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Commentaires
« C'est l'idée de l'île que j'ai aimée, bien avant d'y mettre le pied »
Rassurez vous, je ne vais pas vous faire le coup de la possibilité d’une île. Et toc ça vous a C(h)l(ouellbecq). (désolé, mais ça vaut largement Anémie Lothomb…).
Donc, écrivais je, Eloges des voyages insensés est un très beau livre de Vassili Golovanov (ed Verdier). Et il traite de l’île de Kolgouev. Manque d’idées pour partir en vacances ? manque d’arbre pour y attacher son chien (ou son crocodile comme dans les Vosges), avant de s’en aller ? Kolgouev est ce qu’il vous faut : rien à y faire, et point d’arbre.
Gros bouquin (512 p) sur une petite ile en mer de Barents. Heureux lecteurs, vous saurez tout sur Barents (Willem pour les intimes) avant qu’il ne découvre la mer qui porte son nom et le détroit de Kara (qui donne accès à la mer de Kara, on s’en serait douté). Oui, me direz vous, mais mon GPS dans tout ça ? C’est simple, c’est tout la haut, juste avant la Nouvelle Zemble (Novaya Zemlya pour les autochtones), zone militarisée où les sous marins nucléaires russes lentement rouillent (tiens, au fait les matières nucléaires rouillent elles aussi ?). Mais je m’éloigne (déjà parti dans ce voyage insensé).
L’auteur (V Golovanov) va donc nous raconter, en 4 livres, son rève, puis sa découverte et l’exploration de cette île. En fait le livre est découpé en 5 le rève (30aine de p), la fuite (90), l’expédition (190) et le destin (100), + des annexes (90). Au début, bien sur, on se moque de lui « Elle n'existe pas, ton île ». Au passage, on en saura un peu plus sur W Barents, les Nenets qui peuplent l’île et les tentatives des grands voyageurs pour aller en Chine (je sais, ça parait décousu, mais c’est écrit avec du vrai fil de lin, spécial marine). Les Nenets, donc, qu’il convient de toute urgence d’aller voir avant que le naufrage de l’ex URSS ne les emporte et les dissolve dans la vodka (ou autre alcool tout aussi frelaté). C’est l’autre face (multiple) de ce livre, qui nous fait part du coté sombre (au sens de naufrage) de l’île, sur qui il faut le rappeler, la plus haute montagne a 176 m, tout le reste n’est que toundra et tourbières. Les habitants (quelque 427), tous centrés sur Bougrino, ne seront pas éternels sur celle île de 80 km de diamètre. (Bougrino ne serait il pas un avatar d’un personnage dans Pantagruel ?).
La découverte de l’île, ou le premier contact de l’auteur se fait après une longue descente du fleuve Petchora, parcours plus ou moins initiatique à cette région. Le premier aperçu consiste en « A gauche dans le sens de la marche : le tuyau avec la pompe qui clapote, le trou marécageux au fond du ravin, la carcasse immergée d'un véhicule tout-terrain, et quelques bidons rouillés. Plus loin : deux baraques, un chien attaché qui aboie, quatre ivrognes qui titubent, ivres morts ». Route la Russie post-communiste est résumée dans ces deux phrases. Cela m’a rappelé des paysages du Kamchatka (avec les montagnes et volcans en plus). Le tout, bien sûr, avec son climat froid (il y a tout de même 3 mois par an où la température est positive à Kolgouev (et 12 m de neige au Kamchatka). L'urgence pour l’auteur de voir l’île se fait vite sentir après l'effondrement du communisme : « Il n'y a plus qu'un monde, il n'y a plus d'ailleurs ». Il part donc (en 92), avec un seul sac de sport (et bien sûr sans équipement adéquat). Il y retournera en 94 et va séjourner avec des éleveurs de rennes. Puis à nouveau en 1997, alors qu'il pensait en avoir terminé avec ses démons intérieurs. L’écriture de ce récit lui prend encore 5 années. On comprend mieux ainsi la genèse du livre qui se termine presque cent pages avant la dernière page. Une succession d’annexes poursuit le récit, montrant que le voyage n'est toujours pas fini, ou plutôt, qu’il n'a pas de fin. Voyageur nomade, comme ces Nenets, qui ont fui devant les invasions et les Huns, avant de trouver refuge sur cette île. Samoyèdes, leur langue fait partie du groupe finno-ougrien, donc avec des origines anciennes, au moins 6000 avant notre ère. Eleveurs de rennes, dont ils tirent tous leur besoins (cf la cérémonie de la mort du renne et la prière aux dieux). Et en plus ils ne vendent pas la peau de l’ours blanc aux russes (ours blancs et rennes blancs sont sacrés).
Et pourtant, ces 4 livres ne sont pas du tout un simple récit de voyage. Ne serait ce que par la production écrite tout au long du périple (18 lignes la première journée, on se demande ce qui va donner de la matière au récit). D’ailleurs un chapitre commence par « je ne me souviens de presque rien », ce qui en dit long sur la suite. Celle-ci a des digressions parfois surprenantes. Comment, durant une partie difficile de l’exploration, passe t’on à Paris, les quais de la Seine, Pascal, Saint-John Perse (ou John Pearce ?) et au musée de Cluny ?, le tout pour finir sur un court chapitre (5-8 p) entièrement consacre aux rennes. Pauvres bètes qui deviennent misérables dès qu’elles sont enfermées. Et que dire du passage de la castration des rennes (avec un petit canif) et dont les enfants en récoltent les fruits (qu’ils mangent comme une pomme).
Pétrole et gaz. Les habitants ont eu de la chance, l’ile est encore trop près des côtes, le pétrole (et surtout le gaz) sont situés bien plus au large. Et cela pourrait être une source de pollution (environnementale et culturelle) future. « Alors que tant de cultures disparaissent, et qu'il ne restera rien de cette terre dans peu d'années ». Cette région du sud de la Mer de Barents a une épaisseur énorme de sédiments (donc de matière organique, et de possibilité de gaz par chauffage). L’épaisseur des sédiments du Trias (notre grès des Vosges) y atteint 6000 m (contre 200 au maximum chez nous); et cela en environ 50 millions d’années, ce qui est très rapide. On voit de suite l’intérèt des pétroliers (Russes, Total, Statoil norvégien….), et les préoccupations pour l’environnement manifestées par les géologues russes (qui heureusement ont fourni les abris à l’expédition en 94. On les entrevoit plus tard, qui viennent encore échanger quelques bouteilles avec les habitants.
Pauvres Nenets, princes de la Toundra, fils du dieu du ciel et des grandes tempêtes (Noum). Qu’en restera t’il dans quelques années ? Pas grand-chose surement. Que restera t’il de l’île, des rennes ou des oiseaux ? Ceux-ci continueront à migrer et à venir. Que restera t’il de l’île alors ? il n’ya même plus de bateau pour faire la liaison avec le continent. A vrai dire que restera t’il de ces terres ? De la tourbe et de l’eau. J’ai eu à lire des travaux sur cette région, toute l’histoire à l’Ouest de l’Oural. C’était un peu comme le livre (bien que l’auteur du travail soit jeune (et jolie)). A la lire, j’étais incapable de savoir où cela se passait, incapable de situer les lieux ou une quelconque référence géographique (ou géologique). La terre du rien ou l’endroit du non-être. Peut être est ce une caractéristique de cet endroit (et pourtant cette auteur ne faisait pas partie des Nenets. Je lui ai lu et corrigé son texte. Son patron, voyant cela m’a envoyé toute une série d’autre textes (à corriger bien sur). Rien ne se perd, tout se négocie.
Le dernier livre traite des gens, les anciens, ou ceux du cimetière que l’auteur visite en 97. Déjà des morts connus, Sacha à qui il laisse son couteau, ou Andrei à qui il offre une cigarette. On y parle aussi des hommes souterrains (Siirt) que naturellement on ne verra pas, mais on préfère y croire.
Les pas et les mots. Ecrit’ on lorsque l’on marche ou marche t’on pendant que l’on écrit ? « ce livre n'aurait probablement eu aucune valeur s'il y avait eu moins de pas que de mots ». Autre façon de concevoir le livre (et l’expédition). C’est un peu le sens de la fuite du livre 2. A comparer aux empreintes laissées dans l'argile ou la marche dans (c’est littéralement le cas) les buissons de la toundra. Les mots ensuite (après la marche) pour boucler la boucle. Les mots aussi des Nenets. 11 mots différents pour décrire l’eau (celle qui coule et celle qui reste croupie entre autres). Après tout, on dit bien que les esquimaux on une vingtaine de mots pour désigner la neige. Et nous combien de mots pour désigner un fromage (sans compter celui moins gustatif des administrations).
Combien de mots pour commenter un livre ? Combien de pas pour y arriver ?
Écrit par : jlv-golovanov | vendredi, 10 juillet 2009
Répondre à ce commentairePour changer, cette fois, ce sera un roman d’initiation ou d’apprentissage (« Abel dans la forêt profonde ». Auteur hongrois (Aron Tamasi), et éditeur suisse (Héros-Limite, Genève), mais l’action se passe aux confins de la Hongrie et de la Roumanie, dans la province de Hargita. Et le tout, si l’on peut dire, m’avait été recommandé par Jean-Bernard, quoique à vrai dire, j’avais repéré le livre avant qu’il ne m’en parle et avais déjà jeté mon dévolu sur lui (le bouquin pas JB).
Donc la province forestière de Hargita. Ou est ce bien situé, ce truc là ? c’est assez simple, c’est là ou se trouve l’Olt (qui, avec l’Inn, l’Aar, l’Ili et le Nil) coulent tous de source, tout au moins pour ceux qui font des mots croisés.
Ayant situé la scène, reste à placer l’action. Histoire d’un gamin (mais le terme ne lui plait pas), que son père place en tant que garde forestier dans un endroit perdu de la forêt, avec un chien, un chat et une chèvre, et qui va vendre du bois à des clients pas toujours scrupuleux. Mais là n’est pas vraiment l’intérèt du bouquin.
Roman d’initiation. Ouais, si l’on veut. Dans la mesure où ce jeune garçon découvre le monde et ceux qui y vivent.
Langue quelque peu spécifique. Oui, aussi. Non pas par le style, mais par la façon dont les questions et les réponses des dialogues est abordée. Est ce une forme d’humour ?, (mais cela ne fait pas franchement rire). Est ce une forme de maieutisme ? (pas franchement non plus), ou de circolocution pour gagner des lignes (on est proche des romans feuilletons payés à la ligne qui ont fait le bonheur du roman populaire. Cette forme, plaisante au début du livre, devient quelque peu pesante à la fin (quelques 300 p en tout).
Quant à la spécificité de la langue (celle des Sicules, dixit la traductrice), celle ci avoue aussi avoir tourné la difficulté en traduisant dans un français moderne les tournures anciennes et dépassées qui ont fit le charme du livre.
Voilà. JB m’avait demandé ce que j’en pensais. Je n’en pense pas moins. Cependant deux petites illustrations (des bois gravés, je pense), au début et à la fin du livre valent qu’on s’y attarde.
Écrit par : jlv-tamasi | dimanche, 12 juillet 2009
Répondre à ce commentairePour changer, un livre « Temps gelé » de Thierry Acot-Mirande, publié par Monsieur Toussaint Louverture (à Toulouse). Petit bouquin (268 p) avec 11 nouvelles et novellas (nouvelles un peu plus longues).
Livre étrange « une mystérieuse publication » de MTL (dit le 4 de couverture), en fait des nouvelles à la limite du fantastique et due l’humour noir. « Le temps gelé » qui donne le titre du recueil est en fait un décalage dans l’espace-temps. On pense aux romans de Maurice Renard (le brouillard du 26 octobre), dans lequel on se mélange un peu les pinceaux entre la courbure du temps et l’espace des pavillons banlieusards. Mais qui lit encore MR ?, ce génial précurseur français de la SF, avec plein d’autres d’ailleurs, André Couvreur et son « Invasion des Macrobes », ou les autres auteurs des éditions Lafitte (années 20-30), ou encore des Editions Françaises Illustrées (avant 14), avec leur couverture illustrée d’un superbe bois gravé (le premiers Maurice Renard) et qui se termine en 18 avec les volumes des auteurs morts à la guerre (4 gros volumes). « Quelle connerie la guerre » dirait plus tard Prévert (tiens hier entre deux nouvelles, petite ballade aux Eparges avec des amis (pensées aux soldats dispersés lors des explosions des entonnoirs), (pensées aux (très bonnes) bouteilles vidées lors du repas du soir), ou comment attendre les feux d’artifice du 14 juillet en se faisant plaisir.
Pour en revenir au bouquin « temps gelés »…. D’autres nouvelles plus exotiques (« 5W Club » ou « Sable Rouge ». On retrouve les fantasmes des repas exotiques (se munir d’un singe, mandarin de préférence, et d’une scie sauteuse pour adapter la table), ou des contorsions bizarres infligées aux jeunes garçons araignée. Se munir également de pots de couleurs « le jaguar rouge qui courait sur une plage bleu royal sous un ciel pourpre ». Ou d’autres plus étranges (« Sable Rouge »). On pense à des scènes de Ensor « le bal des masques » ou aux romans de Jean Lorrain (« Histoires de masques » ou « Fards et Poisons » des nouvelles pleines de scènes assez fantastiques.
Ceci dit, le livre est superbe (comme les autres volumes de MTL). Il y a tout ce qu’il vous faut comme précision en fin de volume (p 270), vous y apprendrez que la couverture bleue est en Inuit Original blanc Blizzard, 300g, d’une épaisseur de 375 microns, avec deux passages successifs de Pantone 287U pour lui donner sa belle couleur bleue (sans compter les fioritures argentées en creux) et que le papier intérieur est du my 306° Edit me blanc, 100g. enfin la police est du Lynotype Garamond Three. Bref, tout ce qu’il faut pour en faire un livre (très) agréable à lire.
Écrit par : jlv-MTL | mercredi, 15 juillet 2009
Répondre à ce commentaireNouvelle traduction aux Editions des Equateurs de « Cœur des ténèbres » (auparavant « au cœur des ténèbres ») de Joseph Conrad (en fait Teodor Jozef Konrad Korzeniowski). A lire car c’est un chef d’œuvre (les autres romans de J Conrad aussi, relisez « Typhon » ou « le Nègre du Narcisse »).
Texte court (208 p) que l’on pourra associer à deux autres livres, l’un de Conrad aux Equateurs (« Du gout des voyages », suivi de « Carnets du Congo » (128 p), mais aussi à « Exterminez toutes ces brutes » (234 p) de Sven Lindqvist (ed. Serpent à plumes), j’y reviendrai.
L’histoire est connue et a fait fantasmer nombre de réalisateurs, dont la libre adaptation par Francis Ford Coppola en 1979 dans Apocalypse Now (au Vietnam, avec la chevauchée des Walkyrie et Marlon Brando). En fait il s’agit d’un parcours plus ou moins initiatique, ici au long de la descente d’un fleuve en Afrique (le Congo sur lequel Conrad a navigué (cf ses carnets)). C’est l'ancien marin Marlow qui raconte ses aventures et sa recherche dans la jungle africaine de Kurtz, chef de comptoir perdu dans la jungle, trafiquant d'ivoire qui en dispose plus que quiconque (acquise sous quelles conditions ?). Kurtz que l’on retrouve dans le film de Coppola, mais qui n’apparaît pratiquement pas dans le roman (encore moins que dans le film).
En fait qui est le personnage central du roman ? Marlow, Kurtz ou l’Afrique ?
Pour Charlie Marlow, on pense assez vite à J Conrad lui même. Embarqué très jeune comme mousse sur un bateau par son père (lire l’épisode où son père le dépose en Rolls Royce au pied bu bateau sur lequel le jeune mousse embarque (je n’ai pu retrouver le livre (Narcisse, ou Typhon). Il est à noter que après son séjour en Afrique, le capitaine J Konrad Korzeniowski, malade, devient lors Joseph Conrad écrivain. La mission fixée à Marlow est non seulement de remonter le fleuve et de faire un tantinet de commerce, mais surtout c’est de retrouver ce Kurtz et de le ramener à le ramener à la civilisation. Tout est fait cependant pour ne pas lui faciliter. Le steamer est quasiment à bout de course, l'entourage est hostile et le fleuve rempli de troncs d’arbres qui sont autant d'embûches sur le parcours de Marlow.
L’Afrique, très mystérieuse, sur laquelle Conrad a publié un long article publié dans le National Geographic Magazine (cf « Du goût des voyages ») et sa remontée du fleuve Congo (cf « Carnets du Congo ». On est en 1890. Livingstone part en 1866 vers le lac Tanganyika en Tanzanie pour trouver les sources du Nil. Il se perd et tombe malade avant que Stanley le retrouve en 1871. Stanley revient de son expédition en 1878, et dessine la carte du Congo. Puis en 18885 Léopold II de Belgique annexe (s’approprie personnellement) le Congo (cf « Exterminez toutes ces brutes ») (les anglais n’ont pas notre pudeur, eux qui parlent de « the Congo Free State, a private colony of King Leopold II »). On voit que le livre de Conrad est totalement dans cet épisode de découverte (d’initiation ?) en 1890, lorsqu'il quitte la mer pour le fleuve et trouve un engagement sur un steamer miteux qui remonte le Congo. Cependant on est loin de Stanley, les indigènes sont honteusement exploités ou traités en sauvages. Les quelques colons rencontrés sont sans scrupules.
Kurtz, personnage très mystérieux dont l’origine est partagée entre deux personnages tout aussi suspects Léon Rom et Georges Antoine Klein. Le premier était commissaire du district de Matadi. Il aurait collectionné des têtes d’africains pour servir de décoration du jardin devant sa maison. Il serait également l’auteur d’un petit ouvrage publié à compte d’auteur : « Le nègre du Congo » (1899). Cet ouvrage transpire de conceptions les plus racistes, typiques de cette époque. « La race noire est issue de l’abrutissement, ses sentiments sont grossiers, ses passions brusques, ses instincts bestiaux et, avec cela, elle est orgueilleuse et vaniteuse. La principale occupation du Noir est de s’étendre sur une natte, aux chauds rayons du soleil, tel un crocodile sur le sable ». Voilà qui donne le ton général…
Le second, Georges Antoine Klein, est un employé de la Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut-Congo. Il aurait été abordé par Conrad lors de son séjour au Congo. Après tout, Klein (petit) est une bonne analogie pour Kurtz (court). Cet agent est mort peu après avoir rencontré Conrad sur son bateau. Sa tombe se trouve à Tchumbiri près du fleuve Congo.
Voilà pour les personnages et lieux. L’atmosphère : celle étouffante de l’Afrique, avec ceci de particulier que vu du fleuve, le continent est inabordable, double frontière de bosquets. Voir pour cela l’épisode de l’attaque, dans laquelle on ne voit pas les attaquants, mais que l’on tire comme des lapins et qui s’enfuient (au seul son de la sirène ou de la corne de brume).
Donc Charlie Marlow, qui débute son récit depuis Londres, part en Afrique et prend le commandement d'un vapeur, but officieux le transport de l'ivoire. Lors de la remontée du fleuve (que l’on suppose être le Congo, vers son comptoir colonial, toutes ses certitudes européennes s’effondrent l’une après l’autre. En même temps, il remonte à travers les âges (vieux concept pour désigner les peuplades primitives), rejoignant ainsi les origines de l'humanité (naturellement des sauvages). En plus, on découvre les tambours et la brume. Pauvre colon blanc perdu chez les sauvages (quasi mangeurs d’hommes (cf p. 119).
Au bout du voyage, il y a Kurtz, que l’on ne verra que furtivement, malade, et qui meurt sans que Marlow ait pu tirer de lui autre chose que « l’horreur, l’horreur »
A propos de « Exterminez toutes ces brutes... », de Sven Lindqvist (234 p) Le Serpent à plumes, 2000. Le point de départ est fourni par une phrase du livre de Conrad, prononcée par un des personnages : "Exterminez toutes ces brutes" (p ; 141). Sven Lindqvist reprend cette phrase pour montrer que Conrad a voulu décrire, en fait les méfaits de la colonisation occidentale. Le livre de Conrad a été pour l’auteur comme un révélateur de ces méfaits. Il développe l’idée de l’extermination des indigènes brutes: l’annihilation totale des personnes considérées comme "brutes", celles dont l’humanité est niée. On retrouve des passages du livre de Conrad lors de son voyage sur les lieux ainsi que des personnages à l’origine du livre comme ce belge G A Klein. . Il montre la justification idéologique qui sont à la base des massacres des africains par les colons blancs. En effet, les "sauvages" (par opposition aux "hommes blancs") n’étaient pas humains. Dangereuse idéologie raciste ou "Darwinisme social" appliqué aux civilisations : Seuls les plus aptes peuvent survivre. Vers 1850, Knox avait déjà divisé l'humanité en deux espèces, les Blancs et les Noirs, et énoncé la prévalence des Blancs. L'autre doit mourir, en raison de la loi naturelle, et donc le massacre obéit à un principe philanthropique. C'est vraisemblablement armé de cette conviction que les officiers, les colonisateurs, les commerçants ont conquis les territoires immenses. C'est une des vérités de l'impérialisme. Suit ensuite un développement qui montre que les nazis se sont inspirés de l’Empire britannique, et qu’ils ont été des précurseurs des nazis dans leurs rapports coloniaux.
« Exterminez toutes ces brutes » est un livre contre l’amnésie, globalement européenne. « Vous le savez déjà. Moi aussi. Ce ne sont pas les informations qui nous font défaut. Ce qui nous manque, c'est le courage de comprendre ce que nous savons et d'en tirer les conséquences ».
On retrouve dans Stanley une conception identique des peuples primitifs. Les Noirs sont une immense source de problèmes ; ils manquent trop de gratitude pour me plaire », écrit Stanley. Il part explorer le Congo comme on v à la chasse : avec une petite armée et il n’hésitait pas à razzier ou brûler des villages. On retrouve cela dans le livre de Conrad à l’identique de Stanley « La plage était couverte d’excités et de moqueurs... Nous sentîmes que plusieurs pirogues nous suivaient. A bord de certaines, nous vîmes des lances brandies vers nous. J’ouvris le feu avec la carabine à répétition Winchester. Six coups et quatre morts suffirent à faire cesser ces moqueries ». (cf l’épisode de l’attaque du steamer dans le livre de Conrad)
Conrad dénonce sans le nommer le brutal système d’exploitation du Congo. « La conquête de la terre, qui signifie principalement à prendre à des hommes d’une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, n’est pas une jolie chose quand on y regarde de près », s’exclame Marlow. Pourtant, Conrad justifie en partie la colonisation britannique. En effet, Conrad écrit « la liberté ne peut se trouver que sous le drapeau britannique, partout dans le monde ».
On peur encore se reporter au « Voyage au Congo » d’André Gide : beaucoup de descriptions qui masquent la dénonciation du système colonial. « Je ne pouvais prévoir que ces questions sociales angoissantes, que je ne faisais qu’entrevoir, de nos rapports avec les indigènes, m’occuperaient bientôt jusqu’à devenir le principal intérêt de mon voyage, et que je trouverais dans leur étude ma raison d’être dans ce pays ». Puis le roman d’aventures se transforme en plaidoyer contre le système colonial. « Quel démon m’a poussé en Afrique ? Qu’allais-je chercher dans ce pays ? J’étais tranquille. A présent, je sais : je dois parler ». Le récit de Gide est implacable contre l’exploitation économique des richesses, la répression cruelle, l’incurie des administrateurs, les exactions des « civilisés ».
La prochaine fois ce sera différent (et plus gai). Ce sera à propos des livres de Alberto Ongaro « la Taverne du Doge Loredan » et « le Secret de Caspar Jacobi », tous deux chez Anacharsis. Voir la critique de « La Partita » faite récemment (des nouvelles formes de boussoles, LTDG, p 170-171).
A signaler aussi dans le Monde du vendredi 14 aout, une nouvelle de Mathias Enard « Migration »
Écrit par : jlv-conrad | lundi, 17 août 2009
Répondre à ce commentaireComme promis, deux livres de Alberto Ongaro « La Taverne du doge Loredan » et « Le Secret de Caspar Jacobi », (304 et 272 p respectivement), tous deux chez Anacharsis.
« La Taverne du doge Loredan » tout d’abord. En fait il y a deux livres imbriqués l’un dans l’autre, les aventures de Jacob Flint et le récit de l'éditeur vénitien Schultz (un peu comme Jacob peut l’être avec Nina). Les deux histoires s’enchevêtrent, mais sont séparées par une typographie différente, ce qui permet éventuellement de lire les deux histoires séparément (mais d’en perdre la saveur).
Cela commence par Schultz, et son associé, ou alter ego, Paso Doble avec qui il partage son logement à Venise. On redécouvre le manuscrit du « Doge » sur une armoire, et les deux compères en font la lecture, entrecoupée de réflexions et aventures (recherche symétrique ?). L’histoire est celle de Jacob Flint, et démarre à Londres où ce dernier a trucidé en duel Jeremy Trentham, douanier, mari de Rosalynd, blonde et pulpeuse, et accessoirement maitresse de Jacob. Comme de nos jours, on ne rigolait pas avec les tueurs d’agents de l’état, et Jacob doit s’enfuir (on retrouve en partie le schéma de « la Partita » que j’avais lu et revu en avril). Errance ( ?) ou plutôt recherche de la belle Nina, nymphomane notoire, amante occasionnelle de Jacob, et attitrée de Fielding, un sombre trafiquant (qui pue de façon horrible et qui s’entoure de métaphores, bêtes bizarres chargées des basses œuvres). Les parties de galipette s’enchainent et se déchainent, au grand régal des deux protagonistes. Elles seront d’ailleurs le prétexte à la recherche de Nina en fuite, donnant lieu à un avatar nouveau de la boussole (p. 170-171). Les aventures s’enchainent aussi chez Schultz, avec une suissesse et un moine espagnol, mais se terminent de façon abrupte pour ce dernier (on le retrouve en fin de livre, dans une version non sous titrée). Fielding est lui aussi présent de façon intermittente, annoncé par sa puanteur, et ce malgré son métier d’importateur (et contrebandier) de parfums. On croise également Viruela, exportateur d’alcools plus ou moins frelatés, qui assure à Jacob une certaine indépendance et sécurité. C’est lui qui le fait embaucher dans la taverne de Nina en tant que joueur de clavecin lors d’un épisode bizarre, où l’on retrouve des vers de William Blake («Tiger, Tiger burning bright…»). Tout au début de l’histoire, on croise également un perroquet, chez Viruela, qui parle « Et toi, tu connais Molly Jackson ? » « Eh bien c’est une fieffée putain » (en fait MJ, ou plutôt Mary Magdalene Garland, était une grande figure du mouvent ouvrier et féministe).
On comprend que la rivalité entre Jacob et Fielding, avec pour récompense la pulpeuse Nina, va être l’occasion de rebondissements multiples (cf « la Partita ») en des positions diverses et variées.
Schultz n’est pas en reste, et se remémore ses aventures avec la belle Enrichetta qui a partagé quelques années de sa vie à Venise. Hélas, il n’en reste plus qu’une femme de cire, nue, et revêtue d’un manteau de poil de chameau. Editeur dont le passé le hante, il raconte au téléphone l'histoire d'un certain Scarpa, importateur de chaussures italiennes en Argentine (tout un roman, avec des jeux de mots à faire pâlir monsieur Vermot). Avec Paso Doble, il rêve de publier une "Histoire des lupanars vénitiens".
On finit cependant dans ce livre par ces mots de Schultz « le lecteur pourrait être le personnage le plus important de tout livre, si seulement les auteurs lui accordaient plus d’espace ».
« Le Secret de Caspar Jacobi », changement de registre, même si on reste à Venise, lieu de prédilection d’Alberto Ongaro. Il s’agit d’un récit par Cipriano Parodi, originaire de Murano, orphelin recueilli par ses deux tantes, Catolica la prude et Pagana, la débauchée. Le ton et le style sont donnés. Ceci dit la mention de Murano et des ancêtres verriers (et fabricants de miroirs) qui, mis bout à bout, couvriraient toute la terre, n’est pas sans importance. On voit en fait le début d’un roman miroir (au même titre que les fugues éponymes de JS Bach).
Cipriano voit sa vie transformée par la lecture de ses lignes de sa main par la comtesse Zobenigo, gitane obèse, qui lui prédit une rencontre fatale avec une "bête ». Une invitation à venir à New-York rejoindre le célèbre écrivain Caspar Jacobi lance le livre (et exauce ainsi la prédiction de la comtesse). En fait il s’agit d’être le nègre de Caspar avec une armada d'écrivains qui composent les histoires, personnages et décors pour Caspar.
La publication du premier roman de Ciprinao « L'Entrepôt des turcs » est ainsi promise à traduction, en attendant les aventures d'un certain Baron Samedi. Le rôle de Caspar Jacobi, personnage tout de même central du livre, est de catalyser l’attention du lecteur et de l’hypnotiser. En plus du Baron Samedi, pâle figure, on croise Torascio, (Thorax aux USA) italien rencontré jadis par Cipriano à Venise et retrouvé à New York. En effet, il a traversé l’océan pour se venger d’un ex-champion de boxe et s’entraine à déchirer des annuaires. on croise (et on part à la recherche) de Morena (cf la femme de cire au manteau en poil de chameau de « La Taverne »). Cette sublime mûlatresse, vue et aperçue sur deux photos mystérieuses, pourrait être la femme de Jacobi ou Régis, le prédécesseur de Parodi.
Cependant le livre a du mal à démarrer (plus lent et plus poussif que « la Taverne » ou « la Partita »). Il faut attendre environ un tiers du livre avant que cela démarre (l'épisode du personnage qui s’invente un arbre généalogique). Puis, par un jeu de miroirs (cf les ancêtres de Murano) Ongaro s’adresse directement au lecteur pour le faire pénétrer dans son jeu et le rendre complice de ses élucubrations romanesques (« Le monde que nous racontons n’est pas le monde de tous les jours. Nous, nous racontons des mensonges. »
On retrouve l’idée de « la taverne » « le lecteur pourrait être le personnage le plus important de tout livre, si seulement les auteurs lui accordaient plus d’espace ».
Écrit par : jlv-loredan | mercredi, 19 août 2009
Répondre à ce commentaire« L'Autre côté du monde » Pierre-Edmond Robert, Ed. Bernard Pascuito (172 p, ça suffit largement)
Le 2 de couverture indique que l’auteur partage depuis longtemps ses jours et ses nuits entre l'écriture et l'enseignement de la littérature française. Où qu'il se trouve, il est toujours passionné par l'autre côté du monde. Je ne sais de quel coté il s’agit…
J’avais été séduit par la couverture (« Vue du Fuji » de Hokusai) (eh oui il faut bien trouver quelque chose au livre). Hélas, on assiste à une tartine d’universitaire moyen (qui confond séminaire et parties fines en Indonésie). 8 lamentables histoires. Même par un jour de grande chaleur et une boisson glacée au coté, c’est pénible à avaler.
«La Trace», Richard Collasse, Ed du Seuil, 318 p.
Autre livre japonisant. L’auteur, dirigeant de Chanel KK au Japon, marié à une japonaise, a publié son livre d’abord au Japon (2006) avant d’être au Seuil.
Ça commence très lentement, bien que ce soit d’un bon niveau d’écriture. Et je dois dire que j’ai failli ne pas continuer. Double lecture entre le présent et la découverte du Japon par l’auteur il y a une trentaine d’années. Présence du père très forte aussi dans cette première partie. Le jeune touriste découvre le Japon, ses coutumes et la gentillesse des gens. Tout est vrai, ou ressemble fortement à ce que tout touriste (français) peut découvrir dans ce pays. Vrai-faux roman d’initiation (?) comme il y en a eu tant ces années. Et pourtant les clichés ne font pas trop « cliché » (cela tombe bien, l’auteur est un passionné de photo et son voyage est prétexte à acheter un Nikon).
Livre facile à lire, donc, émouvant par moments, et dans lequel les gens ayant une bonne connaissance du Japon vont se reconnaître facilement. Les détails (clichés) abondent qui font que….Et pourtant on passe assez vite à une approche de quelque chose de plus profond, certainement inspirée (et vécue par l’auteur au cours de son long séjour). Japonitude dirait une certaine dame.
Arrivent ces lettres dans la vie actuelle de l’auteur, qui le bouleversent. La première tout d’abord, après un article dans le journal local (Asahi Shimbun, qui tire tout de même à une dizaine de millions) que l’on ne saisit pas très bien, puis basculement avec la seconde lettre. Je ne raconterai pas le dénouement. C’est à la fois très pudique et très près du Japon « profond ». Cela me réconforte dans ma lecture, quelquefois un peu au hasard
Ne serait ce que pour ces 100 ou presque dernières pages, le livre vaut la peine d’être lu. Peut être aussi faut il lire le reste pour comprendre l’esprit japonais.
« La submersion du Japon » de Komatsu Sakyo, Picquier Ed. (232 p) (comme c’est l’usage, le nom précède le prénom)
Court roman qui raconte l’histoire d’un scientifique, le professeur Tadokoro, et de Odonera, pilote de submersible chargé d’explorer les fonds marins. Et il s’en passe des choses dans ces fonds sous-marins : courants de boue, modifications des fonds, bref tout se prépare pour la disparition (à prévoir) de l’archipel. Récit d’anticipation, même si cela ne devait pas se passer comme dans le livre. (on s’attend à un fort tremblement de terre dans la région de Tokyo dans les années qui viennent, un peu dans le genre de celui du Kanto en 1923). Dans le livre, on passe à le dimension supérieure. Tout le système de convection du manteau terrestre se réorganise et le Japon est appelé à disparaître (les Japonais ont déjà « mis à l’abri » des collections artistiques par des expositions internationales).
Bref une histoire de « science fiction » pas impossible à se réaliser, bien que les bases scientifiques soient quelquefois légères. L’empereur est absent du livre (a t’il aussi été envoyé à l’étranger ?). Récit bien tenu, jusqu’au glouglou final où l’océan engloutit le pays (que hélas on ne lit pas). Bref, une lecture facile (2 bonnes heures pour un cauchemar qui s’oublie vite).
A propos de tremblements de terre…. (je l’ai appris tout récemment). Le 10 Octobre 2009, à 10.15, le matin, il y aura en Californie la 2eme édition du « Great Shake Out », journée de sensibilisation des californiens au grand séisme qui menace. Exercices de sauvetage et de survie au programme. Si vous voyagez dans ces coins là à cette époque, choisissez une autre date pour le shopping. La première manifestation (octobre 2008) avait mobilisé plus de 5 millions de personnes.
« La femme qui dort » de Ikezawa Natsuki, Picquier ed (120 p).
Trois courtes nouvelles (N’kunre, Mieux encore que les fleurs et La femme qui dort) (25, 40 et 50 p respectivement).
Que dire ? le première nouvelle est celle d’un procédé de « prière-récitation » qui apporte la paix entre les gens. Récit de fiction (si ça existait cela se saurait). La seconde nouvelle est une sombre histoire de couple (un jeune stagiaire et une docteur d’âge mur) « envoutés » par des esprits morts d’une ancienne famille princière d’Okinawa. Le recours à une « Yuta » diseuse de bonne aventure fournit une explication oiseuse au couple.
Enfin la dernière nouvelle a le mérite de servir de titre au livre (c’est déjà ça). Brève histoire d’une femme à l’étranger (Boston MA) qui revit un Japon (et l’ile d’Okinawa) et des coutumes anciennes en rêves. On n’a droit qu’à trois nuits, ce qui limite la nouvelle, et hélas nous prive d’une chute, ce qui fait la force des nouvelles (cf celles d’Ambrose Bierce sur la guerre de Sécession….)
On l’aura compris, il y a des jours avec et des jours sans. Pour cette fois mon expérience japonaise a été plutôt décevante. Rassurez vous, il y a (aussi) de très bons auteurs. J’ai commandé quelques livres, après relectures d’ « Anthologie de nouvelles japonaises contemporaines » (Gallimard, 1986) (554 p), ainsi que les tomes parus aux Ed du Rocher « Jeunesse », « le Désir » et « Amours » parus ces dernières années. Je ferai un de ces jours un point sur les 4-5 catégories d’auteurs japonais (classiques, japon après la guerre et ses conséquences, japonais exilés, japonais actuels).
Écrit par : jlv-japon | dimanche, 23 août 2009
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