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mardi, 15 mai 2012

Pour saluer Maurice Sendak

Maurice Sendak est mort. Parti outside over there, where the wild things are...  Parti, le plus grand des créateurs de livres pour enfants, celui qui, secouant le cocotier des idées reçues, imposa cette idée que les enfants aussi ont un inconscient. Relisons  sa trilogie : Cuisine de nuit, Max et les Maximonstres, Quand papa était loin, savourons ses textes magnifiquement elliptiques et ses images qui disent mieux que tout discours la complexité et la richesse de la vie intérieure.

 

Pourquoi j'aime Max et les maximonstres de Maurice Sendak :

 

Max et les Maximonstres, édité aux États-Unis en 1963, publié pour la première fois en France par Robert Delpire en 1967, déclencha les foudres des rares critiques s’intéressant à l’édition pour la jeunesse, avant que d’être publié en 1973 à l’École des loisirs et de trouver la consécration que l’on sait. L’esprit de 1968 commençait à souffler sur la création et sur la critique, autorisant la prise en compte de l’inconscient dans les albums pour enfants.

 

 

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J’ai découvert Max et les Maximonstres il y a presque 30 ans, alors que j’étais bibliothécaire et jeune maman d’un petit garçon terrible à qui je l’ai lu souvent. C’était la première fois que je voyais un enfant porter un costume de loup et cet enfant du livre ainsi vêtu me fascina d’emblée, car beau et terrible à la fois, comme un jeune animal sauvage.

En lisant cet album à mon fils comme à d’autres jeunes enfants j’ai souvent constaté que l’enfant à qui on lit Max et les Maximonstres pour la première fois ne manifeste pas d’enthousiasme, ne dit rien et reste songeur.

Plus tard il demandera qu’on lui relise cet album qui le trouble, et moi après toutes ces années je reste face à Max comme ces enfants, songeuse.

On ne peut revenir autrement me semble-t-il de ce voyage « where the wild things are », de cette plongée au cœur de notre intériorité.

 

Découvrant l’œuvre de Maurice Sendak, avec ceux de mes collègues de la Médiathèque de Metz qui partagèrent avec moi l’aventure de la revue Bouquins/Potins, j’ai lu  tout ce qui était alors publié de Sendak et sur Sendak, en français comme dans la langue originale, mais cela n’empêcha pas et n’empêche toujours pas que je continue de me heurter à la force de cet album, à sa belle opacité. Je suis attirée par Max et les Maximonstres, j’aime la beauté du trait, la finesse des couleurs, la musique du texte, mais quand je prends cet album en main c’est comme si je venais de trouver au bord d’un rivage un beau galet. Je le ramasse, le regarde, le touche, le caresse, il me fascine par sa perfection plastique certes, mais aussi et surtout à cause de tout ce qu’il contient d’informations qui me restent inaccessibles car je ne connais rien à la géologie ni à la minéralogie. Pourtant, même si je ne les mets pas à jour, savoir qu’elles sont là enfermées, comme l’image dans le tapis, me donne du contentement.

 

Au fil du temps j’ai avancé dans ma compréhension de cet album. J’ai profité de lectures expertes qui m’ont révélé la subtilité de ce texte ô combien elliptique, l’orchestration de ces images qui nous emmènent sans prévenir de l’autre côté du miroir. Je me suis intéressée aux yeux ouverts et aux yeux fermés de Max, à ce jeu de ses pieds dressés et de ses pieds posés qui en dit long sur sa satisfaction. Je sais tout le travail accompli par Maurice Sendak sur lui-même, pour retrouver au plus près les sensations du jeune enfant qu’il fut. Je vois bien que Max s’embarque vers l’imaginaire grâce au principe de plaisir et revient à cause du principe de réalité…

 

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J’observe ces monstres, terribles, leurs griffes leurs cornes et leur crocs, mais ils me semblent en même temps si débonnaires. Ils me font sourire car je vois bien qu’ils font tout pour être terribles et que cette jubilation qu’ils manifestent vient de ce qu’ils jouent à faire les monstres. Ils agissent à la commande de Max, ils donnent une représentation, regardant bien leur public comme des enfants lors d’un spectacle de fin d’année et Max, qui les a convoqués, les domine totalement. Trois petits tour et puis s’en vont…

Mais les regardant à nouveau la fois suivante je m’interroge encore et encore sur ce qu’ils ont à me dire.

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Chaque fois que je lis Max et les Maximonstres c’est comme si tout recommençait.

 

C’est comme dans une histoire d’amour. Je l’aime, mais je ne sais pas pourquoi. Peut-être aussi que je l’aime parce qu’il me résiste.

 

Claude André

mardi, 15 septembre 2009

L'Histoire de Sarah la pas belle

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 Après maintes relectures on a envie encore et encore de retrouver Sarah, les enfants Witting, Jacob leur père et ce grand-père revenu après un si long silence. La publication de leur histoire  a démarré en 1985 pour s’achever en 2008 et plus de dix années ont séparé l’écriture du premier volume de celle du second, c’est dire si l’auteur n’a pas voulu écrire une série et que sa démarche est de l’ordre de la nécessité. Le premier tome s’ouvre sur une question que le jeune Caleb pose à sa grande sœur Anna : « Est-ce que maman chantait tous les jours » ? D’emblée Patricia MacLachlan nous touche au cœur. Pas de scène d’exposition ni de présentation des personnages, elle va à l’essentiel et nous faisons ainsi intimement connaissance avec ce qui rassemble la famille Witting : le manque de cette mère morte trop tôt. Mais parce que la vie continue, Jacob, le père, entame une relation épistolaire avec Sarah, la jeune fille du Maine, « grande et pas belle ». L’échange épistolaire concerne bien vite toute la famille et ce premier volume montre alors joliment  comment les uns et les autres s’apprivoisent par lettre avant de s’adopter.

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On touche là à l’une des spécificités de cette saga :  l’écriture  y tient une place essentielle. Chaque volume est un journal tenu par l’un des enfants. La narratrice des deux premiers volumes c’est Anna, Caleb est celui du troisième volume, Cassie est celle des deux derniers.  L’auteur recourt parfois à l’italique pour retranscrire le début du journal et surtout pour mettre en avant les pensées les plus intimes du narrateur et nous transmettre sa sensibilité. Cassie ne raconte pas comme Caleb et lui-même ne raconte pas comme Anna. Un grand souci de vérité guide Patricia Maclachlan et c’est avec précision qu’elle décrit  la vie quotidienne d’une famille de fermiers dans l'ouest des Etats Unis au XIXème siècle. Le concret est présent à chaque instant permettant au jeune lecteur de «  voir » la réalité de la vie difficile de la famille Witting ; pour autant  l’histoire de Sarah la pas belle  n’est pas un roman historique de plus. Les descriptions sont utiles et elles sont là, juste à leur place, mais ce qui domine dans l’écriture c’est la peinture  des sensations. L’auteure habite chacun de ses personnages, elle est Caleb le petit garçon à qui sa maman manque tant, et en même temps elle est Anna qui souffre et le réconforte, elle est Sarah bien sûr, pleine  d’amour, de confiance et de force, elle est Cassie la petite fille facétieuse, elle est aussi dans le regard attentif  des deux  chiens Nick et Lottie.

 

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En fin du cinquième volume, expliquant comment elle s’est nourrie de souvenirs racontés par son père comme de ses souvenirs du Dakota et du Wyoming, Patricia MacLachlan dit qu’inventer une famille à Sarah l’a rapprochée de son passé. C’est là la force de ces cinq beaux livres : réussissant à faire que de jeunes lecteurs s’approprient cette dure vie de fermiers située dans  une autre époque et bien loin d’ici, elle   les rapproche de ce qui est si important dans le secret de leur coeur et qui concerne l’histoire familiale de chacun d’eux.
L’histoire de Sarah et de sa famille élargie  s’achève sur le mariage d’Anna et sur la mort du grand-père : «Grand-père est toujours parmi nous» dit Cassie à la fin de son journal ; Sarah la pas belle et sa rude et tendre famille aussi, pense le lecteur  aussitôt, lecteur qui a les larmes aux yeux quand Cassie écrit :

« Les rires et les voix sont de petits cailloux
Tout autour de nous.
Nous les ramassons et les serrons fort,
Dans nos mains jusqu’à la mort »
                                                                                                           

                                                                               Claude

L’Histoire de Sarah la pas belle :

Sarah la pas belle
Sarah la pas belle se marie
Le journal de Caleb
Un cadeau pour Cassie
La Ferme de grand-père

Patricia MacLachlan
Ill. de Quentin Blake
Trad. Camille Todd puis Anne Krief
Gallimard jeunesse, folio cadet

 

jeudi, 16 avril 2009

Les indémodables de l’Autre Rive

 

 

Les maisons de Colette Vivier

 

 

 

 

C’est au médiéviste Michel Zink que je dois ma découverte de l’œuvre de Colette Vivier. Dans sa récente autobiographie Seuls les enfants savent lire, où il se peint à travers les souvenirs laissés en lui par ses lectures d’enfant, Zink fait un vibrant éloge d’Entrez dans la danse, un roman de Colette Vivier paru en 1943 dans la Bibliothèque rose illustrée (et qui n’a pas été réédité depuis des décennies). Ce qu’il en dit m’a donné l’envie de découvrir les rares œuvres encore disponibles de cet écrivain de jeunesse que les lecteurs d’aujourd’hui ont tendance à oublier, ou qu’ils connaissent mal, ou dont plus personne ne leur parle, trente ans après sa mort survenue en 1979.

 

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Cette femme née en 1898, sur qui l’on sait fort peu de choses, sinon qu’elle a fait partie d’un réseau de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, est l’auteur d’une trentaine de livres, dont quelques-uns, au moins, sont des indémodables de la littérature de jeunesse. En dépit de plusieurs infidélités aux descriptions contenues dans le texte, les illustrations de Serge Bloch rendent justice, avec art et finesse, à la fraîcheur persistante des romans de Colette Vivier réédités par les éditions Casterman. Leur fraîcheur, leur jeunesse, ces romans les doivent à la manière inimitable qu’ils ont de peindre l’enfance et d’exprimer le romanesque de la formation des personnalités. Colette Vivier crée des enfants qui sont d’une vérité psychologique intense et propose à ses lecteurs des modèles identificatoires élaborés, distillant une morale généreuse qu’avec habileté elle se contente souvent de suggérer.

Colette Vivier est l’un des rares auteurs sachant parler sans mièvrerie des mauvais sentiments : égoïsme, désir maladif d’un objet matériel, envie, hypocrisie, reniement de l’amitié, cruauté d’un enfant envers un autre – effleurant à cette occasion le thème de la désignation des boucs émissaires. Plus rare encore : se refusant à condamner aucun de ses jeunes personnages, se refusant à tout manichéisme, Colette Vivier nous fait deviner les petites transformations qui s’opèrent dans la profondeur de leur être et qui les font mûrir, chacun selon les tendances de sa propre personnalité. Comment peut-on peindre aussi subtilement les blessures de la vie et leur cicatrisation ? Nous le savons tous, l’apprentissage de la diplomatie et celui de la générosité passent par des échecs, des contrariétés, des humiliations. Mais Colette Vivier suggère aussi la soif de relations humaines qui existe chez la plupart des enfants et qui les jette vers la vie. Ce désir de relations humaines peut se révéler plus taraudant que le désir de biens matériels.

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D’autre part, chacun constatera que ces romans donnent un accès aisé et vivant aux mentalités des années 1930, 1940 et 1950, d’autant plus que l’art de Colette Vivier la pousse à rechercher en tout le naturel et la vraisemblance. Rien d’empesé dans les dialogues, une peinture très juste de la vie scolaire des différentes époques qu’elle décrit, et une représentation fidèle des mœurs dans différents milieux sociaux. Entrez dans la danse est situé dans la société bourgeoise des professeurs de lycée et des ingénieurs (milieu dans lequel devait évoluer Colette Vivier), tandis que La porte ouverte et La maison des petits bonheurs nous parlent de familles d’ouvriers et d’artisans (milieux que l’auteur semble avoir tout aussi bien connus). Certes, on ne compte plus les paires de claques données par les parents dans La maison des petits bonheurs… lesquelles, à vrai dire, ne sont pas tellement différentes de la violence éducative telle qu’elle se manifeste dans Entrez dans la danse, par les paroles blessantes qu’adresse Maxime Gaume à la jeune Christine dont il est le tuteur. Mais cette dureté nous est montrée, dans les situations romanesques construites par Colette Vivier, comme pouvant toujours être surmontée. L’auteur ne voit pas en elle une cause profonde de rupture entre parents et enfants. Colette Vivier parle des mouvements d’humeur auxquels cèdent parfois les adultes, comme elle parle de la mort. Ce sont des réalités inhérentes à la condition humaine, qui surgissent en tempête, créent du chagrin, mais qui s’effacent sans faire de dégâts lorsqu’une volonté de compréhension mutuelle préside aux relations entre les adultes et les enfants.

 

 

 

 

vivier.jpg De même qu'elle n'évoque la mort d'un personnage qu'en prenant de la distance par rapport au moment et au lieu où celle-ci s'est produite, laissant à un article de journal le soin de la raconter, Colette Vivier ne parle que très indirectement de l'Occupation. Dans Entrez dans la danse, on trouve une allusion aux aliments de remplacement, placée dans la bouche de la tante Fée, et c'est tout. « La guerre », pour l'ensemble des personnages de ce roman de 1943, c'est toujours celle de 14-18. Les deux sœurs Edmée et Étiennette de La porte ouverte semblent être orphelines de guerre, mais le texte de ce roman de 1954 le suggère à peine. Seule exception, mais tellement significative : 1946 a vu paraître un roman de Colette Vivier spécialement consacré à cette période, La maison des Quatre-Vents. Ce roman était encore disponible au début des années 2000, édité par Casterman. À quand sa réédition ?

La maison des petits bonheurs est fait du journal intime que tient une fillette de onze ans. Le risque est grand, pour l’écrivain qui recourt à une telle forme littéraire, de laisser des observations d’adulte s’insinuer dans la narration. De ce côté-là, rien à craindre : le roman est une réussite, recréant de façon convaincante la langue d’une enfant, à travers ses naïvetés, ses étonnements, et son intelligence déjà perspicace des rapports humains. L’intrigue est fondée sur les perturbations que provoque, durant une absence prolongée de la mère de famille, au sein de la cellule familiale désormais réduite à la jeune narratrice, à son père, à sa sœur aînée, qui se prénomme Estelle, et à leur petit frère, l’installation dans leur appartement d’une tante par alliance, veuve du frère aîné de Mme Dupin, la maman. À partir du jour où la nouvelle venue se met à vouloir occuper la place laissée vacante par Mme Dupin dans le foyer domestique, puis dans le cœur d’Estelle, l’harmonie familiale se détériore, et une certaine tension se répand parmi l’ensemble des habitants de cet immeuble de la rue Jacquemont, ou plutôt de cette « maison », comme l’appelle affectueusement la narratrice.

Au cours de cette période de privation affective, Aline Dupin apprend à nouer des amitiés imprévues, notamment avec une camarade de sa classe, Marie Collinet, mal aimée du groupe d’écoliers, mais aussi avec M. Copernic, le nouveau voisin qui s’est installé dans la maison de la rue Jacquemont. Lui aussi représente un élément hétérogène, introduit dans cette microsociété pour en perturber les habitudes. Il est violoniste dans un restaurant. Un soir, il vient de parler de sa femme défunte. « Sa voix tremblait. Moi, en général, je n’aime pas que les grandes personnes soient émues, ça me gêne pour elles et je leur en veux presque. Mais là, non. Ça vient peut-être de ce que M. Copernic a si peu l’air d’une grande personne ; on a toujours l’impression qu’il pourrait faire encore un tas de choses de quand il était petit, comme, par exemple, jouer à la marelle ou bien tricher au nain jaune. » Cet extrait suffit à faire sentir à quel point le roman est loin d’être larmoyant.

On notera qu’un personnage foncièrement négatif comme la tante Mimi, qui ne se corrige pas à la fin du récit, constitue une rareté. Page après page, nous découvrons les différentes facettes d’un être qui n’est pas vraiment méchant, qui tient même à manifester sa bonne volonté en toute circonstance, mais qui ne peut s’empêcher d’imposer son intransigeance, ses idées fixes, à tout son entourage, en abusant de son autorité, en recourant au chantage affectif, et dont l’humilité, sincère mais butée, paraît surtout vouée à humilier autrui.

Certes, La maison des petits bonheurs comporte une faiblesse dont les lecteurs prennent conscience tôt ou tard : jamais Aline Dupin ne nous dit si elle rédige les pages de son journal au vu et au su des autres membres de sa famille. Jamais elle n’envisage de le dissimuler. Lorsque les tensions se développent entre Aline et Estelle ou entre Aline et la fameuse tante Mimi, la fillette ne semble même pas redouter que son journal puisse tomber entre des mains indiscrètes… Lorsque Colette Vivier, dans Entrez dans la danse, reprendra la forme du journal fictif d’une petite fille, elle ne commettra plus cette erreur.

La porte ouverte, roman narré à la troisième personne, me semble légèrement supérieur à La maison des petits bonheurs. L’auteur n’a pas besoin d’y introduire un personnage négatif pour amorcer son intrigue. Les péripéties sont déclenchées par les seules données initiales : la psychologie des petites filles, conjuguée à leurs situations familiales respectives.

De plus, Colette Vivier joue à merveille des situations à personnages multiples. Pour cette seule raison, La porte ouverte pourrait bien être son chef-d’œuvre, et l’on y trouve bien davantage que le simple thème de l’ouverture aux autres. L’art du récit y est porté à son apogée : fluidité des dialogues, art du croquis descriptif pour silhouetter les personnages secondaires lorsqu’ils font leur entrée, et surtout un parfait naturel dans l’enchaînement des péripéties, faisant oublier les hasards favorables que l’auteur fait éclore pour dénouer les situations difficiles. Les destins qui, dans le Paris ouvrier du roman, se révèlent progressivement, et finissent par se lier en vue d’un objectif commun, sont si nombreux et si divers, qu’il serait vain de tenter de présenter ici les héros de l’histoire. Je dirai seulement qu’une somptueuse poupée, exposée dans la vitrine d’une mercière et qui fascine toutes les fillettes du quartier, en est le déclencheur, mais que l’objet du vrai désir, tant pour les enfants Ermont (de la famille Ermont restreinte et élargie !) que pour les adultes qui les entourent, la destination qui apportera une solution au problème de chacun, se révélera être une petite maison presque à l’abandon, située en pleine campagne, au nord de Paris.

Il est beau que cette maison de Nesle-la-Vallée, qui apparaît dès le chapitre 6, nous soit d’abord présentée indirectement, à travers les paroles du groupe d’enfants qui l’a vue. Ce récit dans le récit se révèle vite imprécis et contradictoire. « La maison », au milieu de son champ de marguerites, demeure longtemps, pour nous lecteurs comme pour ceux des enfants qui ne l’ont pas visitée, et même aux yeux de ceux qui l’ont vue mais qui en ont une vision de plus en plus déformée à mesure que les semaines passent, un objet imaginaire, un objet recréé et enrichi par l’imagination, s’imposant à l’imagination des enfants avant de s’imposer, de manière irrésistible, à celle des adultes, puis s’imposant matériellement, comme solution concrète, à une famille plus soudée qu’auparavant, agrandie par l’adoption des petites orphelines amies de Lise Ermont. Le lecteur d’aujourd’hui aura peut-être du mal à croire à l’optimisme historique de cette France des années 1950. Les ménages se projettent dans l’avenir avec gourmandise. S’ils connaissent la pauvreté et doivent faire face à la pénurie de logements de l’après-guerre, ils n’ont pas à craindre le chômage.

colette.jpg Les enfants sont sans cesse au premier plan, et il ne faut pas négliger le rôle actif que joue le père, en particulier dans la dernière partie de l’histoire. Mais le véritable agent fédérateur du petit monde qui s’organise au fil des chapitres, c’est la mère, la généreuse Mme Ermont. Le titre du roman lui rend hommage. C’est elle qui tient sa porte toujours ouverte aux autres.


Alors, pour quels lecteurs sont ces romans ? Pas seulement pour quelques adultes nostalgiques ! J’encourage les jeunes lectrices des années 2000 à découvrir par elles-mêmes les richesses que renferment ces œuvres, à visiter à leur tour les maisons de Colette Vivier et à expérimenter, en compagnie de leurs nombreux habitants, l’art de vivre qui s’y invente.

 

Jean-Michel