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samedi, 05 mai 2012

Quand le livre jeunesse explore la guerre d’Algérie

 

 

Cinquante ans plus tard, interroger l’histoire

 

 

Du côté de la littérature jeunesse, ou plus précisément dans ce champ qu’on nomme « littérature pour adolescents », de beaux, de grands, de vrais récits questionnent la guerre d’Algérie, cette guerre qu’on nomma parfois la sale guerre.

 

Il se passa du temps avant que la littérature ne s’empare de ces années douloureuses et entreprenne de brasser la grande histoire avec des histoires individuelles, pour en faire un roman. Encore plus de temps du côté de la littérature jeunesse. Ce fut chose faite quand Gallimard publia en Folio junior L’Algérie ou la mort des autres, texte vibrant de Virginie Buisson, d’abord paru à la Pensée sauvage en 1978.

En cette année 2012, c’est en Scripto que l’éditeur fait à nouveau reparaître ce récit, de même que deux romans de Jean-Paul Nozière : Un Été algérien et Le Ville de Marseille, précédemment parus l’un en Folio junior et l’autre au Seuil jeunesse.

 

Dans le même temps chez Gulf Stream on publie un roman de Lilian Bathelot : Kabylie twist qui lui aussi brasse magistralement réalité et vies fictionnelles pour accoucher d’un roman foisonnant et limpide à la fois, permettant qu’aboutisse son projet didactique sans que jamais la fiction ne s’éteigne au profit du discours.

 

La lecture de ces quatre textes permettra aux adolescents d’aujourd’hui, pour qui la guerre d’Algérie ne signifie sans doute pas grand-chose, de découvrir concrètement, charnellement parfois, les hésitations, les peurs, les déchirements qu’affrontèrent les jeunes gens que cette guerre emporta dans sa violence, qu’ils soient Algériens ou Français.

 

  imagesCADIHT7I.jpg  

Un Été algérien, Jean-Paul Nozière, éd. Gallimard, 8 €

 

Eté 1958 : Salim, jeune Algérien, vit avec ses parents sur les terres de la Maison rose, la propriété d’Edmond Barine. Collégien doué, le jeune homme voudrait poursuivre ses études mais il y a besoin de bras supplémentaires pour soigner les vignes et Salim, comme son père, devra travailler la terre. Il n’ira pas au lycée, contrairement à Paul, le fils des Barine. C’est ainsi que l’histoire de Salim croise celle de son pays l’Algérie. Révolté par le paternalisme auquel obéissent ses parents, il découvre la haine et c’est le moment que choisit Lakdar, le contremaître, pour lui faire rencontrer un militant du FLN. Devenu agent de renseignements Salim facilitera l’incendie de la maison Rose. Dans ses hésitations s’est engouffrée la parole d’un adulte, pleine de certitude, c’est ainsi que l’histoire s’écrit avec des convictions opposées et sans héros.

 

 

 

 

 

 

 

 

imagesCAMUEJWR.jpgLe Ville de Marseille, Jean-Paul Nozière éd. Gallimard, 8.15 €

 

Printemps 1962. Ne pouvant rester sur les terres de son Bel Oranger et ne pouvant se résoudre à quitter Algérie, Paula Rosselle, Française d’Algérie, choisit de mourir. Son fils Paul, sidéré par les évènements familiaux et historiques, se terre dans une pièce aux volets clos. Si le corps de Paul est immobile, son esprit s’agite. Sa voix s’élève évoquant dans un grand désordre chronologique ses années d’enfance fusionnelle avec sa mère et cette dernière nuit vécue à ses côtés. D’autres voix se font entendre, celles de Tahar et de Fatma, les employés de maison, celle aussi du Dr Costantini, partisan de l’OAS. Chacune de ces voix a sa propre inflexion, sa propre musique affective et culturelle, donnant à ce roman une véritable dimension polyphonique.

 

 

imagesCAAB6R3S.jpgL’Algérie ou la mort des autres, Virginie Buisson,

éd. Gallimard, 7 €

 

Récit, et non roman, récit plutôt que témoignage, contrairement à ce que prétend maladroitement le bandeau rouge publicitaire que Gallimard a cru bon de joindre à cette réédition, l’Algérie ou la mort des autres est un texte essentiel et inclassable dans lequel l’auteur évoque ses jeunes années (Virginie Buisson avait 11 ans en 1954). Fille de militaire, elle suit avec sa mère et ses deux jeunes frères son père dans ses différentes affectations, plus près parfois ou plus loin des lieux de combats, de torture. En ville ou dans le bled, elle survit avec les contraintes qu’impose le danger, enfermée dans une caserne, terrée derrière des volets clos. Impatiente comme toute jeune fille, elle désobéit, s’approche du danger, aime clandestinement un jeune soldat.

Son Algérie c’est celle d’une guerre subie dont elle ne comprend rien, c’est aussi celle de la mer violette, du ciel bleu, du vent violent, d’un appétit de vivre insatiable et de la mort qui rôde et s’abat sans cesse autour d’elle. C’est cela aussi la guerre : voir tomber les autres.

Le découpage de ce texte en un seul chapitre, fait de courtes séquences, le choix d’évoquer plus que d’expliquer, l’écriture incisive de Virginie Buisson, permettent très paradoxalement que le lecteur se sente à la fois si proche et si loin des évènements évoqués par la narratrice.

 

 

kabylie-twist-grande.jpgKabylie Twist, Lilian Bathelot, éd. Gulf Stream, 14.50 €

 

Le projet même de ce roman le met au cœur d’une démarche didactique efficacement servie par une construction polyphonique :

 

Richard, alias Rickie, batteur d’un groupe rock, son ami Sylvie qui conduit pieds nus son Aston martin, Najib tout jeune spectateur clandestin d’un cinéma de Djidjelli, Lopez promu inspecteur de police à Oran au sortir du Bac, Claveline fillette pied-noir, autant de figures qui vont incarner plus de 300 pages durant les affres de jeunes gens emportés par la guerre  d’Algérie, de 1960 à 1962. Au travers de Richard, soldat envoyé dans le bled, et de Najib, adolescent recruté par le FLN, tous deux confrontés à la torture subie et exercée, l’auteur amène ses lecteurs à se questionner, à se positionner… Cette guerre est violente, tordue, la réalité en est complexe, parfois indéchiffrable… La succession de chapitres où l’on entend tour à tour le point de vue des uns et des autres permet que la complexité soit révélée et tous les fils que tient l’auteur et qu’il disperse volontairement se rejoignent évidemment lorsque tous ses personnages vont se croiser, se rencontrer. La violence qui sévit de part et d’autre abat injustement des victimes innocentes et l’on découvre cette réalité d’un conflit redoutable, pas à pas. Lilian Bathelot conduit magistralement son intrigue, menant de front le souci didactique et l’imprévu nécessaire à la tension de son récit.

 

 

 

                                                                                  Claude André

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