adichie « The thing around your neck » (10, Knopf, 240 p.). Je l’ai acheté car j’avais bien aimé son style dans ses deux livres. Pas encore lu, mais cela ne saurait tarder (et de pus la couverture est belle).
Jonathan Safran Foe « Eating Animals » (09, Little, Brown and Company, 352 p.) voila qu’il vire écolo maintenant, est végétalien à ses heures (et non pas seulement à 16 heure).dans ce bouquin, il plaide contre l'élevage industriel et l'abattage des animaux.
Nicole Kraus « Great House » (10, . Norton & Company, 352 p). l’histoire d’un bureau, dérobé à Budapest en 44, le tout raconté par quatre narrateurs, dont un vivant en Israel. Naturellement on en vient vite à la question de l’identité juive actuelle, que ce soit les anciens hongrois, la diaspora, ou les colons.
Yiyun Li « Gold boy, Emerald Girl » (10, Random House, 240 p) avec de jolies feuilles de gincko en couverture.
Dinaw Mengestu « How to Read the Air » (10, Riverhead Hardcover, 320 p.)
Gary Shteyngart « Super Sad True Love Story » (10, Random House, 352 p.). L’américain russe toujours aussi déjanté.

Bref, parmi les nouveaux auteurs annoncés comme prometteurs, beaucoup de choses à lire.

---------------------------- Laura Van Den Berg -----------------------

Laura van den Berg est née et a grandi en Florideavant d’avoir un MFA à Emerson College, Elle enseigne actuellement à Emerson College, et au Gettysburg College.
Un livre pour l’instant édité « What the world will look like when all the water leaves us » (A quoi ressemblera le monde quand toute l’eau nous aura quitté). Naturellement, le livre ne fait aucunement référence à un quelconque désastre écologique ou climatique prédit ou à venir. Ce sont 8 nouvelles, la dernière donnant le titre à l’ouvrage. Le tout est publié en 10, chez DZANC Books, 208 p.
En commençant donc par la fin, c’est l’histoire d’une mère, spécialiste des primates à Cornell University, qui entraine sa fille, la narratrice, une jeune fille pour un séjour de douze semaines à l’Hotel Le Dauphin, dans le sud de Madagascar.
On va suivre dans tout le livre des espèces disparues ou en voie de (les lémuriens, le singe araignée), imaginaires le monstre du Loch Ness, ou mokele-mbembe, qui hante le fleuve Congo, ou encore Bigfoot, un ours, en fait un travesti qui joue l’ours pour les chasseurs, ou encore le mystérieux « mishegenabeg » un serpent d’eau gigantesque qui sévit dans le lac Michigan. Donc 8 nouvelles, toutes différentes.
« Where we must be » (où on doit être). La sombre histoire d’une actrice, un peu méconnue, qui accepte finalement l’emploi de « Bigfoot », un déguisement d’ours dans un vaste jeu de paintball pour chasseurs en manque d’exploit. Hélas en tuant Bigfoot, le chasseur reconnait que ce n’était qu’une femme….
« Goodbye my loveds » (au revoir mes amis aimés). Ou l’on retrouve Denver, le jeune frère de la narratrice, tous deux orphlins, qui esssayent de survivre
« We are calling to offer you a fabulous life » (nous vous appelons pour vous offrir une vie fabuleuse). Joyce vend des masques de Bali à New York (accessoirement elle s’intéresse aussi aux poissons (poissons anges ou poissons clowns).
« Inverness » (Inverness) La fabuleuse histoire du monstre du Loch Ness revue grâce au sonar.
« The rain season » (la saison des pluies) Dans cette nouvelle, c’est la fabuleuse histoire de « mokele-mbembe », étrange personnage qui hante le fleuve Congo.
« Up high in the air » (plus haut dans l’air) Que va t’il se passer après que votre mère vous appelle en croyant que ses cheveux sont en flammes
Still life with poppies » (la vie toujours avec les coquelicots) Juliana a des problèmes dans sa classe.
What the world will look like when all the water leaves us » (A quoi ressemblera le monde quand toute l’eau nous aura quitté). Madagascar, 12 semaines à y examiner des lémuriens.


------------------------- Paul Harding -----------------------------------

Paul Harding, né en 67 est un surprenant gagnant du Prix Pulitzer en 10. Avec son livre « Tinkers » (09, Bellevue Literary Press, NY, 192 p.). C’est un petit bouquin broché, un peu dans le style de celui de Tina May Hall, ce qui fait que j’ai aussi bien aimé.
Parcours assez sinueux pour Paul Harding, qui a aussi été batteur dans une formation « The Cold Water Flat » dans les années 90-97 (tournées aux USA et en Europe). Il est donc normal qu’il admire Elvin Jones, le batteur de John Coltrane. Né sur la côte est près de Boston dans la ville de Wenham, Massachusetts, il a passé son temps à « knocking about in the woods » (littéralement taper dans les bois, soit glander dans la nature). En plus du Pullitzer, il a remporté le prix PEN/Robert Bingham cette année. Un diplôme de bachelor à Amherst, puis un MFA à University of Iowa. Il enseigne à Harvard University et University of Iowa. Il habite Boston avec sa femme et deux enfants.
« Tinkers » () (09, Bellevue Literary Press, NY, 192 p) est son premier roman, avec George Crosby pour héros (vieil homme au bord de la mort). Un second est annoncé (Random House Ed.) qui aura pour cadre les descendants de George Crosby, don sa fille Kate et son petit fils Charlie (longue vie à cette famille).
Revenons à « Tinkers », donc à 8 jours avant la mort de George Washington Crosby, octogénaire avec cancer et problèmes rénaux, et au début de ses hallucinations…. La première phrase donne le ton « George Washington Crosby began to hallucinate eight days before he died » (George Washington Crosby commença à halluciner huit jours avant qu’il ne meure). Donc on sait qu’il ne verra pas la fin du livre. Au début ce ne sont que des envahissements d’insectes et des fentes imaginaires dans le plâtre de son séjour). Plus tard, les murs vont se mettre à tomber, les fenêtres à devenir plus laches. Tout cela va révéler un autre monde, de vieilles photos ou journaux ou des outils rouillés. Naturellement, en tant qu’ancien horloger, des mécanismes antiques de montres et d’horloges vont s’ajouter aux autres objets courants, lui rappelant son passé et surtout son père, Howard, qu’il a perdu 70 ans avant. Retour sur sa jeunesse dans le Maine (côte Est, près de Boston).

Écrit par : jlv-us | mardi, 23 novembre 2010

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------------------------- Juliette Courmont --------------------------

Pour une fois, ce n’est pas un roman ; mais plutôt un essai «L’odeur de l’ennemi » (10, Armand Colin, 185 p.). Dès le début de la guerre de 14, et en réminiscence de celle de 70, les « Boches » se sont singularisés, outre les atrocités habituelles à ce genre d’évènements, par une « odeur allemande » propre à leur us culinaires. Cette rumeur est par la suite élevée au rang de vérité scientifique par le Dr. Edgar Bérillon, qui publie le 23 avril 1915, « La Bromidrose fétide de la race allemande » sous les auspices de la très vénérable et respectée Société de Médecine de Paris. Il récidive peu après avec « La Polychésie de la race allemande ».
Ce brave homme, savant à ses heures, et ayant déjà écrit sur l’hypnose (cf sa « Revue de l'hypnotisme et de la psychologie physiologique ») eut également des propos nettement tranchés sur d’autres sujets. Ainsi « L'usage du vin pur exerce une action particulièrement fâcheuse sur le caractère des femmes. Il les rend irritables et acariâtres. C'est là le point de départ d'un certain nombre de troubles dans les ménages. Il y a certainement une relation entre l'usage du vin pur et beaucoup de dissentiments conjugaux qui aboutissent au divorce.»
Donc, revenons au livre de JC «L’odeur de l’ennemi ». C’est à lire avec à l’esprit l’opinion qui régnait après la défaite de 70. Je passerai rapidement sur la notion de « Boche » et non d’« Allemand », ou de « Teuton ». On passera également sur la représentation sociale de l’autre ou de l’ennemi. Restent les témoignages de l’odeur laissée par les troupes dans les maisons ou villages occupés. Non seulement un arome lié aux cuirs et aux aliments (porc, choucroute), ou aux déjections trouvées dans les armoires, la vaisselle ou les linges. Il faut dire que le fait que les troupes allemandes aient eu du pain de campagne appelé pain KK (Kleie und Kartoffeln – son et pommes de terre) n’a surement pas été pour rien dans la rumeur. Dans ce livre, JC essaie de montrer comment l’odorat sert également à définir l’autre, en lui attribuant ces effluents qui augmentent et entretiennent son image négative. Culture de guerre propre à propager la haine de l’ennemi, l’envahisseur devient une « bête puante ».
L’introduction du livre nous a prévenu « La défense des valeurs de la civilisation face à la Kultur allemande justifie alors tous les moyens pour l’emporter. Dépeint sous les traits les plus hostiles, l’adversaire est animalisé ».
Il est cependant intéressant de noter que ces rumeurs viennent souvent de l’arrière, mais peut être « l’odeur allemande » était-elle faible comparée à « l’odeur de la guerre », celle des tranchées, des blessés, des cadavres, des gaz ou des postes de secours. Cette idée d’une particularité de « l’arrière », essentiellement civile, pas opposition à celle, militaire du « front et des Poilus » n’est malheureusement pas ou peu développée. La majorité des témoignages provient en effet de civils.
La thèse de Bérillon : Nos voisins souffriraient d'une maladie spécifique « localisée à la région plantaire ou généralisée à toute l'étendue de la surface cutanée », et se traduisant par une forte pestilence. Avec une précision toute scientifique, le brave docteur précise même que les exhalaisons différeraient selon les individus : « les blonds ont tendance à sentir la graisse rance ; les bruns, en revanche, fleurent plutôt le boudin ». Ces idées connurent cependant un grand succès, relayées par des journalistes, mais surtout adoptées par d’autres médecins. Témoin, ce reporter du « Matin » qui, de sa visite dans un camp de prisonniers allemands, donna sa propre définition de la « bromidrose particulière à la race dont parlent les savants », « cela fleure à la fois le tan pourri, la punaise des bois, la peau de bique mouillée et le cirage. ». Voila, vous avez la composition olfactive. « La bromidrose fétide des Allemands peut donc, à elle seule, et à défaut de tout autre grief, justifier la défiance instinctive dont elle a toujours été l’objet de la part d’un si grand nombre d’humains. » et voila quasiment la justification de la guerre.
L’ouvrage se termine par le tristement célèbre discours de Jacques Chirac sur le « bruit et l’odeur ». Serait-ce une réminiscence de la grande guerre ou la preuve récente de la persistance du préjugé olfactif.

Écrit par : jlv-odeur | mardi, 07 décembre 2010

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la suite des auteurs de la collection Lot49, des éditions du Cherche Midi
aujourdhui Ander Monson et Dave Foster Wallace.

----------------------- Ander Monson ---------------------------

Ander Monson, né à Houghton, Michigan, il grandit dans cette partie nord de l’état, aussi appelée Upper Peninsula. Décès de sa mère lorsque il a 7 ans, qu’il raconte dans une nouvelle. A 18 ans, il est renvoyé de son école à Cranbook, Michigan pour être en possession illégale d’informations sur les cartes de crédit, ce qui vaut également pour son admission à Case Western University, à Cleveland, Ohio. Etudes finalement à Galesburg, Illinois, au Knox College avant d’aller à Iowa State University et un MFA à University of Alabama, à Tuscaloosa, Alabama. I habite actuellement Tucson, Arizona, et enseigne à l’University of Arizona. Il est rédacteur en chef de la revue « Diagram» dans laquelle on retrouve d’autres auteurs de Lot49, tels don Marcus, Brian Evenson, mais aussi d’autres tels que Lia Purpura ou Philip Metres. La revue vient de fêter son 10eme anniversaire.
A l’actif de AM, deux romans « Other Electricities» paru en 05 et « Vanishing Point: Not a Memoir», paru en 10, qui marque une entrée spectaculaire sur le Net avec un site plein de tours et détours assez surprenants (en tout près de 90 pages).

« Safety Features », (99, New Michigan Press, 36 p.) petite brochures de textes courts et de photos prises dans divers aéroports.

« Other Electricities », (05, Sarabande Books, 95 p.) traduit en « Autres Electricités », (09, Le Cherche Midi, 188 p.)
L’action (ou la non-action) se passe dans la péninsule supérieure du Michigan, vaste étendue entre les Grands Lacs et la frontière avec le Canada. Région très froide à climat continental prononcé, mais où l’hiver va de septembre à avril. On fait retour périodiquement sur la mort d'Elizabeth, une jeune étudiante dont le véhicule a disparu sou la glace (ce thème revient comme un leiv motiv dans l’œuvre de AM).
« Parfois, lorsque je descends jusqu'à son lit, je vois un poisson nager, telle une main fantôme, à travers la surface verglacée. »

« Vacationland », (05, Tupelo Press, 95 p.) Collection de poèmes que AM a rassemblé. Poèmes essentiellement sur la vie dans la Upper Peninsula : hivers rigoureux durant quasiment la moitié de l’année et la plus proche grosse ville à quatre heures de voiture.
On retrouve dans ces poèmes Liz, « Liz, my X, my axe to break the freeze » (Liz, My X, Ma hache pour briser le gel (avec ce jeu de mot sur X et axe). On retrouve également l’atmosphère étouffante des petites villes du nord Michigan ou deux adolescents se sont tués en voiture, corps disparus dans les airs ou sous la glace, et où la vie économique se réduit à des mines fantômes et à la forêt.

« Neck Deep and Other Predicaments: Essays », (07, Graywolf Pres, 190 p.)

« Solipsism », (07, The Pinch)
Entre autres, une page pleine (au total 768) de « Me. » (noirs) par ligne de 26, et sur sur 30 lignes, avec à la fin un « Me. » gris, censé être AM lui-même. S’ensuit une réflexion sur les inconvénients de la machine à écrire, où il fallait taper les 30 lignes, alors qu’avec son traitement de texte, le couper-coller va nettement plus vite.

« Our Aperture » (08, New Michigan Press, 30 p.)
Petit recueil de poèmes, généralement courts et assez interessants. Un seul exemple «Exhaust » (Exhalaison) « streaming exhaust / out of a pip that leads to the heart of the world / where great things are constantly being created / from scratch » ( Flux d’exhalaison/ hors d'un tuyau qui mène au cœur du monde / où de grandes choses sont constamment en cours de création / à partir de zéro)

« Vanishing Point: Not a Memoir », (10, Graywolf Press, 208 p.)
Collection de textes qui oscillent entre essais et mémoires. Dans« Voir Dire »retour sur l’expérience de DM en tant que juré. Trois morceaux avec pour titre générique Assembloir « Assembloir: Disclaimer », « “Assembloir: On Significance » et « Assembloir: Ending Meditation» plus ou moins pastiches des mémoires des autres.


« The Available World », (10, Sarabande Books, 72 p.)
Ou le livre des sermons à en juger par les sous chapitres : « Sermon in Ribbons » (Sermons en rubans), « Maybe Visionary Sermon » (Peut être un sermon visionnaire), « Work-Related Injury Sermon » (Sermon pour une blessure au travail), « Sermon for the Day After the Last Missed Apocalypse Prediction» (Sermon pour le jour d’après la dernière prédiction ratée de l’Apocalypse). En fait ce ne sont pas de vrais sermons (à la Bossuet par exemple), mais plutôt de brefs instant de vie.
Dans un extrait très beau de « Slow Dance with Icarus » (Danse lente avec Icare), AM écrit « This is not a lesson, / and I don’t know and haven’t learned or stayed / in school no more than him or you » (Ce n’est pas une leçon / Et je ne sais pas et je n’ai pas appris ou été / à l’école pas plus que lui ou vous).

----------------------- David Foster Wallace ------------------------------

DFW est un auteur américain, né en 62 à Ithaca, New York, qui s’est suicidé en 08, à l’âge de 46 ans, à Claremont, Californie. Son adolescence se passe dans l’Illinois, qu’il raconte dans « Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas » (A Supposedly Funny Thing I'll Never Do Again), traduit et publié en 08 au Editions « Au Diable Vauvert », comme le reste de son œuvre. Etudes universitaires au Amherst College dans le Massachusetts et thèse en philosophie (85) sur Richard Taylor publié par la suite sous le titre de « Fate, Time, and Language: An Essay on Free Will ». Par la suite un MFA (Master of Fine Arts) en « creative writing » à l'Université d'Arizona, Tucson (87), puis un poste de professeur, Illlinois University. En 02, il s’installe en Californie, au Pomona College, Claremont, se marie et mène de front son activité de professeur, d’écrivain et de journaliste. Dépressif, depuis longtemps, il se suicide en se pendant en 08.
Son livre majeur « Infinite Jest » (Verve Infinie), non encore traduit, mais annoncé sans date (96, Little Brown, 1079 p.) est un énorme pavé dans lequel je n’ai pas encore eu le courage de mettre le nez. Son autre roman « The Broom of the System » (04, Penguin, 480 p.) a été traduit en « La fonction du balai » (09, Au Diable Vauvert, 388 p.). Le reste consiste en des nouvelles, essais et autres textes courts, dont un livre non terminé « The Pale King » (Le Roi Pale) qui devrait sortit en avril 11. J’y reviendrai.


Trois Romans donc

« Infinite Jest ». Le titre vient de Hamlet. « Alas, poor Yorick! I knew him, Horatio: a fellow of infinite jest, of most excellent fancy: he hath borne me on his back a thousand times; and now, how abhorred in my imagination it is!” (Hélas, pauvre Yorick !... Je l’ai connu, Horatio : Un type d’une verve infinie, d’une fantaisie exquise : il m’a porté sur son dos mille fois ; et maintenant, quelle horreur il cause à mon imagination !). La traduction par « Verve Infinie » n’est pas très bonne, sachant que « jester », le substantif qui correspond se traduit par « amuseur public », ce qui convient, je crois mieux à DFW.
La version brochée (98, Back Bay Books, 1084 p) comporte une préface de Dave Eggers que l’on ne trouve pas dans la version reliée plus ancienne (96, Little Brown, 1079 p). On trouve cette préface traduite http://fricfracclub.blogspot.com/2009/01/une-prface-infinite-jest.html
L’action se passe dans un futur proche en ONAN (Organization of North American Nations), pays qui comprend les USA, Canada et Mexico. On fera bien vite le rapprochement avec le second fils de Juda, qui préférait confier sa semence à la terre plutôt qu’à sa tante Tamar à la mort de son oncle Er. (Les textes ne précisent pas les modalités de cette façon de procéder). Le Sud du Canada et le Nord des Etats Unis sont devenu « La Grande Convexité » pour les canadiens et « La Grande Concavité » pour les américains. C’est une vaste zone poubelle. L’action se passe principalement à l’ETA (Enfield Tennis Academy) et à EHDARH (Ennet House Drug and Alcool Recovery House).

Il existe un certain nombre de sites et d’ouvrages d’exégèse d’Infinite Jest. Parmi eux le livre de Stephen J. Burn « David Foster Wallace's Infinite Jest: A Reader's Guide (Continuum Contemporaries) » (03, Continuum, 96 p.) et celui de Greg Carlisle « Elegant Complexity : A study of David Foster Wallace Infinite Jest » (07, SSMG Press,-SideShow Media Group-, 524 p.). Tant que j’y suis, d’autres livres de critiques et de compilations de DFW : David Hering “Consider David Foster Wallace : Critical Essays »(10, SSMG Press, 244 p.) et celui de Marshall Boswell « Understanding David Foster Wallace » (09, University of South Carolina Press, 248 p.).


« La Fonction du Balai » (09, Au diable Vauvert, 388 p.) traduit de « The Broom of the System » (09, Penguin, 480 p.) C’est une histoire quasi abracadabranqueste, depuis que Lenore Beadsman, 92 ans, a disparu de sa maison de retraite (dorée), ainsi que 25 autres pensionnaires. Son arrière-petite fille, aussi appelée Lenore Beadsman, part à sa recherche. Cette fille cadette de la famille Beadsman habite East Corinth, dans la banlieue de Cleveland, Ohio ; ville nouvelle. Vue d’avion, la forme de cette ville ressemble à la silhouette de Jayne Mansfield, qui fut autrefois l’égérie de Stonecipher Beadsman II, le grand père de Lenore, d’où l’hommage en forme de ville. Bien sur les habitants, au sol, n’en n’ont pas conscience. On voit de suite que l’on se situe à un niveau bien plus élevé que la simple cartographie voire même la possibilité d’une ville. (Je ne sais – si le dessin de couverture de l’édition française a été repris du plan d’East Corinth, - s’il ressemble à une quelconque actrice).
Très vite on est pris dans la piège de cette ville et de ses protagonistes. En effet East Corinth est situé en bordure du Grand Désert D’Ohio (GOD ou Dieu), que le Gouverneur de l’Ohio a transformé en un désert noir gigantesque, sommet de modernité absolue : lieu de recueillement, d’isolation et de désolation. Le tout monté et agencé de toutes pièces par Industrial Desert Design, grande compagnie texane.
La famille n’est pas mieux. On a déjà vu Lenore Stonecipher Beadsman, l’arrière grand-mère disparue est une ancienne élève de Wittgenstein. Elle ne peut vivre dans son hospice que dans une pièce chauffée à 98.6 °F, soit 37 °C. Soit dit en passant, la petite amie du directeur de la maison de retraite est une poupée gonflable. Le fils, Stonecipher Beadsman II n’est autre que le modeleur de la ville, marié à Concardine. Stonecipher Beadsman III est le pdg de Stonecipheco Baby Food, uniquement préoccupé par son entreprise de nourriture pour bébés. Il lance le controlfreakisme comme discipline olympique. Lavache Stonecipher Beadsman IV « L’Antéchrist » est le jeune frère handicapé de Lenore qui donne à manger à sa jambe artificielle. Je vous laisse découvrir son neveu, Stonecipher Beadsman V. Enfin, Norman Bombardini, le propriétaire de la tour Bombardini, qui abrite les locaux de Frequent & Vigorous où elle travaille, décide d’étendre sa masse corporelle pour remplir à lui tout seul l’univers.
Lenore Stonecipher Beadsman, 24 ans, est standardiste chez Frequent & Vigorous une maison d'édition, propriété de Rick Vigourous. C’est aussi le petit ami et accessoirement (ou inversement) patron de Lenore. Il est horriblement jaloux et complexé jusqu’à la névrose. C’est aussi un impuissant notoire complexé par la ridicule dimension de son sexe. Il s’est mis en tête de s’approprier Lenore psychologiquement parlant, à défaut de pouvoir la posséder sur le plan physique. Cette dernière est donc standardiste, avec sa collègue Clarice, mais le standard téléphonique déraille sérieusement et lui communique une multitude d’appels fantaisistes destinés entre autres à Cleveland Remorquage ou à Bambi et son cachot de la discipline. Lenore possède de plus une perruche nommée Vlad l’Empaleur. «Dans la cage, un oiseau, une perruche, couleur citron fluorescent pâle, avec une crête de plumes roses hérissées de taille variable, deux énormes pattes crochues et reptiliennes et des yeux si noirs qu'ils brillaient. Un oiseau nommé Vlad l'Empaleur qui passait le plus clair de son temps à siffler, cracher et se contempler dans le petit miroir accroché dans la cage par une chaine de trombones Frequent & Vigorous… Un oiseau qui, quand l'envie lui en prenait et contre une ration de graines disproportionnée, cessait de cracher et émettait un étrange et extraterrestre « Beau gosse ». »
Tout va (presque) bien, jusqu’au jour ou l’arrière grand-mère disparait. La perruche en profite pour se mettre à parler et à déblatérer un mélange de jargon psychothérapeutique, de poésie anglaise ancienne et d'extraits de la bible du Roi Jacques. (King James Version en anglais ou KJV, la traduction sous James I, en 1611) La perruche, rebaptisée Ugolino le Profond devient la coqueluche d’une chaîne de télévision chrétienne fondamentaliste et co-animateur vedette de l’émission phare « Partners With God Club » (le Club des partenaires de Dieu). Lenore va vite faire le lien entre et la soudaine envie de parler de son psittacidé favori et le nouveau produit révolutionnaire que fabrique la Stonephiceco Baby Food, permettant aux enfants de parler « des mois, voire des années avant l’âge normal ». Par contre que sont l’arrière grand-mère et ses compagnes d’hospice devenus ? Rappelons que Cleveland est proche de Chicago et des ses abattoirs industriels. Auraient ils finis en poudre ou granulés pour oiseaux beaux parleurs?

Et le balai, me direz vous ? (en fait il y a ambiguïté sur le titre. The Broom of the System se traduit aussi bien par la Faille du Système, que par la Fonction du Balai). Je pencherais pour la première traduction, mais on trouve cet épisode du balai au milieu du livre.
« Elle t’a fait le truc du balai ? Non ? Qu’est-ce qu’elle fait maintenant ? Non. Quand j’étais petit – je devais avoir huit ou dix ans, je ne sais plus -, elle me faisait asseoir dans la cuisine, elle attrapait un balai, elle se mettait à balayer le sol comme une furie et elle me demandait quelle partie était pour moi la plus élémentaire, la plus fondamentale, la brosse ou le manche. La brosse ou le manche. Et j’étais là, oppressé et hésitant, et elle passait le balai de plus en plus fort, ça me rendait nerveux et finalement je disais que je pensais que c’était la brosse, parce que si tu as envie tu peux balayer sans le manche, juste en tenant la brosse, et alors elle me flanquait un coup qui m’éjectait de ma chaise et elle me hurlait dans l’oreille des trucs comme, « Haha, c’est parce que tu veux te servir du balai pour balayer ! C’est à cause de la fonction que tu veux donner au balai ! »


« C’est de l’eau » (10, Au Diable Vauvert, 138 p.) traduit de « This Is Water: Some Thoughts, Delivered on a Significant Occasion, about Living a Compassionate Life » (09, Little, Brown and Co, 144 p.). Rassurez vous, il n’y a que quelques lignes par page. C’est une conférence donnée à Kenyon College, Gambier, Ohio en 05 lors de la remise des diplômes.
Réflexions de DFW sur la façon « d'apprendre à penser » « Apprendre à penser signifie bien apprendre à contrôler comment vous pensez et ce que vous pensez, dit-il, ça signifie être assez ouverts pour choisir ce à quoi vous prêtez attention et pour choisir comment vous construisez le sens à partir de l'expérience. ». En fait réflexions multiples. Cela commence par deux blagues (qui finalement n’en sont pas à y regarder de plus près : « C’est l’histoire de deux jeunes poissons qui nagent et croisent le chemin d’un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit, « Salut, les garçons. L’eau est bonne ? » Les deux jeunes poissons nagent encore un moment, puis l’un regarde l’autre et fait, « Tu sais ce que c’est, toi, l’eau ? »


Des recueils de nouvelles

« Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas » (05 , Au Diable Vauvert, 554 p.) Traduit de A Supposedly Fun Thing I'll Never Do Again (97, Abacus, 368 p).
Une suite d’une dizaine de critiques et d’essais, dont une nouvelle autobiographique de DFW.

«Revers et dérivés à Tornado Alley » (Derivative Sport in Tornado Alley) déjà publié sous le titre “« Tennis, Trigonometry, Tornadoes» dans Harper’s (92)
Une courte nouvelle autobiographique de la (brève) carrière de DFW en tant que joueur de tennis à Philo, Illinois. DFW se place modestement lui-même parmi les « proches des grands ».

« E Unibus Pluram, la télévision et la littérature américaine » (E Unibus Pluram: Television and U.S. Fiction), publié dans The Review of Contemporary Fiction (93).
Cette longue critique, mais en même temps essai plus ou moins philosophique, sur l’industrie de la télévision, en fait destinée aux écrivains de série « nés spectateurs », mais ayant horreurs d’être vus. Le titre « E Unibus Pluram » fait naturellement référence à « E Pluribus Unum » la devise des USA (Un à partir de plusieurs).
DFW fait état de la nécessité d’une nouvelle race d’écrivains pour la télévision « new literary rebels ». Hélas la machinerie « à produire du temps de cerveau disponible » ne va pas dans cette voie.

« Partir loin d'être d'ores et déjà très loin de tout » (Getting Away from Already Being Pretty Much Away from It All) déjà publié dans Harper's (94) sous le titre « Ticket to the Fair ».
Les avantages et inconvénients du tourisme. Quelques scènes truculentes avec sa compagne « Comparse Autochtone ».

« Même pas mort » (Greatly Exaggerated), déjà publié dans Harvard Book Review (92).
Originellement une critique de « Morte d’Author: An Autopsy » de H.L Hix (90, Temple University Press, 224 p.) et références à Roland Barthes « La mort de l’auteur » (avec la douteuse blague « un infirme se plonge dans l’eau de Lourdes pour que sa situation s’améliore et en ressort avec une chaise roulante toute neuve »).

« David Lynch ou la tête sur les épaules » (David Lynch Keeps His Head) déjà publié dans Premiere (96).
A l’origine une critique de « Lost Highway » de David Lynch. En fait, on retrouve tous les travers caractéristiques de DFW : sous chapitres et sous-sous-sous chapitres, notes de bas de pages plus importantes que le texte, digressions…

« De Michael Joyce, tennisman de son état, et de son génie professionnel envisage comme paradigm de deux ou trios trucs sur le choix, la liberté, la finitude, la joie, le grotesque et l’accomplissement humain» (Tennis Player Michael Joyce's Professional Artistry as a Paradigm of Certain Stuff about Choice, Freedom, Discipline, Joy, Grotesquerie, and Human Completeness) déjà publié dans Esquire, 1996, sous le titre « The String Theory ».
Regards de DFW sur l’Open de tennis du Canada en 95. Il est surprenant de voir l’extension du titre de la nouvelle.

« Un truc soi disant super auquel on ne me reprendra pas » (A Supposedly Fun Thing I'll Never Do Again) déjà publié dans Harper's (96) sous le titre « Shipping Out ».
Résumé de DFW en croisière sur le «Zenith » pour la Croisière Sept Nuits Caraïbes ( 7-Night Carribbean Celebrity Cruise ).


« La fille aux cheveux étranges » (10, Au Diable Vauvert, 492 p.) traduit de « Girl with Curious Hair » (89, WW Norton & Co, 384 p.). Une suite de 10 nouvelles de taille très variable. La plus courte (« Tout est vert ») fait deux pages et demie, la plus longue (« Vers l’ouest fait route la trajectoire de l’empire ») en fait 194 p.

« Petits animaux inexpressifs » (Little Expressionless Animals).
La nouvelle débute par des phrases courtes. Un peu à la manière du poème de John Ashbery « Self-Portrait in a Convex Mirror » (Autoportrait dans un miroir convexe). (Cela est signalé dans l’avant-préface du livre (même si il n’y a pas de préface). Julie Smith est championne de jeu télévisé Jeopardy depuis trois saisons, mais cela ne saurait continuer. Tant pis pour l’émission de Alex Trebek, tant pis aussi pour Faye Goddard, la lesbienne partenaire de Julie.

« Par chance, l’expert-comptable pratiquait la réanimation cardio-pulmonaire » (Luckily The Account Representative Knew CPR).
Court texte (10 p) dans lequel deux employés quittent leur travail très tard avant de se retrouver dans un vague sous sol, où l’un d’entre eux à une attaque cardiaque. Faut-il forcément raconter des futilités pendant une séance de réanimation. ? Est ce que cela aide le cœur à repartir, ou alors cela active t’il le stress déjà fort présent ? Heureusement, le texte est court.

« La fille aux cheveux étranges » (Girl with Curious Hair)
Où quand les punks vont écouter Keith Jarrett. Un jeune homme (Sale Chiot) de loi (lawyer en anglais, ce qui veut dire beaucoup de choses et rien de précis), Républicain de plus (lire ou traduire BCBG des Jeunes Populaires), avec tous les clichés que cela implique (et le costume trois pièces qui va avec), va au concert avec ses amis punks (La Vrille, Culasse, Nib, Mister Wonderful, Mastoc, Tatons et Cheddar). « Ce soir-là La Vrille et Nib m’ont fellationné, et aussi Culasse J’étais content avec La Vrille et Nib, mais pas avec Culasse, donc je ne suis pas un bisexuel ». (That night Gimlet and Tit fellated me, and Boltpin did as well. Gimlet and Tit made me happy but Boltpin did not, therefore I am not a bisexual. ). On voit que la bande a des activités fort ludiques, et culturelles, puisque tout ce beau monde va au concert de Kith Jarrett (« un musicien nègre extraordinaire que tout le monde devrait voir pour son propre bien »).

« Lyndon » (Lyndon)
Courte nouvelle mettant en scène un jeune employé de Lyndon B Johnson, alors sénateur du Texas, qui succèdera à JF Kennedy. Se greffe sur cette anthologie historique de la vie avant et pendant la Maison Blanche, des séquences quasi-torrides entre un mariage de raison et un autre presque d’amour, mais aussi d’alcool, avec René Duverger, haïtien à l’immunité diplomatique bien pratique.

« John Billy » (John Billy).
Une nouvelle pratiquement sans dialogues d’un type de l’Olklahoma transformé en un monster diabolique.

« Ici et là-bas » (Here and There).
Pour le narrateur dépressif de « Here and There » qui effectue un retour sur lui-même grâce à un voyage sur les lieux de son enfance.

« Mon image » (My Appearance).
De l’utilisation des tranquillisants et autres médecines plus ou moins douces par Edylin, une actrice, quelque peu sur le retour avant son show dans une émission TV de David Letterman. Etre ou avoir été et ne plus être, tout une symbolique quasi du vieux Bill.

« Dire jamais » (Say Never)
Lenny Tagus est en post-doc à Northwest University, Chicago. Il a une relation avec Carlina Rentaria-Cruz, la copine de son frère, chose qu’il révèle dans une lettre à ses amis. De grandes scènes de dialogues à plusieurs voix. Ne jamais dire jamais, ou alors ne pas l’écrire.

« Tout est vert » (Everything Is Green) déjà publié en 88 dans Puerto del Sol, 24.
Un couple, Mayfly et Mitch se dispute à propos d’une indiscrétion que Mayfly aurait faite. On en revient au titre : pour l’une, Mayfly, tout est vert autour d’elle, pour l’autre tout n’est pas vert.

« Vers l’ouest fait route la course de l’empire » (Westward the Course of Empire Takes Its Way).
En fait, il s’agit un court roman (194 p.) dont le long titre est tiré du poème de George Berkeley «Verses on the Prospect of Planting Arts and Learning in America» (1726):
Westward the course of empire takes its way / The first four acts already Past, / A fifth shall close the drama of the day ;/ Time’s noblest offspring is the last. On retrouve cette idée de la course vers l’Ouest dans la course expansionniste du milieu du XIX siècle (cf peinture de John Gast « American Progress » où l’on voit Columbia, qui représente l’Amérique, poussant à la conquête de l’Ouest, avec l’apport de la « civilisation » -et de la religion-, tout en repoussant au loin les « sauvages » - bêtes et populations originelles-).
Dans cette longue nouvelle, on plonge dans le monde de la publicité. Un couple Mark Nechtr et Drew-Lynn Eberhardt (que l’on retrouve parfois sous les initiales MN et DLE) est invité par JD Steelritter, producteur de films publicitaires pour McDonald. On retrouve aussi le professeur Ambrose, le directeur du « East Chesapeake Tradeschool Writing Program », d’écriture créative. Ce professeur est tiré de « Lost in the Funhouse » (Perdu dans le labyrinthe ) (68, Doubleday, 224 p.) de John Barth, une suite de 14 nouvelles dont celle éponyme au titre du livre. De même, une note liminaire indique que l’on retrouve dans la nouvelle de DFW les sept premières lignes de « Usurpation » de Cinthia Ozick, une nouvelle parue en 75 dans Esquirre, et reprise dans « Bloodshed » (83, Plume, 178 p). DFW prend quelques personnages de « Lost in the Funhouse », les vieillit d‘une trentaine d’années pour en faire des personnages « établis » dans la société, avec leurs défauts et travers. C’est ainsi que ce couple va se retrouver dans un terminal de l’aéroport O’Hare de Chicago, avec des acteurs, anciennes stars de la publicité pour McDonald, dont DeHaven Steelritter, le propre fils du producteur, employé en tant que figure emblématique de Ronald McDonald.
Va-t-on assister en direct à la poursuite de la Conquête, non pas de l’Ouest, mais du Bonheur (au standards de la publicité américaine, bien sur). On y verra aussi l’utilisation de « roses frites » en tant que source de nourritures, mais qui sert en fait à une longue introduction à la stratégie commerciale et communicative. On retrouve également en Mark Nechtr, un tireur à l’arc de grande classe, le Philoctète des temps modernes, l’ami d’Hercule, qui a indiqué la tombe de ce dernier, ce qui lui a valu d’être blessé au pied par une de ses flèches et exilé par Ulysse.





« Brefs entretiens avec des hommes hideux » (05, Au Diable Vauvert, 439 p.) traduit de « Brief Interviews with Hideous Men » (99, Back Bay Books, 336 p.)

«Une histoire ultra-condensée de l’ère postindustrielle » (A Radically Condensed History of Postindustrial Life)
Présentation par un tiers d’un homme à un femme. Sourires pour faire bonne figure et chacun rentre seul chez lui.

«Mourir n’est pas finir » (Death Is Not the End).
Un poète de 56 ans se repose dans son jardin. Il est loué, reconnu, primé, son aspect physique montre des signes de dégradation. On passe ensuite au décor, et tout se termine dans la désolation.

« Au-dessus à jamais » (Forever Overhead)
Un jeune garçon, 13 ans, sur le grand plongeoir. Penser ou Plonger, dur dilemne. Histoire somme toutes simple, sauf que la fin est écrite au future (ce qui arrivera après le plongeon. Tout se termine par « Avance dans la peau et disparais » et un surprenant « Hello».

«Brefs entretiens avec des hommes hideux » (Brief Interviews with Hideous Men)
Série d’interviews entre 94 et 97 dans divers villes ou villages américains.

« Autre exemple de la porosité de certaines frontières (XI) » (Yet Another Example of the Porousness of Certain Borders (XI))


Quatre petites nouvelles.


«Le sujet dépressif » (The Depressed Person)
La personne dépressive a vraiment des problèmes pour parler de sa dépression (ce qui semble normal) et ce qui active encore plus sa dépression (prémices à ce que subira DFW ?)

« Le Diable est un homme très pris » (The Devil Is a Busy Man)
Trois histoires en fait. Dans la première, le fils fait face au dilemme de vendre tout ce qu’il trouve en déblayant une grange.

«Penser» (Think)
La jeune sœur de la compagne de chambre de la femme du narrateur essaye de séduire ce dernier. Est-ce par intérèt personnel ou est-ce en référence à ce qu’elle a vu et lu dans le catalogue de Victoria's Secret ?

« Non que ça veuille rien dire » (Signifying Nothing)
Réminiscences du narrateur à l’époque où il quitte la maison familiale, lorsque son père lui saisit subitement le pénis.

«Brefs entretiens avec des hommes hideux »
A nouveau sept entretiens

«Datum Centurio» (Datum Centurio)
Le lecteur sourira également à la parodie d'article de dictionnaire du futur que constitue "Datum Centurio", qui se lit vite (les bas de page sont toujours identiques, et assez importants).

«Octet» (Octet)
Enfin, "Octet", ce sont huit, non quatre, non trois, non deux nouvelles... personne n'en sait rien, pas même l'auteur

«Adult World (I) » (Adult World (I))
L’art de pratiquer la fellation, ou si l’art n’y est pas, il reste les travaux pratiques avnt le moment fatidique.

«Adult World (II) » (Adult World (II))
Qu’est il arrivé durant l’épiphanie de Jeni ? Pourquoi l’automobile de son mari est elle arrété devant le sex shop « Adult World » ?

« Le Diable est un homme très pris » (The Devil Is a Busy Man)

« Église, toi que nulle main d’homme n’a bâtie » (Church Not Made with Hands)

« Autre exemple de la porosité de certaines frontières (VI) » (Yet Another Example of the Porousness of Certain Borders (VI))


« Brefs entretiens avec des hommes hideux » (Brief Interviews with Hideous Men)

«Tri-Stan : J’ai cédé Sissee Nar à Ecko » (Tri-Stan: I Sold Sissee Nar to Ecko)
Mélange des mythologies nordique « Tristan und Isolde » et grecque « Narcisse et Echo », mais ici racontée par Ovide l’Obtus, cela en fait une histoire de base pour un téléfilm. D'ailleurs, les personnages sont justement ceux qu'on devine lorsque la télévision.

«Sur son lit de mort, serrant votre main dans la sienne, le père du jeune dramaturge, la nouvelle coqueluche off-Broadway, vous supplie de lui faire une fleur» (On His Deathbed, Holding Your Hand, the Acclaimed New Young Off-Broadway Playwright's Father Begs a Boon).
Confession d’un père mourant, non pas à un prêtre, mais à son fils.

« Du suicide envisagé comme offrande » (Suicide as a Sort of Present)

« Brefs entretiens avec des hommes hideux » (Brief Interviews with Hideous Men)
Série d’interviews entre 94 et 97 dans divers villes ou villages américains.

« Autre exemple de la porosité de certaines frontières (XXIV) » (Yet Another Example of the Porousness of Certain Borders (XXIV))


Et des essais


« Oblivion: Stories» (04, Back Bay Books, 336 p.) non traduit actuellement mais annoncé sous le titre de « Loin du Monde » par les éditions Au Diable Vauvert.
« Mister Squishy »
« The Soul Is Not a Smithy »
« Daydream »
« Classroom »
« Incarnations of Burned Children »
« Another Pioneer »
« Good Old Neon »
« Philosophy and the Mirror of Nature »
« Oblivion »
« The Suffering Channel »


« Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas» (05, Au Diable Vauvert, 554 p.) traduit de « A Supposedly Funny Thing I'll Never Do Again Oblivion: Stories» (98, Back Bay Books, 368 p.)


« Tout et plus encore » (11, Ollendorff et Desseins, 400 p.) traduit de « Everything and More : A compact History of Infinity » (03, WW Norton and Co, 320 p.) repris d’un article d’un article « Rhetoric and the Math Melodrama» dans le très sérieux magazine Science (00, Science; 290, 2263-2267).
« Rhetoric and the Math Melodrama». C’est une critique des livres de Philibert Schogt, « The Wild Numbers » (00, Four Walls Eight Windows, NY, 159 p) et celui de Apostolos Doxiadis « Uncle Petros & Golbach’s Conjecture » 00, Bloomsbury, NY, 219 p). Ceux ci sont abrégés (selon l’habitude de DFW) en WH et UPGC respectivement, ce qui irrite profondément les critiques. Dès la troisième colonne de texte, le sort est jeté « Neither of these novels is very good » (aucun de ces livres n’est bon). Il justifie cela en comparant les mathématiques à la poésie « halting one’s study of poetry at the level of grammar and syntax » (limitant ses études de poésie au niveau de la grammaire et de la syntaxe). En fait les deux auteurs s’intéressent à la Conjoncture de Goldbach qui stipule que tout nombre entier pair strictement supérieur à 2 peut être écrit comme la somme de deux nombres premiers (non divisible par un autre nombre que 1 et lui-même) (Il s’agit là d’un des plus vieux problèmes non résolus de la théorie des nombres).
L’intérêt de cet article dans « Science » est que les arguments qu’utilise DFW sont à peu près les mêmes que ceux qu’utiliseront plus tard les critiques de « Everything and More ». L’histoire commence par un éditeur, James Atlas, qui se propose de lancer une série populaire sur les « Grandes Découvertes » aux éditions WW Norton. Une de ses idées est de voir si une approche « littéraire » des mathématiques est possible. D’où le contact avec DFW, et voila Achille et la tortue partis. C’est le paradoxe de Zénon d’Elée, que jamais Achille ne pourra rattraper la tortue, car pendant qu’Achille parcourt la distance qu’il a laissé en avance à la tortue, celle-ci s’est déplacée dune distance plus courte, et etc… On appelle cela une convergence de série infinie vers un nombre fini. Pour les fanas, lire « Ce que la tortue dit à Achille» de Lewis Carroll, véritable résumé de l’étape à la sauce carrollienne. Je crois me souvenir que c’est dans « Logique sans Peine » splendide bouquin de chez Hermann, avec des illustrations de Max Ernst)
Bref, d’étape et étape, on en arrive chez DFW à Cantor (Georg et non Jean Seb, l’autre fana des maths) et son théorème sur l’infinité d’infinis (« Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes »). Et là, les critiques se lâchent, témoin celle de la Notice de l’American Mathematical Society (04, NAMS, 51, 632-638). « A sometimes Funny Book Supposed about Infinity » (Un livre supposé parfois drôle à propos de l’infini), ou celle de « Science » « Infinite Confusion » (04, Science, 303, 313-314)) (c’est le chiot de la chienne de l’éditeur, je suppose). On commence par reconnaitre la renommée des livres de DFW (politesse oblige) avant de passer à, l’artillerie lourde. Ainsi les 400 notes de bas de pages dans un livre qui compte 305 p de texte (cf la même prolixité dans Infinite Jest). Il est vrai que les abréviations ne manquent pas dont celle très belle IYI (If You’re Interested – Si cela Vous Intéresse, ou SVI). L’index donné en fin de livre n’est pas plus clair, avec ces entrées, elles aussi abrégées : G : « Glossary » (Glossaire), EG : « Emergency Glossary » (Glossaire d’Urgence) ou QEI « Quick Embedded Glossary » (Glossaire Embarqué Rapide). Mais que penser de « IYI Interpolation » (interpolation si cela vous intéresse), de « Administrative Interpolation » (Interpolation administrative) ou de « Quick Forest V Tree Interpolation » (Interpolation rapide, forêt vs arbre) (c’est un type d’interpolation sur des structures complexes).on admet que ce genre d’ouvrage doit plaire à la faune branchée de « Village Voice » ou de « LA Weekly », les journaux bobos de New York City et de Los Angeles. La critique se fait plus dure lorsque le livre aborde dans son deuxième tiers la partie purement mathématique et l’œuvre de Cantor. Et les mêmes criques que DFW avait utilisées lui reviennent. Bref un bouquin mal écrit, relativement incompréhensible pour un non mathématicien « a truck-load of concrete bloks » (un camion chargé de blocs de ciment), et un bouquin plein d’erreurs factuelles ou de raisonnement pour un mathématicien. L’article se termine en se désolant que « Everything and More » soit le premier volume d’une longue série et par ces mots « Caveat Emptor » (que l’acheteur prenne garde).


« Consider the Lobster » (07, Back Bay Books, 343 p.) non traduit mais annoncé sous le titre de « Examinons le Homard ». Une dizaine d’une dizaine de critiques ou d’articles de revue, le plus souvent déjà publiés antérieurement.

« Big Red Son»
DFW en visite aux AVN Awards, c’est à dire Adult Video News Awards, lieux des récompenses des films pornos. Tout commence par cette intro, comme quoi chaque année deux à trois douzaines d’américains s’auto-castrent pour éviter des « sexual urges »

« Certainly the End of Something or Other, One Would Sort of Have to Think» Critique sévère de « Toward the End of Time » de John Updike, juxtaposée avec d’autres « Great Male Narcissists» que sont Norman Mailer et Philip Roth en plus de John Updike

« Some Remarks on Kafka's Funniness from Which Probably Not Enough Has Been Removed »

« Authority and American Usage » Une longue critique du « Dictionary of Modern American Usage », la référence en communication pour tous les américains. En prime, une discussion très technique de la distinction entre linguistique descriptive et grammaire perspective. Laquelle donne lieu à de savantes distinctions entre « Ebonics » opposé à l’anglais standard « white male » (cf les WASP ou White AnglSaxon Protestants).
Egalement une savante introduction et définition des SNOOT (Sprachgefuhl Necessitates Our Ongoing Tendance ou Syntax Nudniks Of Our Time). Une tendance à ne considérer la culture qu’à travers une satire des termes utilisés, avec certainement une tendance à se référer à des pratiques quasi néo nazies.

« The View from Mrs. Thompson's »
La perception des évènements du 11 septembre 01 par DFW depuis sa maison de Bloomington, Illinois.

« How Tracy Austin Broke My Heart »
Une critique, quelquefois très dure de Tracey Austin, étoile du tennis. DFW poursuit ensuite en une critique plus large des biographies, souvent écrites par complaisance, des sportifs en général.

« Up, Simba »
La description par DFW de la campagne électorale, à bord du bus « The Straight Talk Express » de John McCain, républicain, qui à l’époque, espérait l’investiture, à la place de GW Bush. McCain, vétéran du Viet Nam et sénateur de l’Arizona, sera finalement le candidat républicain en 08, face à Barack Obama, avec e résultat que l’on connait.

« Consider the Lobster »
Critique à propos du fameux MLF (Maine Lobster Festival), qui a lieu chaque année fin juillet dans le Maine, et au cours duquel des milliers de homards sont ébouillantés vifs (quelle triste fin, alors que les griller après les avoir coupés en deux vifs fait que la chair est largement bien meilleure).
Considérations éthiques (?) sur le mode de cuisson et de dégustation de ces charmantes petites bêtes à pinces.

« Joseph Frank's Dostoevsky
Une autre façon de voir et de considérer Dostoievsky, alors que DFW était en pleine crise existentielle. Quelques digressions intéressantes sur la manière d’écrire, des romans en général. Originellement publiée dans « Village Voice ».

« Host »
Profil de John Ziegler, journaliste de radio à Los Angeles, quelque peu conservateur, et obsédé par les meurtres de OJ Simpson. Tout cela avant de passer à une critique plus générale de ces talk-shows radiophoniques à large audience et conclusions sur la façon dont les américains (et nous ?) « talk, think and vote (parlent, pensent et votent) originellement publié dans « The Atlantic », revue qui a récemment publié « Is Google making us stupid ? » largement repris dans Books « Google rend il stupide ».


« The pale King », (11, Little, Brown and Company, 496 p.) mais aussi (11, Penguin Books UK, 624 p.) sortie le 15 avril 11, on peut déjà le précommander chez Amazon. A vrai dire, pour l’instant on ne sait pas encore bien ce qu’il y a dedans. Un millier de pages étaient écrites et terminées par DFW, dont très nombreuses annotations et «notes à moi-même» qui sont censées lier les différentes parties du récit entre elles. Lors d’un échange avec Don DeLillo, DFW avait annoncé vouloir écrire « un manuscrit original de 5000 pages, puis le réduire de 90% » pour arriver au texte final. Un certain nombre de chapitres, déjà parus sous forme de nouvelles sont confirmés de même que certaines illustrations de sa femme, Karen Green, dont la couverture. (La date du 15 avril n’est pas choisie au hasard, car c’est le « tax day », date limite des envois des déclarations d’impôts.). « d »
Les passages confirmés ont déjà été publiés dans des revues, souvent dans The New Yorker.

« The Compliance Branch » Harper's (02-08) avec la présentation du « Group Manager », le distingué Mr Yeagle et son infame bébé (et de son trotteur en plastique).

« All That » The New Yorker (14-12-09). ) Les souvenirs d’enfance d’un garçon (Lane Dean Jr ?) qui se souvient d’une bétonnière reçue en cadeau pour Noèl et des histoires que lui racontaient alternativement ses parents avant de s’endormir.

« Good People » The New Yorker (05-02-07). Lane Dean Jr, encore lui, mais avec sa copine, Sheri, en promenade au bord du lac. Quelques réflexions plus ou moins religieuses.

« Wiggle Room » The New Yorker (09-03-09)lane Dean Jr au travail, en pleine paperasserie fiscal et pris soudain de doutes frénétiques sur l’étimologie , ce qui vaut 2 pages de digressions sur ce sujet.

« A New Examiner » Harper's (09-10). Trois pages d’un texte court sous titré « The Midwest »
Lane Dean, Jr. fait une pause d’un quart d’heure durant son travail toujours aux impôts.

« Irrelevant Bob » The New Yorker (09-03-09) Deux courtes pages scannées, avec des corrections (de DFW ?), d’une écriture très fine à l’encre bleu-vert), et je suppose de l’imprimeur (en bleu) (quoiqu’il y ait aussi des modifications de texte). Il y est question du père du narrateur, déjà employé aux impôts et de la mère, qui protège son fils, et de quelques souvenirs liés au Chicago des années 70-76, période de l’élection de R. Reagan. Suivent deux illustrations de Karen Green.

« Three Fragments from a Longer Thing» Lannan Reading (02-12-09) non confirmé
Le livre raconte le quotidien d’un certain David Wallace et ses collègues, agents du fisc américain (DFW a effectivement été un temps agent du fisc).


« Fate, Time, and Language: An Essay on Free Will » Il s’agit d’une adaptation de la thèse en philosophie de DFW en 85 à Amherst « Richard Taylor's 'Fatalism' and the Semantics of Physical Modality ». (10, Columbia University Press, 252 p.).
Fils d’un philosophe distingué, DFW commence donc des études de philosophie à Amherst, d’où sortira cette thèse. Plus tard, à Harvard, il continue (pendant un bref temps, il est vrai) avant de commencer une seconde thèse qui deviendra « The Broom of the System ». Pour en revenir à Richard Taylor, ce dernier publie en 62 un travail intitulé « Fatalism » (62, Philosophical Review, 71, 56–66). qu’il complète en 02, donc bien plus tard, avec un livre « The Cambridge companion to Arabic philosophy » (05, Cambridge University Press, 468 p.). Dans cet ouvrage, Taylor suggère que les actions humaines n’ont aucune influence ni sur le futur, ni d’ailleurs ne dépendent du passé. C’est plutôt ce que sont les choses dans le futur qui influeraient sur le présent. Je dois reconnaître que DFW traduit cela en « Let Φ (a physical possibility structure) be a set of distinct but intersecting paths ji–jn, each of which is a set of functions, L’s, on ordered pairs {t, w} ({time, world situation}), such that for any Ln, Lm in some ji, Ln R Lm, where R is a primitive accessibility relation corresponding to physical possibility understood in terms of diachronic physical compatibility. » que l’on peut traduire (soit Φ (une structure physique possible) un ensemble de chemins, distinct mais qui s’intersectent, selon ji–jn, chacun d’entre eux étant un ensemble de fonctions L, sur des paires ordonnées {t, w} ({temps, situation dans le monde}), tels que pour n’importe quelle Ln, Lm étant sur ji, Ln R Lm, où R est une relation primitive d’accessibilité correspondant à une possibilité physique comprise en termes de compatibilité physique diachronique) Pour la traduction en langage vernaculaire, je vous renvoie à vos bouliers et autres tables de multiplication.


Des textes également dont le très beau « David Foster Wallace pour mémoire » (10 Au Diable Vauvert, 96 p.), traduit de « Celebrating the Life and Work of David Foster Wallace » qui contient 10 discours prononcé pour son décès. Textes et lectures de Amy Wallace Havens, Bonnie Nadell, Gerry Howard, Colin Harrison, Michael Pietsch, Don DeLillo, Zadie Smith, George Saunders, Jonathan Franzen et Deborah Treisman.

En conclusion, un auteur quelque peu prolixe, mais à tout lire, on se lasse. En faire un auteur culte ? A ajouter à un panthéon déjà bien rempli, plus surement.

Écrit par : jlv-lot49-2 | mercredi, 29 décembre 2010

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En prime, le supplément de Noèl…..(l’actualité fait bien les choses)

--------------------- Don Delillo (bis) ------------------------------------


Dans Lot49-1, je parlais de son dernier ouvrage « Point Oméga » (10, Actes Sud, 140 p), qui venait de sortir. Comme il est court, ce qui change, il était fort lisible.
Encore plus court, une nouvelle dans Libération du 29 Décembre 10 « La Faucille et le Marteau » qui plus est tombe le jour du 90 ème anniversaire du Congrès de Tours et de la Fondation du Parti Communiste Français.
Cette nouvelle est sortie dans la revue Harper’s (Décembre 10, p.63-74) sous le titre « Hammer and Sickle » (soit la juste traduction en faucille et marteau, sinon que l’ordre en est inversé, mais c’est comme cela qu’on dit dans la langue de Shakespeare). Donc une vingtaine de colonnes dans le cahier central de « Libé », soit 8 pages dont des photos de Ashley Gilbertson, prises à Wall Street en 08-09 après la crise des subprimes.
Doit on faire le parallèle entre les pavés de Don Lillo, par exemple « Outremonde » (99, Actes Sud, 896 p.) et cette courte nouvelle d’une part et le pourcentage des votes aux élections de novembre 46 comparé aux 1.9 % des présidentielles de 07 (voir à ce propos l’amer éditorial du « Monde » du 28 Décembre 10 « Un nonagénaire sans avenir »). Bref, revenons à Don Delillo, dont un entretien exclusif avec Bret Easton Ellis était paru dans « Le Nouvel Observateur du 29 octobre 10, donc tout récemment lors du passage de DD à Paris pour son livre « Point Oméga ».

« La Faucille et le Marteau », donc, 8 pages du cahier central, courte nouvelle, qui comme beaucoup de textes de DD est datée en références à des évènements récents (la crise en Grèce, en Espagne et au Portugal). Jerold Bradway est incarcéré dans une de ce prisons sans murs où sont également abrités des délinquants en col blanc. On y voit Sylvan Telfair, « un banquier international qui avait pratiqué la manipulation de dangereux instruments de la finance offshore », ou Feliks Zuber, condamné à 720 ans de réclusion (Madoff n’a eu que 150 ans, une pécadille). On ne rencontre pas le père, ni le frère de Jerold, un certain Howard Bradway, « un mousquetaire des hedge funds ». Bref ce petit monde traverse un pont sur l’autoroute pour aller jouer au football, ou alors regarde les programmes de la télévision. Justement une chaine pour enfants retransmet un cours d’économie et de finance, présenté par Kate et Laurie, les deux filles de Jerold. Le texte est naturellement écrit par leur mère, séparée de Jerold. Donc toute cette famille est immergée dans la finance (« Tradition familiale »). Et une interrogation sur les marchés et réactions des ouvriers « Peuples du Monde, Unissez vous/ - La marée monte, la marée change ». Au fil des jours la crise s’aggrave « Tout cela pourrait mal aller/ - Mal comment ? / -Très mal. / Mal comment ?/- Mal comme la fin du monde ». Retour au pont sur l’autoroute et à ses voitures qui se suivent. « Pourquoi n’ont-ils pas tout le temps des accidents ? Pourquoi ne s’emboutissent ils pas ou ne s’accrochent pas par les coté ? ». Eh bien ce Jerold que fait il : « Il est en train d’inhale les vapeurs de l’impérissable libre entreprise ».

Une belle métaphore pour cette présentation communisante et libérale à la fois. A vrai dire, on a bien dit que le capitalisme c’était « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Par contre le communisme c’est tout le contraire….

Que cela ne gâche pas vos réveillons (ailes de langoustes, dinde flambée au coca, sorbet fraise-choucroute + les inénarrables langues de belle-mère, coussins péteurs et autres).

Écrit par : jlv-lot49-2' | mercredi, 29 décembre 2010

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