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lundi, 09 novembre 2009

Retour sur nos rencontres avec Laurent Mauvignier et Thierry Hesse

 

« Les écrivains de fiction sont des alliés fort valables et leur production doit être hautement estimée  car ils ont la capacité d’explorer une région entre ciel et terre dont nos philosophes n’ont même pas pu rêver ».

S. Freud, à propos de La Gradiva de Jensen

 

Parlant de  son dernier roman Démon, dans lequel il brasse   60 années de l’histoire tourmentée du XXème siècle,  Thierry Hesse revendiqua son choix de mêler les personnes réelles qui ont fait l'Histoire avec des personnages de fiction. Faisant s’affronter les vainqueurs dont l’Histoire a retenu les noms et les victimes,  Juifs exterminés comme Tchéchènes sacrifiés, le romancier imagine les moments dont les historiens ne savent pas tout, comme celui qu’il consacre à la mort de Staline, chapitre particulièrement caustique qu’il lut pour nous. Son  opinion  c’est que L’Histoire, celle écrite par les historiens, est faite du point de vue des vainqueurs,  alors que le romancier peut se donner le pouvoir de faitre revivre sous sa plume ceux qui ont disparu et dont on ne sait presque rien, les abandonnés de l'Histoire, ceux qui sans cela ne seraient qu’un nom sur une liste, sur une tombe, comme il fut dit dans l'assitance.

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Tout le monde ne partageait pas cet avis et des voix fortes s’élevèrent, dérangées que  le romancier s’autorise à  toucher à l’histoire contemporaine en ne parlant  pas seulement des faits avérés mais en faisant vivre ses personnages au delà de la porte où l’historien s’arrête. Thierry Hesse, s’appuyant avec rigueur sur le travail que les historiens ont accompli,  cita souvent La Destruction des juifs d'Europe de Raul Hilberg, mais ses remerciements à ses nombreuses sources en fin de volume, ont aussi troublé celles et ceux qui voudraient que le romancier n’aille pas sur les terres de l’historien.

 

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Cette discussion sur la façon dont le roman peut traiter de  l'histoire contemporaine avait été aussi  au coeur de notre rencontre avec Laurent Mauvignier, qui réveille dans son magistal roman Des hommes, les démons qui hantent ceux qui se souviennent de la guerre d'Algérie comme ceux qui voudraient qu'on n'en parla pas.

Laurent Mauvignier nous entretint longuement de son travail d'écriture, de ce choix   de parler de "la sale guerre" et de tout ce travail qu'il a mené pour éviter tout ce qui lui paraissait convenu. Se posant les questions bien concrètes du ou des narrateurs, du recours au "je" ou au "il" , il nous a emmené au coeur de son travail d'écrivain. Il nous fit découvrir avec une belle énergie son choix de faire s'enchasser  les points de vue de plusieurs narrateurs,  évitant le classique retour en arrière pour lui substituer le surgissement des voix intérieures, comme sa volonté de faire remonter, le temps d'une nuit ,les souvenirs des longs mois de guerre vécus par ses personnages.

 

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Les stratégies des deux romanciers diffèrent, mais ce qu'ils ont en commun c'est le talent et le sérieux avec lequel ils ont affronté les questions pertinentes de lecteurs attentifs pour nous offrir deux très belles rencontres.

Claude André

 

Commentaires

Serait ce aussi une des ces « annus horribilis » pour le livre en France que l’on annonce et que nous prédisent les médias. Après Marie Dniaye, Thierry Hesse ; et qui d’autre pour la fin de l’année ? Pourvu que Jean Bernard ou Louise n’aient pas signé chez un quelconque marchand de signes imprimés…(à moins que ce soit pour la pub vantant la qualité et l’excellence de L’Autre Rive). (je sais, la pirouette était facile). En fait d’« annus horribilis », je me rends compte que les 6 ou 700 romans de la rentrée sont encore préférables à la rentrée littéraire de Berlin en 33 ou de celle du 9 novembre 38, ou nuit de cristal (anniversaire préfigurant celui de la chute du mur 51 ans plus tard).

Bref, « un auteur, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes », comme dirait notre ministre des cultes (le pluriel incluant celui de la personnalité). Et dans ce cas et pour cette fin d’année 09, ils sont déjà deux (un, deux, beaucoup, comptaient nos ancêtres, avant que l’on invente le gain en ligne sur madoff.com).

Donc, j’ai (aussi) lu « Démon » par Thierry Hesse (09, L’Olivier, 462 p.) « Le plaisir de la lecture, source ou aboutissement du savoir lire ? » disait la pub…. Tu parles…
En fait, le livre se lit bien, malgré le sujet, mais déborde parfois en digressions historiques pas toujours utiles (cf l’histoire de Klitch petite frappe russe, qui ayant compris le fonctionnement du parti, y fait une ascension rapide).
En gros l’histoire est celle de Pierre Rotko, journaliste habitué des reportages « à risques », qui se pose des questions sur son origine, à la suite de la pendaison de son père (Lev Rotko). Ce dernier, avocat à Paris, s’est enfui d’URSS le jour de la mort de Staline, à la faveur de la désorganisation qui régnait alors. Il faut savoir qu’il avait déjà échappé à la mort pendant l’avance allemande vers l’est, avec les massacres des juifs et tziganes. Ses parents (Franz et Elena) l’ont soustrait aux rafles, alors qu’eux mêmes en étaient victimes. On s’embarque donc une nouvelle fois sur les atrocités des Einsatzgruppen, et les conditions particulières de l’armée russe à cette époque. On n’échappe pas non plus à l’ascension des apparatchiks, ni à la mort de Staline (épisode d’ailleurs assez cocasse). Le livre, il est vrai ne manque pas de souffle. Mais touts ces résurgences du passé vont conduire Rotko en Tchétchénie, à Grozny plus précisément, où nous voilà repartis pour un épisode d’explications d’images historiques qui nous entraîne à une prises d’otages dans une école (était-ce celle de Beslan ?) et à celle des huit cents otages du théâtre de la Doubrovka, quartier de la Proletarskaïa à Moscou. Entre temps, on a eu droit à l’épisode immanquable du 9 septembre (et à cette conversation irréelle entre Poutine et Bush).
Donc lecture dense et digressions, quelquefois nécessaires, mais qui ont le tort d’être encyclopédiques (quoique….) (il est vrai qu’en contrepartie, on échappe à la description de la vie sentimentale compliquée de Rotko, bien qu’elle apparaisse tout aussi complexe que l’histoire des républiques caucasiennes).
Ces différents et successifs récits historiques (la période Stalinienne, puis Elstinienne, de la Russie, la Tchétchénie, la liquidation des minorités durant la Shoah,...) et l’abondante galerie de personnages quasi infinie (un index de 233 noms en fin de livre les dénombre sur 11 pages) bornent difficilement les limites du livre, mais constituent aussi une source d’intérêt pour le lecteur.
Je sais aussi, après la lecture des rencontres de jeudi dernier, que « des voix fortes s’élevèrent, dérangées que le romancier s’autorise à toucher à l’histoire contemporaine en ne parlant pas seulement des faits avérés mais en faisant vivre ses personnages au delà de la porte où l’historien s’arrête ». Il s’agit d’un roman, laissons les historiens à leurs histoires (fussent- elles avec un H….). Il y avait déjà assez de digressions pour ne pas en rajouter, afin de coller à l’historique, et sabrons délibérément ces digressions à la hache cette fois. Si l’on veut absolument une référence « historique », se replonger dans « Le Livre noir » de Vassili Grossman et Ilya Ehrenbourg (99, Solin Actes Sud, 1129 p., puis en Poche (01), 636 p.). C’est le récit complet et chiffré de l'extermination des Juifs de Russie, Ukraine et Biélorussie par les Allemands.


Plus intéressant me paraît la motivation de TH. Passons sur les longueurs des rappels historiques. Le livre est d’une très belle tenue. La recherche de son passé, et à travers cette recherche celle des démons (du démon ? puisque le titre est au singulier). On se dit que cela doit être le point central du livre. Mais, là encore TH ne donne finalement pas de réponse satisfaisante, entre les horreurs vécues et les souffrances corporelles endurées « Comment le corps pourrait il oublier quand la conscience n’y arrive pas ? ».
Et ce titre : pourquoi Démon ? Est ce simplement une histoire familiale, (l’histoire des grands parents ou du père), étouffée jusqu'alors par les non-dits, les silences et le caractère du père (« un taiseux ») (ou du fils ?
Démon ou démons ? Non pas des créatures surnaturelles, mais des démons incarnés, des « personnes néfastes, méchantes », des individus dont le pouvoir de nuisance est fonction du pouvoir qu'ils peuvent exercer sur les autres (les différentes cliques militaires, ou leurs dirigeants). Mais la couverture du livre indique « démon » au singulier. Est-ce alors autre chose : l’intuition, la recherche d’une évidence cause à la cruauté ambiante. Est ce « une voix muette » qui résonne un jour à l'oreille de Pierre Rotko et qui dirige toute cette recherche historique.
Le vieil homme qu’est Lev Rotko est né et a grandi en URSS dans les années 30-50. Il n’a jamais ou très peu parlé de ses parents à son fils, si ce n’est à la veille de se donner la mort. Ces parents (Franz et Elena) ont été exterminés (du moins on le suppose). Le jeune (enfin la 40aine) Pierre Rotko, journaliste, habitué (pourquoi justement cette habitude ?) des guerres civiles ou des catastrophes naturelles. Il veut donc approfondir sa connaissance de l'histoire de ses grands-parents « je crois que Franz et Elena m'ont soufflé le nom de Grozny ». Pourquoi Grozny, c’est près (400 km) de Savropol « Cependant, était-ce parce que Grozny est à côté de Stavropol, parce que la force des uns et la faiblesse des autres, comme dans l’histoire des Juifs, sont tellement inégales là-bas, je ne doutais plus que les Tchétchènes fussent les Juifs d’aujourd’hui ». Alors l’Histoire là dedans…… Pour preuve, les dernières 15 pages (l'épisode de Weckmann, le voisin pharmacien) qui apparait comme un cheveu dans la soupe. Ce dernier chapitre est une pirouette sans nom. Elle justifie pleinement le non-respect de l’Histoire tout au long du livre. (la pharmacie a t’elle vraiment existée ? et la tante Louise ?, etc…)
Par contre, les questions qui se posent sur les causes (éventuellement physiques) des « prédateurs » sont pertinentes. A propos de la disgrâce physique de Richard III « Quel était le pied bot de l’Allemagne dans les années 30 et 40 ». Bref quelle est la cause poyr laquelle l’homme devient Démon. «Ce midi j’ai copié dans un cahier les différentes définitions d’un article du dictionnaire : 1. Ange déchu, révolté contre Dieu, et dans lequel repose l’esprit du mal. 2. Personne néfaste, méchante. 3. Être surnaturel, inspirateur de la destinée d’un homme, d’une collectivité. 4. Puissance, force spirituelle. Merveilleux dictionnaire. Que le même mot puisse recouvrir des sens aussi contradictoires. Qu’y a-t-il de commun entre Satan, le prince des ténèbres, et ce génie ou cet esprit intime qui en novembre m’a incité à partir pour Grozny?». Le problème est bien l’origine du mal et ses continuelles résurgences. «Comment l'idée de meurtre peut venir à des gens qui ne sont pas des meurtriers?». Cette permanence du mal a une implication évidente et terrible, la permanence des opprimés : «Le «Juif», au-delà d'un destin historique, est aussi une idée, un nom universel pour désigner celui dont l'existence est nue, soumise à tout, soumise à pire.» Hier le non-communiste, puis le juif, là c’est le Tchétchène. Et demain ?


De Thierry Hesse, j’avais lu, il y a quelques temps « Jura » (05, Champ Vallon, 235 p.) maison d’édition assez élitiste, avec de forts beaux livres sur les paysages, les Villes et une certaine forme de philosophie-sociologie-sciences assez intéressante.
« Jura » donc ; dans lequel un footballeur colombien, Escobar marqua un but contre son camp au cours d'un match de Coupe du Monde, provoquant la défaite colombienne, et le tout dix jours avant sa mort. Ça c’était une partie de l’histoire. L’autre étant celle de Samuel Richard, Sam pour faire plus court, romancier français venu au bord du lac de Neuchâtel pour écrire le portrait de sa mère disparue « Comment a commencé ma vie ? ». On verra plus tard que ce père se livrait régulièrement à d'obscures séances de bricolage dans son atelier, un " terrier " creusé sous la maison familiale. Récit donc assez introspectif, mais qui ne manquait pas de charme (et en plus il était court).

Écrit par : jlv-démon | mardi, 10 novembre 2009

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