« La Nouvelle raison du monde de Pierre Dardot et Christian Laval | Page d'accueil | Ici Londres de V. Cuvelier et A. Herbauts »
vendredi, 17 avril 2009
La reine des lectrices d’Alan Bennett
Aimez-vous les bonbons anglais, à la fois sucrés et délicieusement acidulés ? Si oui, précipitez-vous sur ce court roman qui distille avec finesse bien des observations pertinentes sur l’art de lire et les joies que nous procure la lecture.
L’héroïne de ce roman n’est autre qu’Elisabeth II, comme dans le film si caustique de Stephen Frears, The Queen. La reine donc, voulant remettre au pas ses chiens qui aboient fort désagréablement, découvre dans la cour des communs de Buckingham le bibliobus de Westminster. Elle y pénètre avec quelque hésitation, en ressort avec un roman d’Ivy Compton-Burnett et le mal est fait. Ayant commencé de lire elle ne pourra plus s’arrêter. À travers cette fiction Alan Bennett, romancier et dramaturge à la plume incisive, dresse le portrait d’une femme très occupée, soudain tombée en lecture comme on tombe en amour. Les notations de l’auteur sur la façon dont nous accaparent peu à peu ces histoires de papier sont d’une réelle finesse. Chaque lecteur est unique, son entrée en lecture a une histoire et celle-ci mérite qu’on s’y attarde. Car on ne vit plus de la même manière quand on fréquente assidûment les livres. Cette façon dont notre vie soudain prend du sens, dont nos moindres réflexions entrent en écho avec tant d’autres, cet enrichissement de notre « théâtre intérieur », tout cela est magistralement dit.
« Sa charge impliquait qu’elle manifeste de l’intérêt envers un certain nombre d’activités, non qu’elle s’y intéresse pour de bon. De surcroît lire n’était pas agir. Et elle, elle était une femme d’action ». Ce temps-là est révolu, sa majesté est passée de l’autre côté du miroir, de ce côté où on prend le temps de penser, de rêver… Rejoignez-la vite !
Claude
La reine des lectrices, Alan Bennett, Denoël, 12 €
Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | | | Facebook
Commentaires
Un petit pour la route
« Des Saisons au bord de la mer » de François Maspero (Seuil Librairie du XXI siècle)
Souvenirs, souvenirs…. Le 4 de couverture commence ainsi « Un homme se souvient .» C’est vrai, la première partie du premier chapitre (il y en a deux, en tout 172 p) est essentiellement faite de souvenirs (l’auteur ou un petit garçon et son grand père). Et cela, il y a un certain temps (celui où les grands pères savaient reconnaître une salamandre d’un triton). On pense assez vite au livre de Jean Paul Dubois « une vie française » (l’Olivier). Mais très vite aussi, la comparaison n’a plus lieu d’avoir lieu. Avec F Maspero, on réalise que l’on lit un livre et non un journal (c’est un peu comme ce mot de Clémenceau « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique », ceci dit sans rancune pour les cliques et fanfares). Bref, souvenirs, souvenirs…
Et puis la seconde partie commence en 2008, mais très vite on revient à une ville (Calais) avant qu’elle ne soit la ville actuelle, avec encore son village de pécheurs (attention danger, sûrement que ce sont des rouges qui mangent les petits enfants). A nouveau, réminiscences d’un temps révolu. Mais c’est si bien fait.
Le second chapitre met en scène un autre enfant, une fille (et un chat, personnage inamovible de la maison). On y retrouve les pécheurs (toujours aussi rouges) et le chat bien sûr. Souvenirs encore, mais sur un autre ton, avec des non-dits (les secrets des « grandes personnes ».
Il faut reconnaître que cette bibliothèque du XX, puis du XXI siècle, possède quelques petits ouvrages délicieux (d’autres aussi très intellectuels et plus durs à lire).
Avez vous lu « l’étoffe du diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés » de M Pastoureau ? c’est déjà ancien (91) mais quels bons moments (courts car c’est un petit ouvrage de 186 p).
Ou « Domaines et chateaux » de Marc Augé.
Ou encore « Roman noir » de Jérome Prieur, un autre petit format (18*11 cm, 190 p). Opuscule sur les romans gothiques, ou frénétiques que l’on voit apparaître vers 1790 (avec Ann Radcliffe – le chateau d’Otrante, -les mystères d’Udolfo) et qui se poursuit jusque vers 1820. Cette mouvance donnera lieu par la suite à la naissance du fantastique français tout d’abord (Robida, Maurice Renard entre autres les plus connus) et de l’humour noir. Cet épisode frénétique (« Le Moine » de Lewis, traduit par Artaud) va être aussi une source importante du surréalisme (voir « l’anthologie de l’humour noir » d’andré Breton – Pauvert).
On trouve aussi des textes très intéressants (plus durs à lire, mais passionnants), ainsi
Henri Atlan « les Etincelles du hasard » tome I (« connaissance spermatique » et tome II (« athéisme de l’écriture »). Deux gros pavés (400 et 431 p) avec une mise en page vraiment étonnante (notes en marge ou en pleine page, typographie agréable) ; Une très importante réflexion sur Spinoza, Maimonide et autres (ça se lit encore assez bien, quoique il fut absorber à petites doses), faite par un biologiste fort reconnu (théorie de l’information et autres systèmes complexes), qui a suivi une formation poussée sur le Talmud et la Kabbale (il est maintenant à Jérusalem). Son dernier bouquin (« l’utérus artificiel ») est un petit essai (224 p, toujours le même petit format) où il laisse entrevoir sa vision du monde et de son évolution biologique (il fait partie du comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé).
Ou encore (presque) tout Georges Perec ou Paul Celan……
Bref, une collection au Seuil que l’on peut acheter et lire les yeux fermés (c’est le cas de le dire).
Voilà, vous en avez pour la semaine à tout lire.
Écrit par : jlv | mardi, 28 avril 2009
Répondre à ce commentaireLa semaine dernière, je vous parlais du charmant petit livre de François Maspero « Des Saisons au bord de la mer » (Seuil Librairie du XXI siècle), eh bien cette semaine, il figure en (bonne) critique dans le Monde des Livres (samedi 2 mai). Il est vrai que cela en vaut la peine. Intéressant à noter, que lorsque j’ai tapé livre, cela a donné libre, beau clin d’œil à F Maspero. Il avait une si belle petite librairie, Rue Saint Séverin, haut lieu soixante-huitard (à tel point que la fauche était presque la raison d’exister du magasin, ce qui n’a fait qu’en hâter la fermeture….). Décidément, souvenirs, souvenirs….La nostalgie n'est plus ce qu'elle était.
Pour changer, en ces temps du muguet vendu librement pour soutenir la classe laborieuse (n’est ce pas Robert ?), un détour s’impose par le pays du chrysanthème (il est vrai que les épreuves du bac –clin d’œil aux latinistes et autres traducteurs- ne sont pas loin, et la fleur aura à nouveau de beaux jours devant elle) (comprenne qui peut).
Donc partons pour le pays du sourire et du soleil levant. Un nouvel arrivage de chez Les Belles Lettres avec « la pagode à cinq étages » de Koda Rohan (le prénom suit toujours le nom au Japon). Cinq nouvelles (le nombre 5 se retrouve souvent, dans les 5 sagesses ou les 5 bouddhas, les 5 sens avec leurs 5 désirs, les 5 préceptes…) groupées (312 p) avec une belle postface qui résume bien l’époque du roman. Dans ces nouvelles, la dernière donne le titre à l’ensemble. Belle histoire de deux charpentiers qui s’affrontent pour la construction d’une pagode à cinq étages. Le tout sous la houlette du très vénérable abbé Roen d’Uda, déjà parvenu à un degré Zen nettement au dessus des condescendances terrestres (zenitude ?). On dirait presque une belle histoire morale de notre littérature (tout aussi morale) de la seconde restauration-second empire. Mais, dans le livre, c’est avec le coté exotique et quelques maximes en passant (« le tigre féroce est raillé par le singe juché sur l’arbre et peste contre la distance qui les sépare » ou « on ne pêche pas toujours des poissons sous un beau saule »). C’est bien écrit, quelquefois un peu précieux, japonais, quoi. L’intérêt du livre est aussi d’être un des premiers romans « moderne », juste près l’ère Tenpo (1841-43), celle des réformes, puis des mouvements sociaux, et le début de la grande ère Meiji (1868).
Toujours dans la même collection (à couverture représentant une partie d’estampe).
« Vengeance sur la plaine du temple Goji-in » de Mori Ogai (207 p). 5 nouvelles courtes avec des histoires variées. Une fille qui venge son père San.emon fait le titre de l’ouvrage (69 p). Celui ci, gardien du trésor, est lâchement assassiné, et sa famille doit le venger. Tout d’abord son frère cadet, Kuro.emon, qui parcours le pays en tout sens pour retrouver les assassins. Puis finalement la fille Riyo, qui venge son père. Histoire d’honneur dans ce Japon, toujours durant l’ère Tenpo. Les autres nouvelles ont un rapport avec des femmes d’un Japon « moderne ». La nouvelle suivante (madame Yasui, 27 p) est l’histoire d’une jeune fille (O-Sayo-san) qui va (qui choisit de le faire) épouser un vieillard (monsieur Yasui). Reste encore l’histoire de Yu Xunji, poète et artiste, qui décide de mener sa vie comme elle l’entend.
« La treizième nuit » de Higuchi Ichiyo regroupe aussi 5 nouvelles (188 p). L’auteur en est une femme, la première de ce Japon moderne dont l’œuvre soit enfin reconnue et passée à la postérité. On est un peu plus tard, dans l’ère Meiji. Deux nouvelles « la treizième nujit » et eaux troubles » avec deux femmes (O-Seki et O-Riki, respectivement) dont l’une, riche, mais malheureuse, retrouve un ancien amour, Roku, tireur de pousse-pousse. On imagine ce qui les sépare. Dans « eaux troubles », O-Riki est une belle file, attraction de la maison Kikunoi, jalousée par toutes ses « collègues » et qui s’entiche d’un homme Yuki Tomonosuke. On a compris le couple infernal finira par le meurtre pour elle (« elle s’est fait taillader le dos ») par son amant, et pour lui le seppuku (le suicide par le sabre court). Une autre nouvelle plus courte (10 p) « le son du koto » ouvre le livre, et est tout en délicatesse. Un jeune mendiant, orphelin, retrouve des souvenirs grâce au koto dont joue une dame qu’il ne connaît pas. La nouvelle se termine par l’entrée du jeune homme « dans un monde où cent fleurs différentes étaient en même temps écloses ».
Voilà qui nous change de notre monde de brutes.
Dans la même veine, « Errances dans la nuit » de Shiga Naoya (Gallimard, Connaissance de l’orient). Roman (504 p) unique de cet auteur, plus tardif (1921-1937), on est dans le règne Showa (1926). Style très épuré et concis. Romancier, de nom Kensaku, mais en fait c’est un double voilé de l’auteur, face à deux grandes crises morales. Finalement son frère aîné crache une partie du morceau : il est « un enfant du péché », fils de sa mère (ah bon) et de son grand-père (re-ah bon, mais pas sur le même ton). Eh oui, les parents boivent et les enfants trinquent. Bref, passage de crise (en rappel), et mariage avec un jeune provinciale (entendre un peu niaise), puis enfant. On aurait pu croire à un happy-end. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. Hélas l’enfant meurt, et ne voilà t’il pas que la jeune femme se fait déniaiser à son tour, et re-enfant du péché (pas avec le grand père cette fois, mais un cousin). Ne pas oublier que l’on est au Japon, le pays des arbres torturés (et qui torture un arbre, torture aussi).
L’ouvrage est un peu long, changement assez radical dans la littérature nippone. Par contre, aucun repère aux critères moraux ou politiques de l’époque.
C’était une (toute petite) partie de mes auteurs asiatiques. Il y en a plein d’autres, de Kawabata à ces auteurs de la fin ou de l’après guerre qui racontent le cannibalisme dans l’armée ? Je garde ça pour la bonne bouche et une autre fois.
Écrit par : jlv | vendredi, 01 mai 2009
Répondre à ce commentaireCe soir, ce sera un premier roman, d’une auteur du Bangladesh « Une vie de choix » par Thamina Anam (editions des deux terres). Livre d’une certaine intensité narrative (417 p) qui raconte les évènements qui ont conduits à l’indépendance du Bangladesh (mars-décembre 1971). On aurait pu croire à un livre « historique » vu par une famille ou des acteurs bengalis. Il n’en est rien, même si c’est l’histoire vue par deux jeunes indépendantistes, ou plutôt vue à travers la relation que la mère tisse à travers eux. Et pourtant, ce premier roman su lit d’une traite. Il est vrai qu’il obtenu le prix Commonwealth 08. On attend donc d’autres ouvrages de T Anam.
Premières manifestations dans ce qui était alors le Pakistan oriental, à Dacca, en mars 71, et sévère répression par les troupes pakistanaises (entendez du Pakistan, Karachi et Islamabad). Le tout au nom du maintien de l’intégrité du pays et de la domination islamiste. D’un autre coté, on retrouve les fomentations communisantes du début des années 70, hésitantes entre Chine et Russie, le tout sous l’œil de l’Inde, non mécontente de voir les Pakis, ennemis héréditaires, s’entredéchirer. Mis à part cette narration d’évènements et de répression féroce, le livre nous embarque dans des considérations sur des relations filiales fortes. Que ne ferait une mère pour garder ses deux enfants, fils et fille, embarqués dans cette lutte d’indépendance. Il est assez surprenant que le livre s’ouvre sur une réunion de voisines, qui jouent ensemble au gin-rami, sorte de réunion semi-mondaine, dont on ne saurait deviner que cela va se transformer en lutte clandestine (chacune des participantes ayant d’ailleurs une fonction et un engagement différent dans ces combats. Au passage, on apprend beaucoup des moeurs culinaires bengalis, puisque toutes ces aventures sont accompagnées de repas et de préparations de cuisine locale. Ce n’est cependant pas un roman historique ou évènementiel. Un peu surprenant aussi de voir ces idéologies datant des années 70, et pourtant toujours très en vogue dans cette région du sous continent indien. Les provinces orientales du Bengale sont encore sous domination communiste, et c’est surprenant de voir dans les villages entourant Calcutta (Kolkata de nos jours) des graffitis avec faucille et marteau sur beaucoup de maisons. Surprenant aussi de savoir que la fameuse voiture Nano de Tata, prévue pour revenir à moins de 100000 roupies (un peu plus de 1500 euros), devait être construite dans ces provinces, mais que les gouverneurs régionaux l’ont refusée, obligeant Tata à déménager ses usines. Intéressant également de voir l’argumentation des Pakis (ceux de l’ouest) vis à vis de la sécession envisagée par le Bangladesh et les considérations nationalistes qui sont invoquées (il est vrai que le livre est écrit par une séparatiste). Mis c’est d’autant plus surprenant que le mélange des communautés (hindous, islamistes, bouddhistes et autres), qui est la règle générale en Inde, soit aussi farouchement combattu au Pakistan.
Bref un livre (passionnant) qui est autant une réflexion sur l’histoire, qu’une narration très bien faite des relations humaines.
Écrit par : jlv | dimanche, 03 mai 2009
Répondre à ce commentairepas beaucoup de temps ce matin (et cette semaine)
cependant
courrez acheter (et même lire) le dernier ouvrage publié par Ossip Mandelstam "Le Timbre Egyptien" (Le bruit du temps).
dès le début, il commence fort : "Ma famille, je vous prpose pour blason un verre d'eau bouillie". La suite est du même tonneau.
pratiquement c'est Ulysse (de J Joyce) au pays des soviets.
je vous en dirai plus quand j'aurai trouvé et lu ses autres textes en prose (les poèmes sont d'un autre style).
Écrit par : jlv Ossip Mandelsdtam | mercredi, 06 mai 2009
Répondre à ce commentaireLes commentaires sont fermés.